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Tama s’installe sur le bord du canapé, il lui apporte un verre d’eau gazeuse.

— Raconte, dit-il en allumant une cigarette.

— Je rentrais à la maison quand j’ai vu les flics… Ils étaient en train d’arrêter Izri !

Les larmes reviennent, Greg lui tend un kleenex.

— Il m’a crié de me sauver et j’ai couru…

— Ils t’ont poursuivie ?

— Oui… mais je les ai semés.

Il a une sorte de moue admirative.

— Bon, tu as bien fait de venir, dit-il. J’avais promis à Izri de m’occuper de toi si jamais il lui arrivait quelque chose. Alors tu resteras ici tant que ce sera nécessaire. D’accord ?

— Merci… Mais les flics, ils ne vont pas venir chez toi ?

— Ils vont certainement m’interroger, mais ils n’ont aucune raison de me serrer. Et s’ils te voient, on dira que tu es ma petite amie. Ça te va ?

Tama hoche la tête.

— Tu veux manger ? propose-t-il.

— Non, merci, je n’ai pas faim…

— Ben, moi, j’ai la dalle ! dit-il en écrasant sa cigarette.

Il la dévisage avec un sourire bancal.

— Mais je suis trop crevé pour faire à bouffer. Je commande une pizza ? À moins que tu préfères un chinois ?

— Je peux te préparer quelque chose, si tu veux…

— Volontiers, dit-il en se calant dans le fauteuil.

Greg m’a donné la chambre d’amis équipée d’une banquette clic-clac. La soirée m’a semblé interminable car lui et moi n’avions pas grand-chose à nous dire. De toute façon, je n’avais guère envie de parler…

Il a l’air affecté par l’arrestation de son meilleur ami mais, malgré mes demandes, il a refusé d’appeler l’avocat, m’expliquant qu’il fallait laisser Me Tarmoni se manifester.

Tandis qu’il regarde la télé, je prépare ma chambre. J’ai toutes les peines du monde à ouvrir cette maudite banquette, pourtant il ne vient pas m’aider. Je mets les draps qu’il m’a donnés, ainsi que la petite couverture, et contemple ces murs vides et impersonnels. Seulement un cadre au mur, cliché d’une grande ville la nuit. New York, peut-être. Un de ces cadres qu’on trouve dans n’importe quel supermarché.

Je n’ai rien, ici. Je n’ai jamais eu grand-chose, mais ce soir, je me sens entièrement dépouillée. Nue, vulnérable et désorientée.

Quelques livres m’auraient peut-être rassurée.

Je demande si je peux prendre la salle de bains et, d’un geste de la main, Greg m’y autorise.

— Tu aurais des vêtements à me prêter ? quémandé-je encore.

— Sers-toi dans mon placard. Prends ce que tu veux.

— Merci, Greg.

J’entre dans sa chambre, aussi peu décorée que la mienne, mais avec un lit immense. Là non plus, aucun livre. Comment peut-on vivre sans eux quand on a les moyens de s’en procurer ?

J’ouvre le placard et vole un tee-shirt, un caleçon, un pantalon de survêtement. Je vérifie qu’ils sont propres avant de me rendre dans la salle de bains. La porte n’a pas de verrou, comme celle des toilettes d’ailleurs, et je suis mal à l’aise de me déshabiller alors qu’un homme que je connais à peine est dans la pièce d’à côté. Je me hâte de prendre une douche et de me changer. Puis je me poste à l’entrée du salon.

— À quelle heure tu te lèves ? demandé-je.

— Assez tard. Je suis pas trop du matin, avoue-t-il.

— Je ferai en sorte de ne pas te réveiller. Bonne nuit.

Il s’extirpe de son canapé et me regarde de la tête aux pieds.

— Bonne nuit, Tama.

Je rejoins ma chambre et ferme la porte. Je me glisse sous les draps et éteins immédiatement la lumière. Dans le noir, mes yeux fixent le néant. Le vide, l’absence.

Le désespoir.

