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Toutes les nuits, j’en rêve. Brefs cauchemars qui me réveillent en sursaut. Ensuite, je pleure de longues minutes.

La lame qui s’enfonce dans sa gorge, le sang qui coule sur mes mains.

Moi, Tama, la petite Tama, j’ai été capable de ça.

De cet exploit.

De cette horreur.

Quand Izri me voit un peu perdue, il me répète que c’était de la légitime défense. Quelque part, c’est vrai. Théo nous aurait tués. Il aurait au moins tué Izri et entre ses mains, j’aurais sans doute connu un sort pire encore.

J’ai commis l’irréparable. Pourtant, je n’ai ni regrets ni remords. J’ai sauvé Izri mais je me suis condamnée. À porter en moi ce sentiment étrange, ce mélange de force et de faiblesse.

Ça fait un mois que ça s’est passé.

Ça fait un mois qu’Izri n’a pas bu. Qu’il n’a pas pris de drogue, non plus. Il sait qu’il n’a pas été à la hauteur, trop ivre pour se rendre compte qu’il était suivi. Trop défoncé pour que je puisse le réveiller à temps.

Après le drame, il s’est confié à moi. Sans que je le lui demande et sans me donner trop de détails, il m’a expliqué ce qu’il faisait. Avec Manu et d’autres complices, il vole l’argent là où il se trouve. Distributeurs de billets, fourgons blindés, bijouteries.

Mon homme est un braqueur. Un braqueur à main armée.

Mon homme risque la perpétuité.

Ce fric, Manu et lui en réinvestissent une partie dans des affaires plus ou moins légales.

Ça s’appelle blanchir l’argent.

Iz et Manu sont à la tête d’une véritable organisation criminelle.

Je vis avec un criminel.

Mais je n’ai pas eu envie de partir. Peut-être parce que je n’ai que lui. Peut-être parce que je l’aime chaque jour un peu plus.

Izri m’a expliqué que si un jour les flics venaient l’arrêter, je devais me réfugier auprès de Manu. Et que si Manu était lui aussi arrêté, je devais contacter Greg. Il a enregistré leur numéro dans mon téléphone, mais pas leur nom. Il m’a aussi demandé d’apprendre leur adresse par cœur.

Dans mon portable, il y a trois contacts. Le 1, le 2 et le 3.

Izri, Manu, Greg.

Iz m’a confirmé ce que j’avais deviné : Greg fait partie de son équipe. C’est un ami d’enfance, un mec sûr.

Depuis que j’ai tué Théo, Iz me regarde autrement. Il m’aime toujours autant, mais maintenant, j’ai l’impression qu’il me respecte différemment, comme si je faisais partie de son monde. Sans doute parce que je suis devenue une criminelle, moi aussi. Et que je n’ai pas révélé à Manu qu’Izri avait eu besoin de mon aide pour s’en sortir. Il m’en est reconnaissant, je crois.

L’été va bientôt m’abandonner, j’appréhende le retour de l’hiver. Car quelque part dans mon cœur, il fera toujours froid, désormais.

Un froid mortel.

* * *

Je lis beaucoup, ces derniers temps. En m’aventurant hors du quartier, j’ai découvert une petite librairie à quatre kilomètres de la maison. Une fois par semaine, je m’y rends et achète cinq ou six bouquins avec l’argent que me confie Izri.

Le libraire s’appelle Tristan, il doit avoir une trentaine d’années. Tous les mercredis, il semble ravi de me voir arriver dans sa boutique qui déborde de livres. Il me donne des conseils qui, jusqu’à présent, ne m’ont jamais déçue. Je lis de tout ; des romans, bien sûr, mais aussi des essais, des témoignages et des bandes dessinées.

Parfois, je passe une heure à feuilleter les livres. Pour moi, ici, c’est un peu la caverne d’Ali Baba ! Mercredi dernier, Tristan m’a même offert un café et nous avons longuement parlé. Je ne lui ai pas révélé grand-chose sur moi, bien sûr, et lui ai fait croire que j’étais majeure. C’est ce qu’Izri m’a demandé de dire chaque fois qu’on me posait la question.

