Il y a quelques jours, elle l’a entendu discuter avec Manu. Ils étaient sur la terrasse, la croyaient endormie. Izri se méfie de quelqu’un. Un homme dont elle ignore s’il travaille pour eux ou s’il est leur concurrent. Manu lui a répondu qu’il devenait paranoïaque, que l’autre homme n’oserait jamais s’en prendre à eux.
Après avoir surpris cette conversation, Tama n’a pas pu dormir, en proie à un mauvais pressentiment.
Depuis, Izri est extrêmement tendu. À chaque seconde, elle a l’impression qu’il va exploser. Alors, elle se fait toute petite pour ne pas le déranger.
À force d’écouter, de capter des mots, des bribes de phrase, Tama a compris certaines choses. Manu a la mainmise sur quelques affaires à Montpellier, mais aussi à Marseille et même à Paris. Il est le propriétaire d’un club privé, d’un bar, d’un restaurant, d’une entreprise de transport… Izri est apparemment son bras droit, une sorte d’associé.
Tama sait que l’homme qu’elle aime joue à des jeux dangereux. Elle voudrait lui dire d’arrêter, de trouver un travail normal, même si ça les obligeait à vivre dans un petit appartement.
Mais Tama n’ose pas lui dire de telles choses.
Parce que Tama se sent insignifiante. Incapable d’influer sur les actes d’un homme tel qu’Izri.
Parce que Tama reste encore et toujours une petite bonniche. Une esclave et rien d’autre.
Greg passe souvent à la maison depuis que nous sommes à Montpellier.
D’après ce que je sais, il travaille pour Izri. Il s’occupe de l’une des affaires qui appartiennent à Manu et Iz. Une boîte de nuit très chic. Il l’aide aussi à gérer l’entreprise de transport.
Il est adorable avec moi, semble en admiration devant mon homme. Par contre, je sens que Manu ne l’aime pas beaucoup.
Mais Izri me tient à l’écart de tout ça. C’est comme s’il avait deux vies séparées. Celle qu’il mène avec moi et celle qu’il mène dès qu’il met le pied dehors. Telles l’huile et l’eau, elles ont du mal à se mélanger.
Pourtant, j’aimerais tout partager avec lui.
Tout. Même ses crimes.
C’est le bruit de la porte d’entrée qui me réveille en sursaut. Je m’assois sur le canapé, passe une main sur mon visage.
— Iz ?
Je me lève, allume les lumières et vois Izri dans le hall. Il enlève son blouson, le laisse tomber sur le sol. Il tient à peine debout. Je comprends immédiatement qu’il a trop bu, alors je l’aide à aller jusqu’à la chambre.
— Tu veux que je te fasse un café ?
— Non ! J’vais me coucher…
Il s’affale sur le lit, les bras en croix. Je lui enlève ses chaussures puis son pantalon et place un oreiller sous sa nuque.
— Tama ?
Je m’assois près de lui, caresse son visage.
— Je suis là…
Je sens qu’il a peur. Je ne sais pas de quoi. Dans son regard perdu, je devine le besoin d’être rassuré. Il n’y a que moi, sans doute, qui peux le voir comme ça. Quand il ne porte pas son masque de voyou. Quand il redevient un petit garçon terrifié rêvant de se cacher au fond d’un placard.
— Tu as mal au cœur ? demandé-je.
— Un peu…
— Il faut te reposer, dis-je en déposant un baiser sur son front.
— J’ai… oublié mon téléphone…
— Où ça ?
— Dans la caisse.
— Je vais aller le chercher, ne t’inquiète pas.
— Tu sais que je t’aime ?
Je lui souris, sens les larmes venir. Ce cadeau-là vaut tous les colliers de diamants du monde. Je prends sa main, la serre aussi fort que je peux.
— Je sais. Et moi aussi, Iz… Plus que n’importe qui au monde.
