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Greg ne travaille pas beaucoup. Il gère la boîte de nuit, mais de loin. Parfois, cependant, il y passe ses soirées. Il dirige aussi une entreprise de transport qui appartient à Manu et Iz. Là aussi, il délègue et je crois qu’il ne doit pas être trop fatigué le soir.

Greg est quelqu’un de très ordonné, pour ne pas dire maniaque. Chaque chose a sa place, ici.

Sauf que moi, je ne trouve pas la mienne.

Je vis avec un homme dont j’ignore quasiment tout et dont les manières me déplaisent. Aucune classe, aucune élégance. Zéro culture. Il me rappelle un peu Charandon. Mais Izri l’a choisi pour veiller sur moi, alors je fais comme si je l’appréciais. Et j’espère qu’avec le temps, ça viendra.

Si Izri l’aime, il n’y a pas de raison que je ne fasse pas pareil.

Sur les ordres d’Izri, relayés par l’avocat, Greg s’est occupé de notre maison. Avec quelques-uns de ses gars, ils ont mis toutes nos affaires dans des cartons qu’ils ont entreposés dans des garages de l’entreprise de transport. J’aurais voulu superviser ce déménagement car j’avais très envie de retourner là où nous vivions. Mais Greg me l’a interdit, au prétexte que la police surveillait peut-être les lieux et qu’il valait mieux que je reste dans l’ombre.

Il m’a assuré qu’il me conduirait bientôt aux entrepôts pour que je puisse récupérer ce qui me tenait à cœur.

Greg rentre déjeuner après avoir travaillé une matinée. Je lui ai préparé le repas et nous le prenons ensemble dans la cuisine. Il me pose des questions sur moi, sur Iz, sur notre histoire. Je lui réponds, plus par politesse que par envie. Et je me rends compte que mon homme lui a déjà raconté pas mal de choses sur mon passé. Il sait que j’étais exploitée par Mejda, que je suis orpheline.

En début d’après-midi, quelqu’un sonne à l’interphone et nous avons la visite de Me Tarmoni. Je lui sers un café dans le salon et m’installe en face de lui.

— Tama, j’ai vu Izri ce matin.

— Comment va-t-il ?

— Il tient le choc. C’est lui qui m’a demandé de venir vous voir…

Je souris tristement. Izri pense à moi comme je pense à lui, ça redonne un peu de vigueur à mon cœur fatigué.

— Le juge continue l’instruction, mais il ne détient aucune preuve formelle et matérielle de l’implication d’Izri dans l’assassinat de Santiago.

Je me souviens que ce Santiago est le fameux concurrent qui a tiré sur lui et qu’on a retrouvé dans le terrain vague.

— Ils ont des preuves contre Manu, mais pas contre Izri, poursuit l’avocat. Juste un faisceau de présomptions…

— Ça veut dire quoi ?

— Ça veut dire qu’Izri a une chance de s’en sortir lors du procès. D’autant que Manu n’a évidemment rien dit. Il a gardé le silence…

Cette fois, je souris vraiment.

— Il peut s’en sortir ?

— Je ne peux rien vous assurer, mais disons qu’il faut garder espoir, me répond Tarmoni.

Puis il regarde Greg et allume une cigarette.

— D’après Izri, ils ont été balancés, dit-il.

— Balancés ? répète Greg. Vous avez une idée de qui a pu… ?

— Aucune. Allez, ajoute Tarmoni, soyez courageuse mademoiselle.

* * *

Fumer cigarette sur cigarette.

Tuer le temps, tromper l’ennemi, l’ennui.

Courir, marcher, dormir. Montrer les crocs, se battre. Frapper le premier, encaisser.

Penser, oublier. Tendre l’oreille, jamais la main.

Rêver, parfois. Cauchemarder, chaque nuit.

Bannir les regrets, les remords. Se dire que le risque en valait la peine et même le chagrin. Se dire qu’on a vécu, qu’on aurait pu continuer.

La peur, toujours. La montrer, jamais.

Le pire, ce n’est pas l’enfermement. Les humiliations, les fouilles ou les coups.

Le pire, ce sont les années loin d’elle.

Le pire c’est qu’elle finira par m’oublier.

Faire semblant de rire. Semblant d’être fort. Le plus fort, toujours. Rien à foutre de rien.

Marcher en long, en large et en travers.

Tourner en rond.

Avoir perdu Tama.

Avoir tout perdu.

Compter les jours. Puis les minutes, les secondes.

Ne plus compter sur personne.

Ne plus compter pour personne.

Alors, se cogner la tête contre les murs.

Et pleurer en silence.

* * *

Regarder par la fenêtre. Attendre de voir arriver celui qui n’arrivera pas.

Qui n’arrivera plus jamais.

Regarder passer les heures. Mortes, vides.

Avaler une nourriture sans goût, laver un corps inutile.

Regarder ses mains, se dire qu’elles ne le toucheront plus.

Marcher sans avoir l’impression d’avancer.

Regarder derrière, puisque l’avenir a disparu.

Dormir sans trouver le moindre repos. Se réveiller entre larmes et désespoir.

Se regarder, ne pas se reconnaître.

Penser à Izri, ne penser qu’à lui. Jusqu’à oublier qu’on existe. Prier un dieu qui n’existe plus.

Alors, se regarder mourir, chaque jour un peu plus.

Et pleurer en silence.

88

Un mois sans Izri. Une éternité.

Je me raccroche aux paroles de l’avocat. Mais je sais que son métier, c’est mentir. Alors, ce qu’il m’a dit a-t-il la moindre valeur ? Je n’ai pas d’autre choix que de me forcer à le croire.

Tarmoni est repassé hier. J’étais seule et il m’a confié qu’Izri était étonné que Grégory ne m’ait pas installée dans un appartement rien que pour moi.

Le soir, j’en ai parlé à mon hôte. Pour le moment, l’appartement qu’il a prévu de me prêter est loué, mais il va se débrouiller pour le récupérer. Ça m’a légèrement réconfortée car j’ai vraiment du mal à partager le quotidien de cet homme, même s’il est plutôt gentil avec moi. Je devrais avoir honte de me plaindre. Il m’a donné un peu d’argent pour que je m’achète des vêtements, des livres, des produits de beauté. Et surtout, il m’a laissée passer une après-midi dans le hangar où est entreposée notre vie.

Notre vie, dans des cartons.

Le choc a été terrible.

J’ai récupéré des photos, des vêtements, des cadeaux qu’Iz m’avait offerts. J’ai aussi récupéré Batoul et l’ai mise dans l’armoire de ma chambre. Greg m’a assuré que lorsque j’aurai mon propre chez-moi, je pourrai prendre tout ce que je voudrai.

Il semble comprendre ma douleur, mon chagrin, fait tout pour que je me sente bien. Mais je le trouve un peu trop gentil, justement. Ses regards appuyés me mettent mal à l’aise, parfois. J’essaie de ne pas y faire attention, mais si Izri avait surpris un seul de ces regards, Greg serait à l’hosto avec la mâchoire fracturée.

Il serait dans le même état que Tristan.

L’autre jour, il a même fait irruption dans la salle de bains alors que je m’y trouvais. Il a prétexté avoir besoin de récupérer son rasoir car il était en retard. Je ne suis pas dupe…

Pourtant, je ne fais rien pour l’encourager. Je porte uniquement des pantalons, des tee-shirts amples. Pas de maquillage, des coiffures strictes.

J’ai hâte que cet appartement se libère afin que je puisse m’y installer. Je dépendrai toujours financièrement de Greg, mais n’aurai plus à supporter sans cesse sa présence.