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— Vous avez tué quelqu’un ? osa-t-elle.

— Oui.

— Co… comment ?

Il sembla étonné qu’elle pose la question.

— Strangulation.

Elle ferma les yeux, réprimant ses tremblements. Parler avec l’assassin, peut-être l’apprivoiser. Mais plus elle en saurait sur lui, plus ses chances de sortir vivante de cette chambre s’amenuiseraient.

— Et moi ?

— Quoi, toi ?

— Comment vous allez me tuer ?

Elle entendit la porte de la chambre se refermer et se sentit désespérément seule. Aucun moyen d’appeler au secours, aucun souvenir auquel se raccrocher.

Rien, sinon le vide.

51

Izri est passé chaque jour, jusqu’à ce que je puisse me lever. Il m’a donné à manger, à boire.

Il m’a raconté l’enterrement de Marguerite et j’ai appris qu’il avait déposé une rose sur son cercueil. Une rose de notre part à tous les deux.

Deux de ses fils étaient présents, même pas les trois. Marguerite a été inhumée dans le carré des indigents, sans pierre tombale avec son nom inscrit dessus. De la terre, c’est tout.

J’ai beaucoup pleuré dans ses bras. J’aurais voulu être là pour accompagner mon amie jusqu’à son ultime demeure. Moi qui ai été la dernière à la voir, à lui parler, à lui tenir la main.

Moi qui l’ai aimée, si fort.

Jour après jour, Izri a mené son enquête. Une drôle d’enquête. Il voulait savoir de quoi sa mère était capable, sans doute.

Il voulait des détails sur ce qu’elle m’avait fait subir. Bizarrement, je n’ai pas réussi à lui en donner. Les mots restaient coincés au fond de ma gorge. Au fond de ma peine, au fond de ma peur.

Il m’a demandé d’où venait ma brûlure dans le dos, je lui ai simplement dit que c’était un fer à repasser qui m’avait fait ça.

Un soir, alors qu’il me pensait endormie, je l’ai entendu murmurer des choses. Je n’ai pas ouvert les yeux, je l’ai simplement écouté. Je crois qu’il pleurait.

Ma mère a souffert, tu sais. C’est pas elle, pas vraiment sa faute… Elle est devenue folle, sans doute…

Quand j’ai été mieux, il m’a assuré que Mejda ne me ferait plus jamais de mal. Qu’il me donnait sa chambre, qu’elle était d’accord. Que je n’aurais plus à dormir par terre dans la loggia et que je pourrais utiliser les toilettes.

Ça me paraissait trop beau pour être vrai. Je ne l’ai pas cru, mais l’ai tout de même remercié. Et je lui ai dit que je penserais à lui chaque seconde.

Ensuite, Izri est venu un jour sur deux, un jour sur trois. Puis une fois par semaine.

Mejda s’est montrée patiente.

Terriblement patiente. Et diaboliquement intelligente.

D’abord, elle a tout fait pour obtenir le pardon de son fils. Elle s’est excusée, l’a supplié. Elle s’est repentie. Jour après jour, elle a calmé sa colère.

Elle a prétendu que les sévices infligés par son ancien mari l’avaient rendue mauvaise mais qu’elle allait se reprendre. Avec un certain talent, je suis obligée de le reconnaître, elle a joué sur la corde sensible en évoquant la période où elle protégeait Izri tant bien que mal des brutalités de son père.

Il m’a dit que sa mère avait dérapé, qu’elle ne recommencerait pas et que, si je lui obéissais, tout irait bien. Je l’ai trouvé bien naïf, mais, après tout, c’est sa mère. Alors, forcément, il s’est laissé convaincre de sa bonne foi.

Quand Izri a espacé ses visites, Mejda est passée à l’attaque. Entre nous, un drôle de jeu a commencé.

Un jeu de massacre.

Les règles étaient simples : me faire souffrir sans laisser de traces. Et finalement, ce n’est pas si compliqué. Il suffit d’avoir beaucoup d’imagination. Beaucoup de haine, aussi.

