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D’heure en heure, de jour en jour, ma haine grandit. Chaque fois que je regarde Mejda, j’ai envie de vomir. Envie de la tuer.

Mais je n’ai qu’elle. Elle, et personne d’autre.

Sans elle, que deviendrais-je ? Mon propre bourreau est aussi mon seul repère.

Dans ce monde, je n’ai aucune place. Je ne suis rien.

Alors, souvent, je me dis que je devrais rejoindre Marguerite. Je ne sais pas si elle est montée au paradis, mais peu importe. L’enfer auprès d’elle, ça ne peut qu’être mieux que ma vie ici-bas.

* * *

Aujourd’hui, c’est dimanche. Izri est venu déjeuner à midi. Il était accompagné d’une fille et j’ai compris que c’était sa petite amie. Elle s’appelle Yasmine, elle est grande, brune et très jolie. J’aurais dû me réjouir pour lui, pour eux, mais les voir ensemble a fini de me briser le cœur. Pourtant, Izri n’est rien pour moi.

Et surtout, je ne suis rien pour lui.

Yasmine a demandé pourquoi je ne mangeais pas avec eux. L’embarras de Mejda face à cette question était cocasse. Elle a prétendu que j’étais sa nièce et travaillais pour elle, afin de payer mes études en France. Mais je crois que Yasmine n’a pas été dupe. Après le repas, elle m’a retrouvée dans la cuisine pour m’aider à faire la vaisselle. J’ai refusé en lui expliquant que c’était mon travail, mais elle est restée près de moi et m’a posé des questions auxquelles je n’ai pas pu répondre. L’école où j’allais, par exemple.

Alors, pendant que Mejda avait le dos tourné, j’ai ouvert la loggia, faisant mine d’aller chercher un torchon propre. Yasmine a vu les couvertures par terre.

— Mejda a un chien ? a-t-elle demandé.

— Non, ai-je répondu.

— Mais… ces couvertures, ça sert à quoi ?

J’ai gardé le silence et je sais qu’elle a lu la réponse dans mes yeux. Mejda a déboulé dans la cuisine, a pris Yasmine par le bras pour l’entraîner dans le salon.

Est-ce qu’un jour quelqu’un me viendra en aide ? Maintenant que Marguerite n’est plus là, j’en doute.

* * *

Mejda ne m’ayant pas encore trouvé un autre client, je passe les lundis à m’occuper de son appartement. Je voulais des vêtements noirs pour pouvoir les porter le lundi. Comme je n’en ai pas, j’ai repéré un flacon de teinture sur les étagères et j’ai décidé de teindre ma blouse et mon tee-shirt. J’ai fait ça hier et, ce matin, quand elle s’est enfin levée, Mejda est restée sidérée en me voyant tout de noir vêtue.

— Qu’est-ce que t’as foutu avec tes fringues ? m’a-t-elle craché au visage.

— Je les ai teintes en noir.

— T’es folle ou quoi ?!

Elle a serré les dents puis s’est exilée dans le salon pour boire son café. Elle est tellement radine que je sais qu’elle ne m’achètera pas de nouvelle blouse.

Ainsi, chaque jour, elle se souviendra de Marguerite. Je ne la laisserai pas oublier son crime.

Il est 14 heures quand Sefana arrive. Elle ne me dit pas bonjour et s’installe dans le salon avec sa cousine. Mejda me hurle de préparer du thé et je m’exécute. J’entends Mejda annoncer à Sefana que Yasmine a quitté Izri et qu’il en est très malheureux.

Je me réjouis de cette nouvelle, mais l’instant d’après, je m’en veux. Si Izri est malheureux, je suis malheureuse.

Lorsque j’apporte le thé, Sefana me regarde enfin.

— Qu’est-ce que t’as fait à ta blouse ? me dit-elle.

— Je l’ai teinte en noir. Parce que je porte le deuil de Mme Marguerite.

— Qui ?

— Laisse tomber, lui dit Mejda. Elle est cinglée, c’est tout !

