— Et alors ? rétorque Tama.
— Et alors je vais te baiser.
— Tu seras pas le premier.
Déstabilisé par tant d’audace, Diego se tourne vers Tayri.
— Toi, tu m’as l’air plus gentille, non ?
Paralysée, Tayri garde le silence.
— Et beaucoup moins bavarde !
Il la soulève du sol, elle émet un petit cri d’oiseau effrayé.
— Allez, n’aie pas peur ! rigole Diego.
Tandis qu’ils s’intéressent tous les trois à Tayri, Tama passe discrètement la main derrière la poutre et empoigne le tesson de bouteille.
Ils sont trois, elles sont deux. Peut-être même que Tama sera seule. Elle devrait renoncer. Trop risqué, trop dangereux.
Perdu d’avance.
Mais demain, il sera trop tard.
Tama se lève d’un bond et se rue sur Diego. Elle lui tranche la jugulaire, il pousse un hurlement pathétique avant de s’écrouler sur le sol crasseux. Ses deux copains sont si surpris qu’ils mettent une seconde à réaliser. Une seconde pendant laquelle Tama virevolte sur elle-même et déplie son bras pour fendre le visage de Greg, de la tempe jusqu’aux lèvres. À son tour, il s’effondre.
Robin se jette sur Tama, la plaque contre la poutre, tord son poignet pour essayer de lui faire lâcher son arme.
— Tayri ! s’écrie-t-elle.
Tayri est toujours ligotée par une peur intense.
Tama sent l’os de son poignet se briser, elle hurle avant de lâcher le tesson. Robin lui file un coup de tête, elle glisse lentement jusqu’au sol. Il récupère un gros morceau de verre à ses pieds, saisit Tama par le cou, la colle à nouveau contre l’étai.
— Tu vas voir ce que ça fait, salope !
Au moment où il s’apprête à lacérer le visage de Tama, Tayri réagit enfin. Elle attrape un bidon d’huile de vidange et frappe le crâne de Robin. Il se retourne, plante le tesson dans le ventre de Tayri. Puis il porte une main à sa tête, vacille. Ensemble, ils tombent à genoux.
Tama se relève, en proie à un puissant vertige. Son nez pisse le sang, son poignet envoie d’atroces signaux de douleur à son cerveau. Elle fouille les poches de Greg, récupère la clef et ouvre la porte. Puis elle soutient Tayri pour l’aider à se mettre debout et à sortir de la remise.
— Allez, viens ! murmure-t-elle. Courage…
Tayri arrive à marcher jusqu’à l’Audi garée dans la cour et s’adosse à la carrosserie, le dos courbé, une main ensanglantée sur sa blessure.
— Reste là, je vais chercher la clef de la bagnole !
Tama se précipite dans la maison, trouve la télécommande de l’Audi dans l’entrée, ressort aussitôt. Elle appuie sur un bouton, les phares s’allument. Elle en essaie un autre, les portières se déverrouillent. Elle prend Tayri par les épaules, la fait grimper sur le siège passager, lui confie la télécommande et claque la portière. Sur le point de s’évanouir, elle prend appui quelques secondes sur le capot et ferme les yeux.
— Attention, Tama ! s’écrie Tayri.
Ses paupières se rouvrent au moment où Robin fond sur elle. Ils atterrissent sur le sol et Tama tente de repousser l’agresseur.
— Sauve-toi, Tayri ! hurle-t-elle. Sauve-toi !
Tandis que Robin essaie de neutraliser Tama, Tayri se glisse derrière le volant. Elle enclenche la marche arrière, accélère, fracasse le portail en bois avant de percuter une voiture garée dans la rue. Robin se relève pour courir jusqu’à l’Audi, mais Tama attrape sa cheville et il s’étale de tout son long.
— Barre-toi ! hurle-t-elle à nouveau.
Tayri jette un dernier regard à son amie. Robin est sur elle, lui assénant une série de coups de poing en pleine tête. Alors, elle passe la première et met le pied au plancher. La voiture cale, Tayri pousse un cri désespéré mais parvient à redémarrer. Quand elle arrive au bout de la rue, elle aperçoit Robin dans son rétroviseur. Il s’élance à la poursuite de la voiture.
