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Un homme honnête.

Puis Wassila saisit ma main droite et en contemple les affreuses cicatrices. Elle me demande si je souffre encore de ce qui m’est arrivé.

— Depuis qu’Izri m’a sauvée, je suis heureuse. Très heureuse avec lui… Jamais je ne pourrai le remercier de ce qu’il a fait pour moi.

Cette fois, ce sont mes yeux qui brillent.

— J’espère que tu oublieras le mal que ma fille t’a infligé, ajoute Wassila.

— C’est du passé, dis-je. Et Notre plus grande gloire n’est point de tomber, mais de savoir nous relever chaque fois que nous tombons.

Un silence étonné suit ma tirade.

— Ce n’est pas de moi ! précisé-je aussitôt. C’est un philosophe qui l’a écrit. Un philosophe qui s’appelait Confucius.

— Tu es bien savante, ma fille ! rigole Wassila.

— C’est Tristan qui m’a appris cette citation !

Izri me décoche un regard oblique.

Et terrifiant.

— C’est qui, ce Tristan ?

Ils embrassent Wassila et montent dans leur petite chambre en soupente. Une fois la porte fermée, Tama se change et se glisse sous les draps. Malgré la fraîcheur ambiante, Izri ouvre la fenêtre et allume une cigarette.

— Wassila est adorable, dit Tama. Je suis contente de la connaître.

Iz la regarde avec des mystères plein les yeux.

— Tu lui plais beaucoup.

— Tant mieux !… Tu viens me réchauffer ?

Il écrase sa cigarette, se déshabille et la rejoint. Elle se réfugie dans ses bras, avide de retrouver sa peau, son parfum, la vie qui bat en lui.

— Tu crois qu’elle est choquée qu’on dorme ensemble alors qu’on n’est pas mariés ?

— Je ne crois pas, murmure Izri.

Il glisse une main sous sa nuisette, elle se met à rire doucement.

— Pas ici ! Elle va nous entendre !

— T’inquiète…

De toute façon, Tama est bien incapable de repousser ses avances. Depuis la nuit du meurtre, quelque chose a changé entre eux. Ils sont soudés comme ils ne l’ont jamais été.

Complices, pour toujours.

Au moment opportun, Iz pose une main sur sa bouche pour qu’elle ne risque pas d’éveiller les soupçons de sa grand-mère. Puis il retombe sur le matelas, le souffle court. Tout contre lui, Tama écoute son corps lui dire à quel point elle l’aime. À quel point il représente tout pour elle.

— Alors ? C’est qui, Tristan ? murmure soudain Izri.

— Je te l’ai dit, c’est celui qui tient la librairie où j’achète mes livres.

— Hmm… Et il est comment ?

Tama soupire.

— Intelligent et instruit.

— Joue pas avec moi, Tama…

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Tu le sais très bien.

Elle réfléchit une seconde avant de mettre un pied en terrain sensible, se maudissant d’avoir prononcé son prénom.

— Il est vieux, dit-elle.

— Vieux comment ?

— Ben vieux, quoi ! Plus vieux que toi.

— Sois plus précise.

Ce n’est pas une requête, plutôt un ordre.

— Je sais pas, moi ! Il doit avoir cinquante ans. Il me conseille bien pour les livres, c’est tout… Tu es jaloux ou quoi ?

Il tourne la tête vers elle et, dans la faible clarté, elle distingue tout un cortège de menaces au fond de ses yeux.

— J’ai des raisons de l’être, Tama ?

— Aucune, Iz… C’est toi que j’aime et tu le sais très bien.

Il esquisse un petit sourire, aussi mystérieux que son regard. Puis il resserre son étreinte comme pour lui montrer qu’elle est à lui.

À lui, et à personne d’autre.

* * *

Devant la tombe d’Hachim, au milieu du carré musulman du petit cimetière, je reste silencieuse. Je ne connaissais pas cet homme mais j’ai de la peine. Parce que Izri en a.

