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Elle fait une moue boudeuse et s’assoit sur le bord du matelas, lui tournant le dos.

— Fais pas la gueule, Tama. Tu sais que j’aime pas ça…

— Je ne fais pas la gueule.

— On va partir, annonce soudain le jeune homme.

— Partir ?

— Faut que je m’installe dans le Sud, pour mes affaires.

— Où ça ?

— À Montpellier. Tu vois où ça se trouve ?

— Pas vraiment… On part quand ? questionne la jeune fille.

— Dans un mois ou deux, je pense. Je vais passer quelques jours là-bas, histoire de m’organiser.

Il s’assoit à côté d’elle, pose une main sur sa cuisse.

— Je n’en ai que pour trois ou quatre jours. Tu laisseras le portable allumé et je t’appellerai, d’accord ?

— D’accord… Tu vas me manquer.

— Ce n’est que trois ou quatre jours ! lui rappelle Izri.

— Au bout d’une heure, tu me manques déjà…

63

Nous avons quitté Paris et sommes descendus vers le Sud.

Kilomètre après kilomètre, j’ai eu la sensation de peser moins lourd. Sans doute parce que je m’éloignais de Mejda, de Sefana et de son salopard de mari… J’abandonnais ma vie d’avant pour en commencer une autre dont j’ignorais tout.

En regardant défiler le paysage derrière la vitre, je me suis répété que mon avenir ne pourrait pas être pire que mon passé.

Pourtant, au fond de moi, je sais que jusqu’à la mort, tout peut toujours empirer.

Au moment de partir, je me suis rendu compte que mes affaires tenaient dans un sac de sport. Les vêtements et les bijoux qu’Izri m’a offerts, quelques livres, le gilet tricoté par Marguerite, les dessins de Vadim, mes vieux cahiers et Batoul. Je ne possède presque rien, mais c’est sans importance. Le monde est peuplé de gens qui n’ont rien. Sauf que moi, maintenant, j’ai Izri.

Que pourrais-je vouloir de plus ?

Nous avons dépassé Lyon, Valence, Orange… pour arriver à Montpellier où nous habitons depuis plus d’un mois. Dans une magnifique maison, tout au fond d’une impasse, avec un vaste jardin. Il y a une immense salle à manger, une grande cuisine, trois chambres, une terrasse, deux salles de bains et même une piscine !

Je n’avais jamais vu un endroit pareil. Et c’est là que moi, Tama, je vis. Moi, la petite bonniche…

La maison était déjà meublée, on a seulement eu à apporter nos affaires. La piscine est vide, mais Izri m’a promis qu’on la remplirait dès le mois de mai. J’ai dû lui avouer que je ne savais pas nager, ce qui l’a fait rire.

Je t’apprendrai ! a-t-il promis.

Il paraît que les étés sont chauds, ici. Presque aussi chauds qu’au Maroc. J’ai tellement hâte que les beaux jours arrivent !

Depuis que nous sommes dans le Sud, Izri est plus nerveux. Je sens qu’il est sous tension. D’ailleurs, il boit encore plus qu’avant. Le soir, parfois, il vide la moitié de la bouteille de whisky… Et il fume au moins deux paquets de clopes par jour.

Alors, je fais tout pour qu’il se sente bien. Je m’occupe de la maison, qui est toujours impeccable, tout comme son linge, je lui prépare de bons petits plats.

Parfois, il disparaît pendant plusieurs jours. Puis il revient, sans me dire où il était ni ce qu’il a fait. J’oublie les questions indiscrètes, me contentant de lui dire que je suis heureuse qu’il soit de retour auprès de moi.

J’ai le droit d’aller dans le jardin et ne m’en prive pas. Izri m’a même confié un jeu de clefs de la maison et m’a autorisée à me balader dans le quartier et à me rendre jusqu’à la petite supérette, deux rues plus loin. Il me laisse un peu d’argent mais je ne m’en sers que pour acheter ce dont nous avons besoin.

