— C’est Manu qui m’envoie ! assène-t-il.
— Manu ?… Hum… Assieds-toi, je t’en prie, propose Santiago en pointant un tabouret du doigt. Où sont mes hommes ?
— Ils roupillent dans le placard de la cuisine !
— Faudra que je vire ces baltringues ! soupire le Gitan. Assieds-toi, je te dis. Tu veux me fumer, j’ai compris, mais on peut discuter avant, non ?
Désarçonné, Izri obéit. Il tire le tabouret et s’assoit à deux mètres de la baignoire.
— Alors, ils t’ont libéré ?
— Comme tu vois.
— Mon neveu était un petit connard, continue Santiago en rallumant son cigare. Tu as bien fait de le renvoyer auprès du Seigneur. Si tu ne l’avais pas buté, je l’aurais étranglé de mes propres mains.
Izri reste sans voix une seconde.
— Il m’a désobéi. Et voilà comment ça a fini…
— Arrête de m’embrouiller ! tonne Izri d’une voix sourde.
— Je n’essaie pas de t’embrouiller, mon gars ! Je t’explique… Si tu es là ce soir, dans ma salle de bains, c’est sans doute parce que tu penses que j’ai ordonné l’exécution de Manu pour venger mon crétin de neveu, n’est-ce pas ?
Izri ne prend pas la peine de répondre.
— Tu crois tout savoir… C’est de ton âge ! Mais en fait, tu sais que dalle.
La main d’Izri se crispe sur la crosse de son Glock. Les yeux perçants de Santiago le sondent jusqu’à l’âme.
— C’est pas moi qui ai demandé à mon neveu de monter sur toi. Au contraire, je le lui avais interdit. Ça faisait un moment qu’il gesticulait dans tous les sens… Il voulait se faire une place, montrer qu’il était un homme, un vrai ! Récupérer vos affaires. Mais moi, je n’ai pas besoin de tes affaires, Izri… Ton petit royaume ne m’intéresse pas. Le mien me suffit amplement ! Parce que tu n’arrives même pas à me faire de l’ombre !
Les mâchoires d’Izri se contractent, sa respiration s’accélère. Sa cible se permet de l’insulter, un comble !
— Tu me prends pour un con ? Personne n’oserait te désobéir au sein de la famille !
— C’est ce que je pensais… Mais faut croire que je me fais vieux… Vous m’avez rendu service en butant ce petit con et je n’avais aucune raison de liquider Manu.
— Qui alors ? s’écrie Izri. Et tous mes hommes qui se sont fait descendre pendant que j’étais en taule, hein ?
Santiago lève les mains devant lui en signe d’ignorance.
— À mon avis, tu devrais chercher dans ta propre famille.
— Tu crois que je vais avaler ça ?
— J’essaye juste de t’ouvrir les yeux, mon garçon. Parce que tu t’apprêtes à faire une énorme connerie et franchement… je t’aime bien, Izri, et je voudrais t’éviter ça.
Maintenant, il ose le menacer. Izri a envie de presser la détente du Glock, pourtant, quelque chose le retient.
— Qui ? demande-t-il froidement.
Le Gitan réfléchit une seconde puis esquisse un léger sourire.
— C’est dur d’être trahi par les siens, Izri, continue-t-il. Je le sais parce que ça m’est arrivé par le passé. Quand tu es au sommet, tu suscites la jalousie, c’est inévitable… J’ignore qui veut te baiser, Iz… Franchement, je n’en sais rien. Il y a des bruits qui courent…
— Quels bruits ?
Santiago continue de le fixer droit dans les yeux. Son regard ne reflète pas la moindre peur.
— Chakir, lâche-t-il.
— Chakir ? répète Izri. Tu plaisantes, j’espère ?
— C’est ce que j’ai entendu. Mais je n’aime pas accuser à tort. Bon, on fait quoi, maintenant ? Tu me descends ou on boit un verre ?