Je pense à ma mère, enterrée elle aussi. Si loin de moi. Je ne peux pas aller me recueillir sur sa tombe, je ne peux pas la fleurir. Forcément, la seconde d’après, je songe à mon père. Se souvient-il encore que j’existe ? Est-il inquiet pour moi ? Se porte-t-il bien ?

J’aimerais tant lui dire où je suis, ce que je fais. J’aimerais tant avoir de ses nouvelles et entendre sa voix…

Mais Izri me l’a formellement interdit.

Peut-être qu’un jour, je parviendrai à le faire changer d’avis.

Nous quittons le cimetière en milieu de matinée et déposons Wassila chez elle avant de repartir. Izri veut me faire visiter la région.

Au fil des routes étroites et sinueuses, je découvre les Cévennes en automne, qui enluminent mon cœur de couleurs extraordinaires. Je m’extasie devant chaque vieille maison, devant chaque hameau délabré, chaque rivière.

Nous déjeunons dans un beau restaurant, un endroit chic et hors de prix. Dès qu’Izri sort un billet de son portefeuille, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la provenance de cet argent. Fourgon ? Banque ? Bijoux volés ?

Je brûle de savoir pourquoi il a choisi cette voie, cette vie. S’il a déjà tué des gens pendant un braquage. Mais je n’ose pas le lui demander. Moi, la petite Tama, la petite bonniche, qui suis-je pour lui poser ce genre de questions ?

Je me dis que l’amour, c’est peut-être ça. Ne pas poser de questions.

Iz fait un signe au serveur pour qu’il nous apporte l’addition. Et soudain, à voix basse, il se confie.

— Tu sais, Tama, mon grand-père a bossé comme un malade toute sa vie. Résultat, il est mort dans la misère. Je n’avais pas envie de vivre comme lui. De finir comme lui… tu comprends ça ?

Je reste interloquée une seconde. Est-il capable de lire dans mon esprit ? Au fond de mes yeux ? Suis-je un livre ouvert devant lui ?

— Oui, je peux le comprendre, dis-je. Mais l’accepter, c’est plus difficile.

— Si ça peut te rassurer, je ne tue pas les gens. Je pique le blé, c’est tout.

Il esquisse un petit sourire avant de reprendre.

— Je préfère répondre avant que tu ne poses la question…

Quand je quitte le restaurant, je suis un peu désorientée.

Et je me dis que l’amour, c’est peut-être ça.

Nous roulons toute l’après-midi. Nous traversons les gorges du Tarn, celles de la Jonte avant de monter en haut du mont Aigoual. Ivres de paysages grandioses, vertigineux, parfois inquiétants, mes yeux sont sur le point d’exploser. Je demande à Izri de faire des photos de moi, de nous.

Me souvenir, toujours. Que j’étais là, que j’ai vécu ça. Que j’étais libre.

Puis, vers 18 heures, Izri stoppe la voiture en haut d’un col et nous regardons le soleil disparaître derrière les montagnes cévenoles. Plus le ciel devient profond, plus je me sens insignifiante.

Je viens de passer la plus belle journée de ma vie. Et, malgré les promesses d’Izri, je crois qu’il n’y en aura jamais de meilleure.

— Parle-moi de ta sœur, dis-je soudain.

Surpris, il tourne la tête vers moi.

— Ta mère m’a dit un jour qu’elle avait eu une fille…

Il met quelques secondes à répondre. Je viens visiblement d’aborder un sujet délicat.

— Elle est morte, m’avoue-t-il enfin. Morte avant de naître. J’avais six ans quand ça s’est passé… Ma mère a dû accoucher, malgré tout. Ensuite, on l’a enterrée dans un minuscule cercueil blanc.

Même si je déteste Mejda, cette affreuse histoire me retourne les tripes.

— C’est terrible, murmuré-je. On sait pourquoi elle est morte ?

— Pas vraiment. Peut-être sous les coups de mon père.