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Gabriel s’approcha de sa victime.

— Tu as quelque chose à dire ?

Fongalone hocha la tête.

— OK, j’enlève ton bâillon. Mais si tu cries, t’es mort, c’est clair ?

Gabriel arracha le chiffon enfoncé dans la bouche de la cible. Il cracha un peu de salive, reprit une grande inspiration.

— Qui êtes-vous ?

Question banale. La réponse ne le serait pas.

— Je suis un fantôme… Le fantôme de Lana.

Le front de Fongalone se plissa.

— Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Désolé, mais tu n’avais droit qu’à une seule question, soupira Gabriel.

Il remit le chiffon dans la bouche de l’homme et colla un morceau de scotch sur ses lèvres. Puis il se rassit sur sa chaise et croisa les jambes.

— Tu as du mal à respirer parce que j’ai placé un collier autour de ton cou, dit-il. C’est un collier un peu particulier. Il est en cuir mouillé… En séchant, le cuir va se rétracter et t’étrangler. Je te préviens, ce sera long et douloureux. Mais pour que ça aille plus vite, j’ai poussé le chauffage à fond…

Fongalone tenta de crier, secoua la tête, tira à nouveau sur ses entraves.

— Je pourrais te laisser crever tout seul, mais je suis un homme prudent, ajouta Gabriel. Alors, si ça ne te dérange pas, je vais rester jusqu’à la fin… Je ne suis pas pressé, mon train n’est qu’à 9 heures, demain matin. Mais bon, à 9 heures, il y a longtemps que tu seras mort.

Pendant quelques minutes encore, l’homme s’épuisa à se débattre. Puis Fongalone s’immobilisa, ayant compris qu’il ne parviendrait pas à se détacher. Il tourna à nouveau la tête vers son tortionnaire, le supplia du regard.

— J’ai envie de te parler de Lana. Elle aimait les chevaux, l’opéra et le thé. Les romans d’amour, les films d’horreur… Et puis, elle m’aimait, moi. Elle détestait le café, les robes de soirée, les escarpins à talons, le chocolat au lait… Elle se levait tôt, se couchait tard. Elle disait que dormir, c’est perdre du temps. Parce que la vie est courte. Moi, je la trouve trop longue. Et toi ?… Hmm… Toi, évidemment… Lana, elle aimait rire, tu sais. Elle était drôle, elle était belle.

Longtemps, Gabriel parla. Quand il se tut, Fongalone était mort. Ses yeux révulsés fixaient le plafond. Une odeur âcre émanait de son entrejambe.

Alors, Gabriel vida les tiroirs, les armoires. Il déchira les coussins du canapé, mit les quelques bijoux dans son sac à dos avant de quitter l’appartement dévasté.

Il traversa la nuit, il traversa Paris. Y laissant quelques murmures, quelques larmes aussi.

Lorsqu’il arriva à l’hôtel, il s’effondra sur son lit et s’endormit aussitôt.

À des centaines de kilomètres de la capitale, une jeune femme dormait aussi. D’un sommeil profond mais agité.

Sa main libre serrait désespérément les draps. Son cœur battait vite, au rythme des réminiscences qui explosaient dans son cerveau. Et qui s’effaceraient peut-être le matin venu…

49

Laisser ses pieds s’enfoncer dans le sable chaud. Éprouver la caresse de la poussière sur sa peau.

Tama court, sans s’arrêter.

Portée par l’allégresse de la liberté retrouvée, elle court.

Poussée par le vent brûlant du désert, elle n’est même pas essoufflée.

Devant elle, l’inconnu.

Derrière elle, l’enfer.

La légèreté, la douceur. L’apesanteur.

L’air n’est pas étouffant. Juste tiède. Tiède et nourrissant, tel le liquide amniotique d’un ventre maternel.

Aucun bruit, aucune menace. Aucune douleur.

Plus aucune peur.

Un horizon sans nuages et sans crainte.