Je sers le thé et, involontairement ou pas, j’en renverse sur les cuisses de Mejda. Elle hurle et se lève d’un bond avant de me coller une gifle qui me fait perdre l’équilibre. Je renverse le reste du thé sur le tapis, ce qui finit de l’énerver. Alors, elle prend la tasse de Sefana et me jette le contenu à la figure.

À mon tour de hurler.

À genoux sur le tapis, je tiens mon visage entre mes mains.

— Va refaire du thé ! ordonne-t-elle.

Je relève la tête, la regarde fixement.

— T’as entendu, petite conne ? Va refaire du thé !

Je me remets debout et continue à la défier du regard. C’est comme si je ne sentais plus la douleur.

— Sale voleuse de morts…

— Qu’est-ce que tu as dit ?

— J’ai dit que vous n’étiez bonne qu’à voler les morts ! m’écrié-je.

Le visage de Mejda devient aussi rouge que le mien.

— Je vous ai vue voler les bijoux et l’argent de Mme Marguerite alors qu’elle venait de mourir. Vous irez en enfer ! Parce que Mme Marguerite, c’était une sainte.

Mejda se jette sur moi. Elle serre ses griffes autour de mon cou, de toutes ses forces, en hurlant comme une damnée.

Je ne me débats pas. Si je veux rejoindre Marguerite, je dois la laisser finir le travail, même si c’est douloureux. Au bout d’un moment, elle me lâche et je m’effondre sur le sol. Malheureusement, je respire encore. Mejda attrape une chaise et me frappe violemment avec.

J’encaisse, l’un après l’autre, les coups de cet animal enragé. Je sens que je pars, que je tombe dans le vide. Mais, avant de quitter ce monde, j’ai encore le temps d’entendre Sefana qui s’interpose.

Ensuite, c’est le calme absolu.

Le noir, total.

Le silence parfait.

48

Grâce aux indications de Lady Ekdikos, Gabriel savait où trouver sa cible.

La journée, Hubert Fongalone travaillait au sein d’une société d’import-export située dans le 15arrondissement de Paris. La nuit, il dormait dans un appartement, avenue Émile-Zola.

C’est là que Gabriel s’était posté. Juste devant l’entrée de l’immeuble, attendant que quelqu’un y pénètre pour s’y faufiler.

Fongalone n’était pas marié, n’avait pas d’enfants.

Ce soir, il mourrait seul.

17 heures, Gabriel allait sans doute attendre un long moment, mais peu importait. Il avait appris la patience. Appris à rester immobile des heures durant, à se fondre dans le décor.

Il songeait à Lana et un sourire éraflait le marbre de son visage. Les souvenirs défilaient dans sa tête, lui faisant presque oublier le bruit qui l’entourait.

Il n’y avait plus que Lana. Son rire, ses petites manies. La douceur de ses gestes, l’éclat de ses yeux.

Tout ce qu’il n’avait pas su sauver.

Vers 18 h 30, Hubert Fongalone arriva chez lui. Il tapa le code et poussa la porte de l’immeuble cossu. Il s’enferma dans l’ascenseur pour monter jusqu’au cinquième. Il appuya sur l’interrupteur, mais la lumière de la coursive refusa de s’allumer. L’ampoule était cassée et il maugréa quelques injures à l’intention du syndic tout en avançant dans l’obscurité jusqu’à son appartement. Il sortit la clef de sa poche, eut du mal à trouver le trou de la serrure. Lorsqu’il y parvint enfin, une main se posa sur son épaule. Il sursauta, reçut une lumière aveuglante dans les yeux, suivie d’une puissante décharge électrique en plein thorax.

Quand Hubert Fongalone revint à lui, il était dans sa chambre, allongé sur son matelas. L’instant d’après, il réalisa que ses poignets et ses chevilles étaient attachés aux montants du lit. Il paniqua, tira sur les cordes qui l’entravaient. Il aurait voulu hurler, mais quelque chose était enfoncé dans sa bouche.

Lorsqu’il tourna la tête, il aperçut Gabriel, assis sur une chaise.

— Pas la peine de te contorsionner, annonça-t-il. Tu ne peux ni bouger, ni parler.