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Vu ses bons résultats, elle se demande pourquoi il a abandonné ses études avant même de décrocher le baccalauréat.

Elle continue à tout sortir, tout dépoussiérer. Le placard est désormais presque vide, l’entrée totalement encombrée. Tandis qu’elle passe le chiffon à poussière avec son acharnement habituel, une petite plaque de bois se décroche au fond et lui tombe sur les doigts.

Il y a une planque dans la cloison. Sorte de cache qui contient un coffret en bois. Tama reste médusée un instant.

Elle tire le petit coffre jusqu’à elle et hésite.

Bien sûr, elle n’a pas le droit de regarder à l’intérieur.

Bien sûr, elle en a furieusement envie.

Lorsqu’elle soulève le couvercle, elle manque de tomber de son échelle.

Non, c’est sûr, elle n’aurait jamais dû ouvrir cette boîte.

Izri revient à l’appartement en fin d’après-midi. Il trouve Tama endormie sur le canapé et dépose un baiser sur son front. Elle se réveille aussitôt et lui sourit. Un drôle de sourire, comme si elle avait quelque chose à se faire pardonner.

Mais Tama semble toujours avoir quelque chose à se faire pardonner. Et Izri adore ça.

Il ôte son blouson, le range dans la penderie de l’entrée. Il retourne dans le salon, se sert un verre de scotch.

— Tama ? Tu as touché à mes affaires ?

— J’ai juste rangé…

Il la fixe avec colère.

— T’as fouillé, c’est ça ?

— Mais non ! Je te jure que non…

Planté face à elle, son verre dans la main, il continue à la dévisager avec une armée de menaces au fond des yeux.

— Déjà, l’autre jour, tu as fouiné dans l’armoire de la chambre… Qu’est-ce que tu cherches ? Tu cherches à m’énerver, c’est ça ?

Elle se lève, vient se coller contre lui.

— Pas du tout, juste à te faire plaisir.

Il la repousse si brutalement qu’elle retombe sur le canapé.

— Arrête de mentir, bordel de merde ! s’écrie-t-il.

Choquée, elle se ratatine sur le sofa. Il approche son visage du sien.

— Vas-y, dis-moi ce que tu as trouvé, Tama…

— Mais rien !

— Rien, t’es sûre ?

Elle baisse les yeux, il la secoue violemment.

— Ne me mens pas, putain ! Sinon, je te renvoie chez ma mère !

Les traits de la jeune fille se déforment sous l’effet de la peur.

— J’ai trouvé de l’argent dans l’armoire de la chambre, avoue-t-elle dans un souffle.

— Et… ?

— Et… le pistolet dans le placard. Mais je fouillais pas, je te jure ! Je voulais juste ranger. Pour te faire plaisir !

Izri inspire un bon coup et avale son scotch cul sec. Tétanisée sur le sofa, Tama ne sait plus quoi dire pour le calmer. Et quand elle le voit retourner dans le placard de l’entrée, elle ferme les yeux. Lorsqu’elle les rouvre, Izri s’assoit face à elle et pose le pistolet sur la table basse, le canon pointé dans sa direction.

— Tu croyais quoi, Tama ? Tu croyais que j’étais un gentil garçon ? Que j’allais à l’usine chaque matin ?

— N… Non, balbutie-t-elle. Mais ça m’est égal ce que tu fais… !

— Vraiment ? Tu ne veux pas savoir comment je gagne tout ce fric ? Avec quoi je paye les restos, les fringues et les bijoux ? Tu ne veux pas savoir à quoi me sert ce flingue ?

De grosses larmes roulent sur les joues de Tama. Elle ne peut lâcher l’arme des yeux. Elle tente malgré tout de répondre quelque chose.

— C’est toi qui es important pour moi… pas les bijoux. Et… ce que tu fais… ça ne me regarde pas.

Satisfait, Izri s’accorde un deuxième verre de whisky puis vient s’asseoir près d’elle.

— Tu ne parleras pas, n’est-ce pas Tama ?