Quand je sors, il m’arrive de croiser des filles de mon âge. Elles reviennent du lycée pour rentrer chez leurs parents. Je me dis que ma vie ne ressemble pas à la leur, qu’elles ont une insouciance que je n’ai jamais connue.

Mais moi j’ai quelque chose qu’elles n’ont pas.

Moi, j’ai Izri.

* * *

Quand Izri rentre, il fait déjà nuit. Il est accompagné de son ami Manu. Ils s’installent dans le salon et je leur sers à boire.

— Tu as quel âge, Tama ? me demande Manu.

Izri répond à ma place.

— Dix-sept ans, prétend-il.

— Et tu viens d’où ?

D’un signe, Izri m’autorise à m’asseoir près de lui.

— Je suis née au Maroc.

— C’est quoi, votre histoire ?

— Elle a vécu des choses difficiles, explique simplement Izri. Et je l’ai sortie de là.

— Izri m’a sauvé la vie, dis-je.

Manu sourit en me fixant.

— Je crois qu’Izri a de la chance.

Je rougis et baisse les yeux.

— C’est moi qui ai de la chance, dis-je.

Manu continue à me dévisager.

— Dis-moi, Tama, t’en penses quoi de ce que fait Izri ?

Je sens qu’Iz est tendu. D’instinct, je comprends que cet homme me fait passer une sorte d’épreuve.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— T’en penses quoi du boulot qu’il fait ?

Je relève la tête et affronte Manu du regard, même si c’est difficile.

— J’ignore ce qu’il fait. Et de toute façon, Izri fait ce qu’il veut. Ce ne sont pas mes affaires.

— On dirait que tu as trouvé la perle rare, mon ami ! rigole Manu.

Même lorsqu’il rit, cet homme est effrayant. Iz pose une main sur ma cuisse pour m’encourager à supporter cet interrogatoire.

— Tu as envie d’avoir plus de pognon, Tama ? continue Manu.

— Pour quoi faire ?

Il fronce les sourcils, arborant un léger sourire.

— Pour posséder une grande baraque, par exemple. Porter des diamants, avoir une belle caisse…

— Du moment que je suis avec Iz, le reste je m’en fous. Même si on vivait dans une buanderie, ça m’irait.

Manu éclate à nouveau de rire.

— Une buanderie ?!

— Ou ailleurs, ajouté-je précipitamment.

— Elle me plaît, cette petite ! dit-il. Bois un coup avec nous, Tama.

— Je ne bois pas d’alcool…

— Vraiment ?

Izri prend une bouteille dans le bar.

— Ça, ça devrait te plaire, me dit-il.

J’accepte de trinquer avec eux et goûte ce qu’Izri a mis dans mon verre. C’est sucré, avec un bon goût de fruit de la passion. Malgré tout, ça me brûle légèrement la gorge.

Quand mon verre est fini, je leur sers le repas que j’ai préparé. Ils dînent dans le salon, confortablement installés dans les fauteuils. D’un regard, Izri m’indique qu’ils préfèrent rester en tête à tête. Alors, je m’exile dans la cuisine et mange un morceau.

Izri ne le sait sans doute pas, mais je peux entendre ce qu’ils se disent. Il me suffit de ne pas fermer complètement la porte. Il me manque des mots, parfois, mais j’arrive à suivre leur conversation. Je comprends ainsi que Manu et Iz sont associés et qu’ils ont des hommes sous leurs ordres. L’un d’entre eux semble leur poser problème parce qu’il n’est pas fiable. Un certain Théo. Manu indique qu’il va s’en occuper rapidement.

Je me demande si ça signifie qu’ils vont le licencier ou bien si c’est pire que ça. Car depuis que j’ai quitté ma buanderie, j’ai appris des choses. C’est fou ce qu’on peut découvrir quand on passe des heures à regarder des reportages et des séries à la télé. Quand on lit les journaux, aussi. Chaque fois que je vais à la supérette, j’en achète plusieurs. L’autre jour, Izri m’a demandé pourquoi. Je lui ai répondu que c’était pour apprendre le monde.