Tama court.

C’est alors qu’il sort du néant pour venir vers elle. Atek virevolte au-dessus de sa tête, dans un ciel transparent. Elle écoute son chant, si beau, si pur.

Je savais que tu n’étais pas mort !

Il est son guide.

À chaque foulée, s’éloigner de l’injustice, de la souffrance, des humiliations. De tout ce qui a fait sa vie jusqu’à cette seconde. Elle entend battre son cœur comme jamais auparavant.

Son cœur et celui d’Atek.

Elle n’entend rien d’autre. Plus de grondement, de cris ni de rage.

Tama est au paradis.

Un pas, encore, les yeux dans le ciel.

Et soudain, elle tombe dans un abîme.

Une chute sans fin.

Tama ouvre les paupières. Pendant quelques secondes, sa respiration se coupe, son esprit se cherche. Il lui faut d’interminables minutes pour comprendre qu’elle est dans la loggia, juste à côté de sa couverture. Elle essaie de bouger mais la douleur l’en empêche. Tout son corps hurle de souffrance.

L’une de ces douleurs est plus violente encore que les autres. Tama n’arrive pas bien à la situer. On dirait que ça vient de son épaule gauche. Elle décide d’éviter le moindre mouvement et tente de se rappeler ce qui s’est passé.

Sale voleuse de morts…

Quelques larmes roulent sur ses joues brûlées.

Ce rêve était si beau. Le soleil, le ciel, ses pieds qui s’enfonçaient dans les grains de sable chaud. Atek, le vent, le vide. Le calme.

Si la mort ressemble à cette course dans le désert, si la mort c’est se sentir légère comme une plume, Tama veut mourir. Une fois encore.

Mourir, maintenant.

Mourir, et rien d’autre.

Elle a quitté le paradis mais a réussi à rejoindre sa couverture. En rampant tel un animal mortellement blessé. Ne pouvant atteindre l’interrupteur, elle se recroqueville dans le noir et tremble de tous ses membres. Son corps n’est qu’hématomes, ecchymoses. Tama est une meurtrissure, une plaie. Ses pieds sont prisonniers de la glace, sa tête est remplie de braises incandescentes.

Pourquoi ne se décide-t-elle pas à mourir ? Pourquoi s’accroche-t-elle ainsi à la vie ?

Le jour s’est levé. Puis le soleil s’est à nouveau couché. Tama a ouvert les yeux deux ou trois fois. Pas plus.

La porte de la loggia, elle, est restée fermée.

Comme elle ne peut bouger, Tama est obligée d’uriner sur elle et sa couverture. Au beau milieu du chaos, elle se demande comment elle va faire pour la nettoyer puisqu’elle est trop épaisse pour entrer dans la machine à laver.

Le jour, à nouveau. Tama ne peut le voir. Elle se noie dans un océan rougeâtre, cernée par des récifs acérés. Au loin, flottent des épaves disloquées qui ont dû, un jour, être ses rêves.

Des flammes dévorent son cerveau, sa bouche est sèche comme le désert.

La nuit, encore.

Tama rêve de boire un verre d’eau. Des litres d’eau.

Tama rêve de trouver des bras pour s’y réfugier.

Tama rêve de mourir, une bonne fois pour toutes.

* * *

Une voix lointaine et douce.

— Tama ? Tu m’entends ?… Tama ?

Une voix qu’elle a déjà entendue, qu’elle a toujours aimé entendre.

— Tama ?

Première tentative, ses paupières retombent aussitôt. Pendant une seconde, elle a cru apercevoir le visage d’Izri, comme une hallucination.

— Tama, réveille-toi…

Deuxième tentative, c’est bien Izri qui est penché sur ce qu’il reste d’elle.

— Tu me vois ?

Elle bouge ses lèvres gonflées sans parvenir à émettre le moindre son. Izri s’éloigne et revient avec un verre d’eau. Il l’aide à boire, elle manque de s’étouffer.