Même si je suis épuisée, je ne parviens pas à trouver le sommeil.

Sueurs froides, tremblements, douleur au creux du ventre ; je suis en manque. En manque d’Izri. Son corps contre le mien, son parfum, sa peau, sa voix. J’ai l’impression que je vais devenir cinglée.

Greg va se coucher et, peu après, je l’entends ronfler. Aussitôt, je libère mes larmes. Hémorragie que rien ne pourra arrêter. Je serre l’oreiller contre moi et j’appelle doucement Izri.

À 6 heures du matin, je me lève, m’habille et quitte la chambre, aussi discrètement que possible pour ne pas réveiller mon hôte. Je passe par la salle de bains, rince mon visage dévasté et me coiffe. Puis je m’enferme dans la cuisine et me prépare du thé.

J’ai les yeux rouges et gonflés par des heures d’insomnie et de larmes. Une nuit qu’Izri a dû passer dans une immonde geôle de garde à vue. Devant ma tasse fumante, je regrette de m’être sauvée. J’aurais dû me livrer aux flics. Je préférerais encore être enfermée avec lui qu’être séparée de lui.

En entendant Greg se lever, je soupire. Difficile de cohabiter avec un inconnu qui ne m’est pas spécialement sympathique. Deux minutes après, il me rejoint dans la cuisine.

— Salut, Tama, bien dormi ?

Lorsqu’il voit ma tête, il réalise à quel point sa question est incongrue.

— Bonjour, Greg, dis-je d’une voix atone.

Il se fait du café et ingurgite un bol de céréales ainsi qu’une demi-baguette de pain avec la moitié d’un pot de confiture.

— Tu manges pas ?

— Non… Je n’ai pas faim.

Il soupire et allume la radio.

— Faut pas te laisser dépérir, Tama ! Faut que tu manges…

— Pour l’instant, à part du thé, rien ne passe.

En l’observant à la dérobée, je vois qu’il a encore grossi. Il n’est pas obèse, non, juste un peu gras. Presque aussi grand qu’Izri, mais un physique plutôt quelconque. Greg n’a pas été gâté par la nature. Visage passe-partout, corps mou, silhouette sans élégance. Ses yeux marron manquent cruellement d’éclat et de profondeur. Ni charme, ni charisme.

Si je devais faire son portrait-robot, j’en serais bien incapable. Signe particulier ? Aucun…

Son portable sonne.

— C’est Tarmoni, dit-il avant de décrocher.

Je cesse de respirer en priant pour que l’avocat m’apporte la délivrance. Je ne peux entendre ce qu’il dit et j’ai une furieuse envie d’arracher le téléphone des mains de Greg. Au bout de quelques minutes, il raccroche et à son regard, je comprends que les nouvelles ne sont pas bonnes.

— Ils sont toujours chez les poulets… Apparemment, ils ont un dossier solide… La garde à vue se termine demain matin et là, on sera fixés.

Reste à savoir si mon cœur résistera jusqu’à ce demain matin. À cette seconde, j’ai l’impression qu’il va lâcher bien avant.

* * *

La garde à vue est terminée. Izri et Manu ont été déférés devant un juge d’instruction qui les a mis en examen pour assassinat. Puis ils ont été placés en détention provisoire à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone.

La nouvelle me fait l’effet d’un coup de massue.

Izri est en prison et va y rester jusqu’au procès devant la cour d’assises.

Il risque la perpétuité.

Après m’avoir annoncé cette horreur, Tarmoni attend ma réaction. Je titube un instant avant de m’effondrer d’un bloc.

— Tama ! s’écrie Greg.

Les deux hommes me relèvent, me soutiennent jusqu’au canapé.

— Je veux le voir ! murmuré-je. Je veux le voir !

— C’est impossible, m’assène Tarmoni. Pour le moment, il n’a pas le droit aux parloirs et pour vous, de toute façon, ce sera difficile vu que vous n’avez pas de papiers d’identité en bonne et due forme.