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De l’autre, une gamine qu’il connaît à peine.

Il les quitte en laissant une phrase dans son sillage.

Je reviendrai bientôt.

Dès qu’il a passé la porte, Mejda court jusqu’à la fenêtre. Elle le regarde monter dans sa voiture et quitter le parking.

— Retourne nettoyer la salle de bains, ordonne-t-elle à Tama.

S’attendant à des représailles, la jeune fille ne se fait pas prier pour disparaître. Mais un quart d’heure plus tard, Mejda la rejoint. Elle la saisit par les cheveux, la traîne ainsi jusque dans la cuisine. Elle la pousse si fort que Tama s’effondre sur le carrelage. Mejda pose une chaise sur elle et s’assoit dessus.

Immobiliser sa proie.

Ensuite, elle prend tout son temps…

Elle m’attache les poignets dans le dos, arrache mes vêtements. Puis elle se remet sur la chaise, enfile des gants en latex et prépare tranquillement une purée de piment dans un bol.

Avec un sourire d’une infinie tendresse, Mejda chante. Une chanson en français, sorte de berceuse pour endormir les enfants.

Il faudrait, je crois Pour te rendre sage Un manteau de soie De jolis corsages…

Quand elle quitte la chaise, je me relève d’un bond et me mets à courir malgré mes poignets entravés. L’instant d’après, ses mains agrippent mes cheveux, je tombe à nouveau. Elle me tire derrière elle jusqu’à me ramener dans la cuisine. Comme je hurle, elle fourre un de ses horribles mouchoirs dans ma bouche. Mes yeux vont sortir de leurs orbites, mon cœur va exploser.

Izri, mon Dieu, reviens ! Reviens maintenant ! Viens voir de quoi ta mère est capable ! Reviens, je t’en supplie…

Elle me force à m’allonger sur le ventre, j’essaie de lui envoyer des coups de pied, je n’arrive même pas à la toucher.

Tu voudrais des roses À ton clair béguin Des bijoux d’or fin Et mille autres choses…

Elle écarte mes jambes et avec ses doigts de sorcière, introduit le piment dans mon intimité. Elle en met partout, vraiment partout. La douleur est telle que mon estomac remonte au bord de mes lèvres. Je l’entends fredonner cette comptine, encore et encore. Peut-être celle qu’elle chantait pour son fils. Sa voix est douce. Atrocement douce.

Ma poupée chérie Ne veut pas dormir Ferme tes doux yeux Tes yeux de saphir Petit ange d’or Tu me fais souffrir Dors poupée, dors, dors Ou je vais mourir…

Elle me saisit par les chevilles, me traîne jusque dans la loggia.

— Il ne reviendra pas, tu sais, dit-elle.

Elle s’éloigne, je parviens à me recroqueviller sur moi-même et, au bout de quelques minutes, à recracher le mouchoir. J’avale une grande bouffée d’oxygène avant de hurler. Si fort que je crois que ma tête va exploser.

Je crie, encore et encore. Je ne peux plus m’arrêter.

Mejda revient avec sa mixture infernale et, en me tenant le cou, parvient à mettre ce qu’il en reste dans ma bouche. Avant que j’aie pu recracher ce poison, elle pose une large bande de scotch sur mes lèvres.

— Tu vois, petite salope, je t’avais dit que tu allais le payer ! ricane-t-elle.

La porte se ferme, je me tords dans tous les sens, tel un poisson arraché à l’océan. De mes yeux coulent des larmes acides et brûlantes. Je suis en train de m’asphyxier. En train de brûler vive.

Le jour baisse, Mejda revient. Je suis ratatinée dans un angle de la loggia. Je pleure sans discontinuer, des spasmes secouent mon pauvre corps.

Une épaule appuyée contre le mur, Mejda me contemple. Comme une œuvre d’art dont elle serait fière.

— Je ne t’ai jamais parlé de ma fille, dit-elle. Un jour, peut-être que je le ferai. Bonne nuit, ma petite chérie…

Elle s’éloigne, j’entends encore sa voix.

Ma poupée chérie, Vient de s’endormir Gardez-la bien doux Beaux et tendres zéphyrs Et vous chérubins Gardez-la-moi bien Sa maman jolie L’aime à la folie.

Une des nuits les plus terribles de ma vie. Une des plus longues, aussi. Au bout d’un moment, je cesse de bouger. Je continue seulement à pleurer. Le froid se mélange à la brûlure. Chacun à leur tour, ils me torturent.

J’ignorais qu’on pouvait souffrir autant. Souffrir autant et continuer à vivre.

Je n’ai pas fermé l’œil. Pas une seule seconde.

J’ai appelé Izri dans un silence de mort. Je l’ai supplié. Je l’ai détesté, haï. Lui, mon père, ma mère, ma tante.

Dans un sombre cauchemar, j’ai vu le jour se lever. Encore un jour à supporter. J’aurais voulu la nuit, celle qui tombe sur vous de manière définitive.

Mais la mort décidément ne veut pas de moi.

J’entends le carillon de la cuisine sonner 10 heures du matin. La porte de la loggia s’ouvre, Mejda apparaît. Elle arrache le scotch qui m’a empêchée de hurler, me regarde droit dans les yeux.

— Il faut que tu comprennes, Tama. Il faut que tu comprennes que tu n’es rien… Tu es à moi et seulement à moi. Je t’ai achetée, tu m’appartiens. Comme les meubles, comme mes fringues, comme tout ce qui se trouve ici. Si tu parles encore à Izri, je recommencerai. Et ça fera plus mal encore, je te le jure…

Je hoche la tête, elle me détache.

— Je peux aller me laver ? quémandé-je d’une voix faible.

— D’abord, tu prépares mon petit déjeuner. J’ai faim.

* * *

Bien sûr, ce viol a laissé des traces. Des traces que je n’ai pas pu montrer à Izri lorsqu’il est venu, trois jours plus tard. Mejda se doutait bien que je n’oserais jamais lui dévoiler cette partie de mon anatomie.

Quand il m’a demandé si tout allait bien, je lui ai simplement dit oui. Il n’a pas remarqué que j’avais du mal à marcher et encore plus de mal à m’asseoir.

Croyant avoir gagné, Mejda était aux anges.

Mais moi aussi, je sais jouer. À force de côtoyer le mal, je commence à en connaître les règles.

En général, Izri passe le samedi ou le dimanche car je suis à l’appartement.

Alors, samedi dernier, j’ai pris les plus beaux vêtements de Mejda et les ai mis dans la machine à laver. J’ai versé toute la bouteille d’eau de Javel dans le tambour puis j’ai laissé mariner pendant une bonne heure avant de lancer le programme. Ensuite, je les ai étendus dans la loggia comme si de rien n’était. Ses beaux caftans de couleur, sa lingerie, ses robes et ses tuniques. Tout était bon à jeter à la poubelle.