Izri sent sa détermination s’effriter dangereusement. Impressionné par son adversaire, par sa bravoure, il ne sait plus ce qu’il doit croire. Et il est conscient que s’il assassine le Gitan, il ne sera plus jamais en sécurité nulle part.
Dans le clan Santiago, la vengeance n’est pas un passe-temps. C’est une raison de vivre.
Il se lève, gardant son adversaire en ligne de mire.
— Si tu m’as menti, je reviendrai, dit-il.
— Alors, tu ne reviendras pas, conclut le Gitan. Tu sais, Izri, j’ai toujours respecté Manu. Je n’irai pas jusqu’à dire que sa mort m’a fait de la peine, mais… ouais, c’était un mec droit. Et j’espère que tu marcheras dans ses traces, mon garçon.
La porte s’ouvre, Tama ferme les yeux. Elle les rouvre aussitôt pour voir s’avancer Greg et ses deux acolytes. Le premier s’appelle Robin, elle a oublié le prénom du second, aperçu trois ou quatre fois pendant les soirées organisées par Izri.
— Salut mes petites chéries ! lance Greg avec un sourire abject. Je ne vous ai pas trop manqué, j’espère ?
Les tessons de bouteille sont juste derrière la poutre, planqués sous un sac en plastique.
— Les gars, je vous présente Amour, continue Greg en désignant Tayri avec son index, la future reine de la pipe ! Bon, elle a encore des progrès à faire, mais ça va venir. Et puis à sa droite, vous la connaissez déjà… La lionne de l’Atlas, la charmante petite Tama !
— Tu t’emmerdes pas, toi ! ricane bêtement Robin.
Le téléphone de Greg sonne, il le cherche dans ses poches avant de décrocher. Un portable à touches, comme celui qu’Izri utilisait pour appeler Manu. Tama peut discerner la voix rauque de son interlocuteur. Une voix qu’elle ne connaît pas. Elle saisit quelques mots à la volée.
— … ton copain Izri…
Le cœur de Tama bondit dans sa poitrine.
— Ah…
— … buter, mais… contraire…
— Faut dire qu’il est pas difficile à convaincre, sourit Greg. Il gobe à peu près n’importe quoi !
Il fait un clin d’œil à Tama qui préfère tourner la tête pour dissimuler toute la violence qui bouillonne dans ses veines.
— Je lui ai dit de…
— Parfait, ça va l’occuper ! Et s’il peut nous en débarrasser, c’est encore mieux.
— C’est nous qui… occuper… lui…
— C’est prévu, ne t’en fais pas. C’est prévu…
L’inconnu raccroche, Greg remet le portable dans sa poche. Tama, elle, se déplace légèrement, comme si elle voulait s’éloigner de ses ennemis.
Se rapprocher de son arme.
Tayri est pétrifiée, incapable du moindre mouvement. Tama la regarde pour l’encourager à surmonter sa peur.
— Bon, les gars, laquelle vous voulez ?
— Les deux ! répond Robin. Les deux, mon pote.
— Celle de gauche, interdiction de l’abîmer, précise Greg. Demain, on vient me l’acheter et il faut pas qu’elle ait la gueule de travers, OK ?
Celui dont Tama a oublié le prénom se penche sur elle. Il a une haleine chargée, mélange de bière et de tabac froid.
— Tu te souviens de moi ?
— Je me rappelle juste que tu étais aux ordres d’Izri, répond froidement Tama.
— J’ai jamais été aux ordres de ton mec !
Elle le défie d’un sourire bravache.
— C’est pourtant l’impression que tu donnais ! Tu veux que je te serve un verre, Iz ? Tu veux que j’aille t’acheter des clopes, Iz ? raille-t-elle.
— Elle a du cran, cette gamine ! dit Robin. Je croyais que tu l’avais dressée ? J’ai l’impression que t’as pas terminé le boulot !
— Une vraie garce ! confirme son nouveau patron. Mais, dans quelque temps, elle me mangera dans la main, tu verras…
— Je m’appelle Diego, continue le buveur de bière.