Apaisé, il ferme les yeux. L’instant d’après, il est parti. Assommé par l’alcool et la drogue, il s’enfonce dans une sorte d’état comateux. Je le regarde longtemps puis me décide à aller chercher son téléphone. Il en a deux : un smartphone et un autre, plus basique. Parfois, il reçoit un coup de fil de Manu sur le smartphone et le rappelle aussitôt avec l’autre. J’imagine qu’il y a une raison. Une raison qui doit avoir un rapport avec les flics.
Je cherche la clef de l’Alfa Romeo dans son pantalon. La voiture est garée juste devant le portail, complètement en travers. Comment peut-il conduire dans un état pareil ? Un jour, il finira en cellule de dégrisement ou, pire encore, dans un platane. Le téléphone est tombé sur le tapis de sol, je le mets dans ma poche.
C’est là que je la vois.
Une grosse voiture noire garée sur le trottoir d’en face. Avec deux ombres à l’intérieur.
L’angoisse me prend et je me dépêche de verrouiller les portières et de rentrer. Malgré la chaleur, je ferme fenêtres et baies vitrées.
Je me brosse les dents, les cheveux et enfile ma nuisette. Au travers de la vitre, je scrute une dernière fois le jardin, éclairé par de petites veilleuses. Tout est calme.
Alors, j’éteins les lumières et rejoins Izri dans la chambre. Je m’allonge à côté de lui et doucement, je m’en vais, je m’enfuis. Je m’invente une histoire, comme je le faisais dans ma buanderie. Sans doute pour oublier la réalité. Une histoire d’où la peur et la violence sont exclues.
Il est déjà trois heures du matin, je n’ai plus sommeil. Je pose ma tête au creux de son épaule ; je ne me lasse pas d’écouter les battements de son cœur, son souffle régulier.
Je ne me lasse pas de l’aimer.
Il est 4 heures, lorsque des bruits étranges sortent Tama de sa somnolence. Elle tend l’oreille et croit entendre la baie vitrée qui coulisse, des pas dans le salon. Terrifiée, elle secoue Izri.
— Réveille-toi ! chuchote-t-elle. On dirait qu’il y a quelqu’un ! Iz !
Mais Izri est trop loin pour revenir. Tama arrête de respirer et écoute encore. Le vent s’est levé, c’est peut-être lui qui lui joue un mauvais tour ? À moins que ce ne soit son imagination… Elle songe à des cambrioleurs armés. Elle bouscule à nouveau Izri, qui pousse une sorte de râle avant de se tourner sur le côté.
Prenant son courage à deux mains, Tama se faufile discrètement jusqu’au long couloir qui mène à la salle à manger. Elle ne voit pas grand-chose, avance à tâtons. Son doigt trouve l’interrupteur et la lumière jaillit du plafonnier. La salle à manger est déserte, Tama avance prudemment jusqu’au salon. Là, elle se fige. Sous l’effet du vent, le rideau se soulève.
La baie vitrée a été ouverte.
Elle sent une présence dans son dos, n’a pas le temps de se retourner. Une main énorme se pose sur sa bouche, un bras lui serre le cou, on la soulève du sol. Dans l’impossibilité de crier et même de respirer, Tama se débat comme une lionne pour échapper à l’étreinte mortelle. C’est alors qu’elle voit un autre homme arriver face à elle. Une sorte de géant qui mesure au moins deux mètres. Il braque une arme dans sa direction et pose un doigt sur ses lèvres.
— Un mot et je te descends. Compris ?
Tama hoche la tête. Son agresseur la repose par terre et la colle au mur avant d’enfoncer le canon d’un revolver dans son ventre.
— Il est où ? murmure l’homme.
Tama le reconnaît immédiatement. Elle se souvient l’avoir croisé lors d’une soirée où elle accompagnait Izri. Elle se souvient même qu’il se prénomme Mathéo, que tout le monde l’appelle Théo, et qu’il travaillait pour Manu et Izri.
— Il est où ? répète Théo.
— Dans la chambre…
D’un signe de la main, ils lui ordonnent d’avancer dans le couloir. Tama ne sait pas si elle doit crier, si ça suffira à réveiller Izri. Arrivée près de la porte, elle hurle :