Une voiture qu’il ne rattrapera jamais.
Allongé sur son lit, Izri fume une cigarette.
Les paroles du Gitan tournent en boucle dans sa tête.
Tu devrais chercher du côté de ta propre famille.
Il a déjà été balancé aux flics par la femme qu’il aime, a du mal à imaginer qu’un de ses hommes l’a trahi.
Chakir… Un gars sérieux, fidèle parmi les fidèles. Un ami de Manu, un ami de longue date.
Un mec droit, comme dirait Santiago.
— Putain, c’est pas possible ! murmure Izri. Pas toi…
Mais qui, alors ?
Il doit en avoir le cœur net. Dès demain, il téléphonera à Tarmoni, lui demandera de mettre Chakir sous surveillance. Il attrape son portable, appelle Greg en numéro privé. Il tombe sur le répondeur, laisse un message.
— C’est moi, Greg. Je voulais te parler d’un truc… Je te rappelle demain. Bonne nuit, mon frère.
115
— J’ai roulé une partie de la nuit. Tama m’avait dit que si on parvenait à se sauver, il fallait aller chez la grand-mère d’Izri, Wassila… Elle m’a expliqué où elle habitait, que sa maison était l’une des seules sur la départementale… Le GPS de l’Audi est à reconnaissance vocale. À la sortie de Montpellier, j’ai réussi à entrer le nom du village. Il m’a fallu du temps pour comprendre comment marchait ce machin, mais j’y suis arrivée.
Tayri fit une pause dans son récit, revivant cette terrible nuit qui l’avait conduite jusqu’à Gabriel.
— Je n’ai pas trouvé la maison de Wassila… J’avais de plus en plus mal, je n’y voyais plus grand-chose. J’ai continué sur cette route et dans un virage, j’ai perdu le contrôle. Peut-être que je me suis évanouie, je ne m’en souviens plus… Tout ce que je sais, c’est que je me suis réveillée dans la voiture. J’avais du sang partout sur le visage, j’avais froid, j’avais mal… Je ne savais plus très bien qui j’étais. Une sorte d’état second… J’ai fouillé la boîte à gants, j’ai trouvé le flingue. J’ai enfilé un blouson qui était dans le coffre et je suis partie sur la route parce que la voiture ne voulait plus démarrer. J’espérais trouver un village… J’ai marché longtemps, je suis tombée souvent… Et puis j’ai vu de la lumière. C’était celle de ta maison. Je… Je voulais frapper à la porte, mais… j’ai eu peur. Peur que ceux qui vivaient là n’appellent la police. On venait de tuer un homme, tu comprends… Alors, j’ai poussé la porte de l’écurie, je me suis couchée dans la paille en me disant que je repartirais avant le lever du jour. Je me suis réveillée quand tu es arrivé. Je me souviens t’avoir menacé avec le pistolet, je me souviens qu’on est entrés chez toi… Ensuite, c’est le trou noir.
— Ensuite, tu t’es écroulée d’un bloc, poursuivit Gabriel. Tu étais complètement épuisée. Tu es tombée devant moi et ta tête a percuté le sol. Si violemment que j’ai cru que ça t’avait tuée.
Tayri fixa Gabriel au fond des yeux.
— Il faut sauver Tama, dit-elle. Il faut sauver Tama !
Gabriel alluma une cigarette et soupira.
— Tu sais, Tayri, il y a de fortes chances qu’elle soit morte à l’heure qu’il est.
— Non ! Non… Elle est vivante, je le sens… Après tout ce qu’elle a fait pour moi, je ne peux pas l’abandonner.
— Je comprends… Est-ce que tu connais l’adresse de ce Greg ? Son nom, au moins ?
Tayri baissa les yeux.
— Serais-tu capable de retrouver sa maison ? Parce que Montpellier, c’est grand…
— Je… Je ne sais pas, avoua Tayri. Je n’en suis pas sûre. Tu veux bien m’aider ?