Il vient de s’adresser à elle d’un ton aussi tendre qu’inquiétant.

— Non… Y a que toi qui comptes. Le reste, ça m’est égal… Et puis parler à qui ? Je ne parle qu’à toi, de toute façon…

— Jamais un mot, Tama. À personne, compris ?

— Jamais, murmure la jeune fille.

* * *

La peur ne l’a pas quittée depuis que sa mère est morte.

Elle n’a fait que grandir depuis qu’elle est arrivée en France.

Pour Tama, elle est la plus fidèle des compagnes. La plus terrible des sœurs siamoises. Elle a germé au creux de son ventre, a colonisé chaque parcelle de son corps.

Toujours là, qu’elle dorme ou qu’elle mange.

Qu’elle pleure ou qu’elle rie.

Qu’elle se batte ou qu’elle cède.

Quand elle se voit dans un miroir, quand elle songe au passé ou regarde vers l’avenir.

Oui, Izri lui fait peur. Comme Mejda avant lui. Et Sefana, son mari…

Oui, Izri lui fait peur. Mais il est l’homme que Tama a décidé d’aimer.

Izri est un voyou, peut-être même un tueur. Mais, pour Tama, c’est un héros. Il est celui qui l’a sauvée, libérée. Celui qui a brisé ses chaînes et la protège envers et contre tout.

Pour Tama, il est simplement l’amour, l’avenir, la force. Le dieu qu’elle croit avoir décidé de vénérer.

Seule dans le grand appartement, Tama pleure.

Parce qu’elle a peur. Encore et toujours.

Peur de n’avoir jamais le choix.

* * *

Ce soir, je suis seule dans la chambre. Izri est dans le salon avec ses potes.

Il y a Manu, bien sûr, mais aussi Greg. Un drôle de gars. Il est très gentil, très poli, pourtant je suis quasiment sûre que lui aussi, il a un flingue en haut de sa penderie et des liasses de billets dans l’armoire de sa chambre. Manu a plus la tête de l’emploi, je trouve. Et même Izri, quand j’y pense. Greg, lui, il ressemble à un employé de bureau, bien propre sur lui.

Je suis restée un moment avec eux, ils ont discuté de choses et d’autres. Dans ces moments-là, je ne parle pas, me contentant d’écouter. Ainsi, j’ai compris que Greg et Izri se connaissent depuis longtemps. Depuis l’école. Il ne vit pas à Paris, mais dans le sud de la France, à Montpellier. C’est là qu’Izri a passé une partie de son enfance. Et je crois que c’est là qu’il va lorsqu’il disparaît plusieurs jours.

Ce ne sont que des suppositions vu qu’Izri ne me dit rien. Et vu que je ne lui pose plus aucune question depuis qu’il a mis l’arme sur la table, juste en face de moi.

Après l’apéro, je leur ai apporté de quoi manger et me suis éclipsée. Un simple regard d’Izri m’a fait comprendre que j’étais de trop. J’ai prétendu que j’étais fatiguée, que j’allais me coucher. Ils m’ont souhaité bonne nuit, Greg m’a même fait la bise.

Depuis, j’attends. J’attends qu’ils s’en aillent et que mon homme vienne se coucher. Inutile que je m’endorme, parce qu’il me réveillera…

* * *

— Iz ?

— Quoi ?

— Tu sais que je ne m’appelle pas Tama ?

Dans la chambre, ils sont blottis l’un contre l’autre depuis des heures. Izri ouvre un œil et la regarde de travers.

— Qu’est-ce que tu racontes, encore ?

— C’est le prénom que Sefana m’a donné. Mais ce n’est pas mon prénom. Tu veux savoir comment je m’appelle ?

Elle approche sa bouche de son oreille pour rétablir la vérité. Elle n’arrive toujours pas à le dire à haute voix. Sans doute parce qu’on le lui a interdit, des années durant.

— J’aimerais bien que tu m’appelles comme ça.

Izri allume une cigarette et réfléchit un instant.

— Je préfère Tama, dit-il finalement. Alors je continuerai à t’appeler Tama.