— Iz ! Sauve-toi !
Théo resserre son étreinte et ils se précipitent dans la chambre. Le plus grand allume la lumière et braque son pistolet en direction d’Izri, profondément endormi.
Putain d’alcool ! songe Tama.
Théo la tient toujours par le bras et sourit en voyant Izri sans défense.
— Il en tient une bonne ! ricane-t-il.
Il attire Tama contre lui, la regarde droit dans les yeux.
— Réveille ton mec…
68
Il la portait dans ses bras. Parfois, elle ouvrait les yeux. Parfois, leurs regards se croisaient.
Mais celui de la jeune femme restait vide.
Gabriel quitta la forêt, aperçut le hameau au loin. À bout de forces, il reprit son souffle de longues secondes. Mais il fallait faire vite, alors il repartit.
Après une demi-heure d’efforts, Gabriel arriva chez lui. Il déposa la jeune femme devant la cheminée et alluma le feu. Elle était en hypothermie.
Tandis qu’il soufflait sur les braises, il secoua la tête.
Non, il ne devait pas la réchauffer.
Plutôt la laisser crever.
Pourquoi n’y arrivait-il pas ? Pourquoi s’acharnait-il à repousser l’inéluctable ?
Il grelottait, claquait des dents tandis qu’elle s’endormait doucement. À la va-vite, il se changea, puis s’occupa d’elle. Il lui ôta ses vêtements mouillés, posa une compresse sur sa plaie et l’enroula dans une couverture. Ils étaient à un mètre des flammes, Gabriel sentit le sang circuler à nouveau dans ses veines. Il serrait toujours la jeune femme dans ses bras.
— Allez, reviens ! implora-t-il.
Alors qu’il aurait dû lui ordonner de lâcher prise.
Peut-être qu’il était en train de perdre la raison.
Non, il y a longtemps que sa raison vacillait. Longtemps qu’il était devenu fou.
— Lana, aide-moi, murmura-t-il. Aide-moi s’il te plaît…
Gabriel la berça longuement. Pourquoi lutter ? Il était incapable de la tuer, Lana le lui interdisait. Et les désirs de Lana étaient des ordres.
Elle ouvrit les yeux et lorsqu’elle vit son geôlier, la terreur la transfigura. Il la ramena dans la chambre, la déposa sur le lit et plaça une seconde couverture sur son corps. Il poussa le radiateur à fond avant de s’asseoir dans le fauteuil.
— Merci, murmura-t-elle.
Le visage de Gabriel se crispa. Des sentiments contradictoires le submergeaient par vagues successives.
Soulagement.
Colère.
Admiration.
Ça faisait une éternité qu’il n’avait pas ressenti tant d’émotions. Une éternité qu’il dormait au fond d’un lac gelé dont il n’émergeait que pour exécuter ses cibles.
Et voilà que cette inconnue, cette gamine, profanait sa dernière demeure.
Voilà qu’elle réveillait le mort.
Lana, aide-moi… Aide-moi, s’il te plaît…
69
Izri est à genoux, mains sur la tête, près de la baie vitrée. À la merci du géant qui braque le pistolet sur son crâne.
En face de lui, Tama est dans le canapé. Son regard terrorisé se réfugie au fond du sien. Théo, debout derrière elle, caresse ses cheveux avec le canon du revolver.
— Désolé de t’avoir réveillé, Iz… Tu dormais si bien !
— T’es un homme mort ! prévient Izri.
— À ta place, je fermerais ma grande gueule.
Les mains de Tama se crispent sur les coussins du canapé.
— Il est où, le fric du fourgon ? interroge Théo. Si tu nous le donnes, on la laisse en vie…
— Va te faire mettre ! souffle Izri.
— Quoi ? J’ai droit à mes indemnités de licenciement, non ?! rigole Théo.
— T’as droit à rien et si tu te barres pas tout de suite, Manu va…
— Manu ? Je m’en occuperai plus tard. Mais là, tu vois, t’es tout seul. TOUT SEUL !
