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Sa propre tombe.

Fin d’une histoire dont elle avait oublié le début.

65

Au volant d’une voiture, Izri pense à Tama. Demain, elle aura quinze ans, mais elle en paraît facilement dix-huit. Elle a encore grandi, ses formes se sont arrondies et chaque fois qu’il la regarde, Izri est sidéré par sa beauté.

Tama, c’est une pierre précieuse à l’état brut. Jour après jour, elle s’affine. Bientôt, elle deviendra un diamant étincelant.

Même ses cicatrices sont belles. Elle s’est forgée dans la souffrance, dans la lutte. Cette souffrance qui se lit au fond de ses yeux et même dans son sourire. Elle se croit faible alors que les épreuves traversées lui ont insufflé une incroyable force.

Izri sait sa chance. Il sait que cette fille est sa part de lumière et d’innocence. La douceur qui manquait à sa vie et panse doucement ses plaies. Quand elle le regarde, il devient l’homme le plus désirable de la terre. Il devient un roi, un dieu.

Bien sûr, il l’a déjà trompée plusieurs fois. Mais son chemin n’a jamais croisé celui d’une femme qui pourrait détrôner sa reine, sa déesse.

Ses incartades ne sont que le reflet de sa vie. Une vie hors des sentiers battus. Ne pas rentrer dans les cases, ne pas respecter les lois ou la morale.

Sauf la loi qu’il a choisi d’instaurer.

La sienne.

Être le plus fort. Celui qui détient le pouvoir.

Être le loup alpha. Celui que les autres craignent et admirent.

Il s’est fixé une seule contrainte : un code d’honneur… qui fluctue en fonction des nécessités.

Quelque part en périphérie de Lyon, Izri est au volant d’une voiture volée. Sur le siège passager, Manu vérifie une fois encore que son automatique est bien chargé. À l’arrière, deux hommes, armés jusqu’aux dents, restent parfaitement silencieux.

— C’était là ! maugrée Manu. Iz, concentre-toi, bordel ! Arrête de penser à ta gonzesse…

Izri fait demi-tour et engage la voiture en marche arrière dans un petit chemin goudronné. À deux cents mètres d’eux, une autre voiture attend sur le côté. La souricière est en place.

Le portable de Manu vibre, il décroche, raccroche aussitôt.

— Ça arrive, dit-il.

Izri enfile une cagoule noire, ses complices font de même.

Trois minutes plus tard, le fourgon blindé se présente au bout de la route. Dans les veines d’Izri, un shoot d’adrénaline plus puissant que n’importe quelle came. Tama s’efface doucement de son esprit. Le petit garçon effrayé disparaît à son tour pour laisser la place au loup affamé.

* * *

Aujourd’hui, j’ai quinze ans. Il y a un an, Marguerite mourait dans mes bras.

Un an déjà…

J’ai la sensation étrange d’avoir vécu un siècle.

Quand je me lève, Izri n’est pas là. Ça fait deux jours qu’il est parti et j’espère qu’il reviendra dans la journée.

Pour mon anniversaire, le soleil brille de mille feux. Sur la terrasse, je profite de ce cadeau du ciel en prenant mon petit déjeuner. Ensuite, je me prépare et me rends à la supérette. J’achète quelques provisions ainsi que deux journaux. Dominique, le patron, commence à me connaître et m’adresse un sourire complice. Il me regarde toujours avec une sorte d’envie au fond des yeux. Peut-être que je lui plais ?

Je le salue et repars vers la maison.

Je trouve que ma vie est calme, sereine. Je ne m’y habitue pas encore. Au fond de moi demeure la peur. Je ne sais pas si je parviendrai à m’en défaire un jour, ou si je suis condamnée à vivre avec elle jusqu’à mon dernier souffle.

Je me demande si les autres aussi, ont peur. Peut-être que oui, finalement. Car il y a mille raisons d’avoir peur. Mille raisons et mille façons.

Quand j’arrive chez nous, je range les provisions et me lance dans la lecture des journaux. Il y a des choses qui m’échappent, bien sûr, car il me manque des données. Mais, jour après jour, j’apprends. J’apprends comment fonctionne ce monde compliqué. Ou plutôt, j’apprends pourquoi il n’arrive pas à fonctionner.

Je m’arrête au milieu du journal et mon cœur accélère.

Attaque de fourgon blindé près de Lyon.

En lisant l’article, je découvre qu’un commando a attaqué le fourgon hier. Un convoyeur a été blessé mais ses jours ne sont pas en danger. Le montant du butin s’élèverait à plus de cinq cent mille euros.

Je découpe l’article et le range dans un petit cahier. Chaque fois qu’Izri disparaît, je détaille tous les faits divers. Il y a eu des braquages de banques, de stations-service, de bijouteries, des règlements de comptes et deux attaques de fourgons blindés. Si ça se trouve, mon homme n’est impliqué dans aucune de ces affaires. D’ailleurs, je prie pour qu’il soit étranger à toutes ces horreurs. Mais, à force de recoupements, je finirai peut-être par découvrir ce qu’il fait quand il s’éloigne de moi.

Je mets les journaux dans la poubelle de recyclage et décide de confectionner un gâteau pour mon anniversaire. Un gâteau qui ressemblera à celui que m’avait préparé Marguerite il y a un an déjà…

En fin d’après-midi, Izri revient à la maison. Je me jette dans ses bras et nous restons un long moment enlacés. Puis il sort un petit paquet de sa poche.

— Bon anniversaire, ma puce…

Je suis tellement surprise que je reste sans voix quelques secondes.

— Tu y as pensé ?

— Évidemment !

J’ouvre mon cadeau et découvre une paire de boucles d’oreilles.

— Elles sont magnifiques, Iz…

— Rien n’est trop beau pour ma princesse !

Il me serre contre lui, je ferme les yeux.

— J’ai peur quand tu n’es pas là…

— De quoi ?

— Peur que tu ne reviennes pas.

* * *

Tama est assise sur le rebord de la baignoire.

Entre ses mains, une chemise d’Izri. La chemise qu’il portait la veille et qu’il a laissée sur le sol de la salle de bains lorsqu’il est rentré au petit matin.

Sur le col blanc, des traces de rouge à lèvres carmin.

Les larmes de Tama coulent doucement et en silence. De l’autre côté de la cloison, Izri dort encore.

Tama jette la chemise par terre et prend son visage entre ses mains. Elle se balance d’avant en arrière, tel un métronome désaxé. Elle voudrait refouler cette souffrance, cette colère. Elle voudrait lui pardonner. Mais pour le moment, c’est la peur et la rage qui l’emportent. Izri en train de baiser une autre femme, l’image est trop cruelle.

C’est alors que la porte s’ouvre et qu’il apparaît, vêtu seulement d’un caleçon et les yeux encore gonflés de sommeil.

— Qu’est-ce que t’as ?

Elle ne répond pas, fixant simplement la chemise à ses pieds.

— Pourquoi tu chiales ?

Il se passe de l’eau sur le visage et relève la tête. Dans le miroir, le regard de Tama. Rempli de chagrin et de hargne. Un regard qu’il ne lui connaît pas.

— File-moi la serviette.

Elle ne bouge pas, continuant à le toiser méchamment. Alors, il se retourne et la dévisage à son tour.

— Vide ton sac, Tama. Vas-y…

— Tu t’es bien amusé cette nuit ? demande-t-elle d’une voix tremblante.

— J’étais avec mes potes. Pourquoi ?

Elle ramasse la chemise, la lui colle sous le nez.

— Ils mettent du rouge à lèvres, tes potes ?