D’ailleurs, il m’a fait fabriquer de faux papiers. J’ai pris l’identité d’une autre femme. Sur ma carte, il y a ma photo, un nom, Malika Khalil, une date de naissance qui n’est pas la mienne. Ça s’appelle une usurpation d’identité, mais Izri m’a assuré que la vraie Malika n’en saurait jamais rien et qu’en cas de contrôle des flics, ça pourrait m’éviter bien des problèmes. Alors, j’ai toujours cette carte sur moi lorsque je sors dans la rue.

Aujourd’hui, c’est mercredi et il est 15 heures quand j’arrive à la librairie. Tristan m’adresse un grand sourire et me prépare un café.

— Asseyez-vous, Tama ! me propose-t-il d’emblée.

J’aime bien sa compagnie car il est passionné par la littérature et pourrait en parler pendant des jours ! Nous nous asseyons au fond de la boutique, où il a installé une banquette et une petite table ronde.

— Vous avez lu le roman d’Elsa Triolet ? me demande-t-il.

— Oui. J’ai beaucoup aimé… Vraiment beaucoup.

Je note que mon libraire a passé une belle chemise et s’est parfumé. Il me dévore des yeux, ce qui me met légèrement mal à l’aise.

— Je vous ai fait une petite sélection pour aujourd’hui, m’annonce-t-il.

— Vraiment ? C’est gentil à vous…

Il me raconte sa semaine, les clients originaux, leurs désirs extravagants, leurs caprices. L’un d’eux lui a rapporté un livre en affirmant qu’il fallait le brûler en place publique ! Ça me fait rire.

— Vous avez un joli rire. Vous voulez un autre café ?

— Volontiers…

Nous parlons pendant plus d’une heure et, ensuite, je lui paie les livres qu’il a choisis pour moi et qu’il place dans un sac en papier.

Il y a peu, j’ai trouvé une nouvelle citation sur Internet.

La liberté commence où l’ignorance finit.

En découvrant cette phrase de Victor Hugo, j’ai réalisé à quel point j’avais eu raison de me battre pour apprendre. Certes, lire ne m’a pas empêchée de rester une esclave des années durant, mais chaque jour, ça m’aide à me sentir plus forte.

Chaque jour, ça m’aide à briser mes chaînes, maillon après maillon.

* * *

Hier soir, Izri m’a demandé de préparer un bagage pour une petite semaine. Mais il n’a pas voulu me dire où nous allions. Juste qu’il fallait quelques vêtements chauds et plutôt détente.

Vers 10 heures ce matin, nous avons pris la voiture pour quitter Montpellier.

— Où on va ? je demande avec un sourire.

— Surprise…

— Tu m’emmènes en vacances ?

— C’est un peu ça ! rigole Izri. Nous allons au Pont-de-Montvert.

— C’est où ?

— Dans les Cévennes. On y sera dans deux ou trois heures. Mais je te garantis que tu vas être dépaysée !

Je l’embrasse et pose une main sur sa cuisse.

— On va chez ma grand-mère, m’avoue soudain Izri. Elle habite une vieille ferme.

— Ta grand-mère ? Tu ne m’as jamais parlé d’elle…

Iz hausse les épaules.

— Je vais la voir de temps en temps… Depuis que mon grand-père est mort, elle est toute seule. Mais elle ne veut pas venir habiter en ville. Elle préfère rester dans sa cambrousse !

— C’est la mère de ton père ?

— Non.

Je me liquéfie en réalisant que nous nous rendons chez la mère de Mejda. Aussitôt, j’imagine une vieille sorcière, une femme du même acabit que mon ancienne tortionnaire. Izri me regarde en souriant.

— T’inquiète, tu ne risques pas de croiser ma mère, elle n’y va jamais. Et puis ma grand-mère, c’est une gentille femme.