— Alors, il est où ce putain de blé ? questionne le géant.
Izri garde le silence, Théo soupire. Il se penche légèrement pour approcher son visage de celui de Tama.
— Comment tu t’appelles, déjà ?
— Tama…
— C’est joli, comme prénom. Et tu as quel âge, Tama ?
— Quinze ans.
— Dis donc Iz, y a pas détournement de mineure, là ? se marre Théo. Faudrait appeler les flics !
Théo range le revolver à la ceinture de son jean et s’assoit près de Tama. Elle tente de s’éloigner, il la plaque contre lui. Puis il caresse l’intérieur de sa cuisse, passe sous la nuisette. Elle se contracte de la tête aux pieds.
— Tu es très mignonne, Tam Tam… Mais qu’est-ce que tu fous avec cette merde, dis-moi ?
Elle ferme les yeux une seconde.
— Iz n’est pas une merde !
— Tu sais où il est, ce fric, toi ? demande encore Théo.
— Non.
— Dommage…
D’un signe, Théo s’adresse au colosse qui assène un coup de pied dans le dos d’Izri. Il tombe vers l’avant et mord le parquet en chêne. Le géant continue à le frapper sous le regard satisfait de Théo.
— Arrêtez ! implore Tama.
Izri se protège comme il peut tandis que le colosse s’acharne sur lui.
— Laissez-le !
Elle veut se lever, Théo la retient par un bras et la rassoit sur le canapé.
— Reste avec moi, Tam Tam… Profite du spectacle.
Au bout de trois longues minutes, le géant cesse enfin de cogner. Izri reprend son souffle, recroquevillé sur sa douleur.
— Bon, dit Théo, tu balances ou on va y passer la nuit ?
— Va te faire foutre, murmure Izri.
L’homme se remet à frapper, plus fort encore.
— Il est coriace, ton mec, chuchote Théo à l’oreille de Tama. Mais je sais comment le décider…
— Arrêtez ! sanglote-t-elle.
Le mastodonte attrape Izri par les cheveux pour le remettre à genoux. Du sang coule de son nez, de sa bouche et de son arcade sourcilière jusque dans ses yeux gris.
— Dis-leur où est l’argent ! supplie Tama. Je t’en prie…
Izri lui jette un regard désespéré.
— Tu devrais écouter ta gonzesse, ajoute Théo avec un sourire décontracté. Parce que je commence à trouver le temps long…
Mais Izri se mure dans le silence.
— Bon, puisque t’as décidé de nous casser les couilles, on passe au plan B…
Théo attrape Tama par la nuque et la traîne jusque devant Izri.
— Tu veux vraiment qu’on s’occupe d’elle, mon pote et moi ? Je me suis jamais tapé une gamine de quinze ans…
— La touche pas, fils de pute ! hurle Izri.
— Dis-moi où tu planques le blé et je te promets qu’elle pourra organiser tes obsèques…
Izri inspire un grand coup avant de parler.
— Box 59. Avenue Robespierre.
— La clef ?
— Dans mon portefeuille… Tama ?
Tama récupère le portefeuille d’Izri dans son blouson et le vide sur la table. Elle tente de contrôler le tremblement de ses mains et trouve deux clefs anonymes, reliées ensemble.
— C’est celles-là ? demande-t-elle.
Izri hoche la tête.
— Le fric est planqué derrière une fausse cloison, ajoute-t-il.
— Parfait ! jubile Théo. Mon ami va aller récupérer le pognon et nous, on va l’attendre ici, bien tranquilles…
Ça fait dix minutes que le colosse est parti. Izri est toujours à genoux, mains derrière la nuque. Tama est assise par terre, sur le tapis. Au-dessus d’elle, Théo se prélasse dans le canapé. Il tient son arme dans la main droite et, avec la gauche, lui caresse les cheveux.