J’ai essayé de me défendre, mais Mejda est plus grande et bien plus forte que moi. Elle pèse au moins quatre-vingts kilos alors que je n’en fais même pas cinquante.

Et surtout, Mejda est une professionnelle du mal.

Alors que, moi, je ne suis qu’une apprentie.

* * *

Tama se mire un instant dans la glace de la salle de bains.

Vraiment une sale gueule.

Blême, des cernes sous les yeux, les joues creusées. Même ses cheveux ne sont pas beaux à voir.

— Qu’est-ce que tu fous ? grogne Mejda en ouvrant la porte.

Leurs regards se croisent un instant, par miroir interposé. De longues secondes à se jauger, se défier en silence.

— Magne-toi de me nettoyer tout ça.

Tama attrape l’éponge et récure le lavabo. Mejda l’observe, assise sur le rebord de la baignoire. Elle n’en perd pas une miette.

— Que tu es laide, soupire-t-elle. Ta mère doit se retourner dans sa tombe… !

— Ma mère m’aimait.

— Ce n’est pas ce que ton père m’a dit quand il t’a vendue. Parce que tu t’en souviens, hein ? Ton propre père t’a vendue, comme il aurait vendu une chèvre !

Tama sent son petit cœur se contracter à mort. Répondre, c’est engager le combat. Elle n’aura pas la force, aujourd’hui. Ni demain, sans doute.

— Mais moins cher qu’une chèvre, ajoute Mejda.

Tama s’acharne sur la porcelaine du lavabo puis astique le miroir de longues minutes.

Soudain, elles entendent la porte d’entrée s’ouvrir, la voix d’Izri. Tama esquisse un sourire, Mejda se décompose et quitte bien vite la pièce.

Tama, elle, reste à sa place. Inutile de se presser. Pourtant, ça fait des jours qu’elle attend cet instant. L’instant où il va revenir, se rendre compte.

L’instant où il mettra fin à son supplice.

— Tama ?

La jeune fille délaisse sa tâche pour rejoindre Izri dans le salon. D’un signe de la main, il ordonne à sa mère de s’éloigner.

— On s’assoit ? propose-t-il.

Elle s’installe à côté de lui, sur le canapé, posant sagement les mains sur ses genoux.

— Alors ?

Tama hésite deux ou trois secondes avant de se lancer. Elle raconte tout, dans les moindres détails.

Comment Mejda l’a obligée à retourner dormir dans la loggia, comment elle l’a forcée à avaler de la nourriture avariée jusqu’à ce qu’elle vomisse du sang. Comment elle lui a plongé la tête dans le lavabo, manquant de l’asphyxier. Les heures passées à genoux sur une règle en bois.

Le visage d’Izri se durcit, mot après mot. Il allume une cigarette, la fume en silence avant de l’écraser dans le cendrier avec de la rage plein les mains. Il va dans la cuisine, laisse la porte ouverte.

Des larmes, des cris, des supplications. Des mots durs.

Mejda nie tout en bloc. Jure qu’elle ne comprend pas pourquoi Tama s’acharne à la détruire ainsi aux yeux de son fils alors qu’elle a changé et redouble d’efforts.

Cette fille est une petite perverse qui veut jouer avec toi ! Elle veut t’embobiner, nous monter l’un contre l’autre !

Izri fouille la cuisine, à la recherche d’aliments gâtés. Il inspecte la loggia, n’y trouve pas les couvertures. Il se rend dans son ancienne chambre et voit la poupée de Tama sur le lit. En proie au doute et aux tourments, il ne dit plus un mot, ne sait plus qui croire.

Tama se sent coupable. Coupable de le torturer ainsi. Alors, elle s’approche et lui murmure :

— Ce n’est pas grave. Ne t’en fais pas pour moi.

Il observe longuement les deux femmes.

D’un côté, sa mère. Sa propre mère. Celle qui l’a porté dans son ventre, lui a donné le sein. Et pas grand-chose d’autre, d’ailleurs.