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— Merci, Greg… Merci beaucoup.

* * *

J’ai à nouveau fouillé la chambre de fond en comble. Plus de carte d’identité. On dirait que le sort s’acharne contre moi… Depuis que la police a arrêté Izri, je ne m’en suis pas servie. L’hypothèse la plus vraisemblable, c’est qu’elle est entre les mains des flics. Ils ont donc ma photo, mais une fausse identité. Je me demande s’ils ont interrogé Mejda, s’ils lui ont montré mon visage. Une nouvelle angoisse s’empare de moi. Peut-être que je suis recherchée ?

Du coup, je sors encore moins qu’avant et me contente d’aller au petit supermarché trois rues plus loin. Et dès que je mets un pied dehors, je pose un foulard sur ma tête, telle une bonne musulmane.

Greg a pris des contacts afin de me procurer d’autres papiers mais il m’a précisé que ce n’était pas sa partie et qu’il faudrait du temps.

Ce temps qui m’assassine.

Chaque jour sans Izri est un jour perdu.

Je me suis acheté des livres, des dizaines de livres. À vrai dire, je n’ai pas la force de lire. Je n’arrive pas à me concentrer.

Sur chaque page, le visage d’Izri.

Chaque mot comporte quatre lettres, IZRI.

Mais je les ai tous mis dans ma chambre et leur présence m’apaise. C’est comme si j’avais des amis autour de moi. Des amis silencieux et compréhensifs.

Ces amis que je n’ai jamais eus.

Je n’avais que lui. Izri était mon quotidien, il était mes jours et mes nuits. Mes rêves et mes cauchemars. Il me guidait, donnait un sens à ma vie.

Il était le centre du monde, mon univers.

Il était la terre, le ciel et l’air. Il était l’eau et le feu, le froid et le chaud.

Il faisait battre mon cœur, sourire mes lèvres.

Aujourd’hui, il est mes larmes et ma détresse.

* * *

— Alors ? questionne Izri. Quelles sont les nouvelles ?

— À la boîte, tout va bien, répond Greg. On a réussi à…

— Je te parle pas de la boîte, coupe Izri avec agacement. Je te parle de Tama.

— Ah… elle va bien, elle aussi.

— Tu as fait ce que je t’ai demandé ?

— Ouais. Mais c’est pas drôle, je t’assure !

— Rien à branler. Raconte…

— Je l’ai suivie, cette semaine. Elle a pris le bus et elle est allée passer l’après-midi chez un type.

Le visage d’Izri se transforme. Se déforme. Ses mains s’accrochent au rebord de la table.

— Quel type ? demande-t-il d’une voix sourde.

Greg allume une cigarette, faisant durer le suspense.

— Accouche, bordel ! lui ordonne Izri.

— Mais j’en sais rien, moi !

— Comment ça ? hurle Izri.

— Eh, du calme mon vieux… Je vais me renseigner sur lui, OK ?

— Et d’abord, comment tu sais qu’elle est entrée chez un type ?

— Ben c’était une maison et j’ai jeté un œil à la boîte aux lettres.

— Alors tu connais son nom ! Qu’est-ce que tu attends pour me le dire, putain ?!

— Il s’appelle Tristan Perez.

Izri a le souffle coupé. Ses pires craintes viennent de prendre corps.

— Putain de merde, murmure-t-il.

— Tu le connais ?

— Faut que tu l’empêches de voir ce mec !

— Et comment ?

Izri lève sur lui un regard terrifiant.

— Tu te démerdes. Je ne veux pas qu’elle retourne chez lui, c’est clair ?

— Très clair, soupire Greg.

— S’il le faut, tu lui interdis de sortir de la maison. Je compte sur toi.

— Tu peux… Bon, faut que j’y aille. Je reviens bientôt.

— Merci, mon frère.

* * *

Le jour de mes quatorze ans, je l’ai revu.

Darqawi était assis sur un banc, le long d’un square. Il savait que je passais par là chaque matin pour me rendre au collège et il m’attendait.

Quand je l’ai aperçu, j’ai senti renaître la peur. Je me suis immobilisé à deux mètres de lui, prêt à m’enfuir. Nous nous sommes dévisagés de longues secondes et j’ai alors remarqué le petit paquet posé juste à côté de lui. Il s’est éloigné en abandonnant le cadeau sur le banc. Dès que Darqawi a été suffisamment loin, je me suis assis à sa place. J’ai hésité à ouvrir le paquet, surpris qu’il se souvienne de mon anniversaire. Finalement, j’ai déchiré le papier et découvert une petite boîte en bois. À l’intérieur, une bague. Sa bague. Un bijou imposant, en argent massif sculpté de motifs ethniques.

Cette bague qui m’avait fait si souvent mal lorsqu’il me filait des gifles. Je l’ai mise à mon doigt, elle était un peu grande à l’époque. Pourtant, je ne l’ai plus jamais quittée.

* * *

Dans ma chambre, je regarde une photo d’Izri. Une photo prise chez Wassila. Sur ce cliché, il est d’une incroyable beauté. Ses yeux clairs brillent de mille feux et son sourire a quelque chose de carnassier.

Sur ce cliché, nous étions heureux, je crois.

J’ai envie de parler à jedda. Je lui donne régulièrement des nouvelles et je sais que l’arrestation d’Izri l’a choquée. Depuis, je trouve qu’elle a une voix fatiguée. Je l’appelle, laisse sonner, encore et encore. Mais Wassila ne répond pas.

Ça m’aurait fait tant de bien de me confier à elle…

Alors, je décide d’écrire une lettre pour Izri. Hier, j’ai eu Tarmoni au téléphone et il m’a promis qu’il pourrait la lui faire passer. Car si elle arrive par la poste, elle sera lue par les gardiens.

Pendant deux pages, je lui rappelle à quel point je l’aime, à quel point il me manque. Je lui dis que je pense à lui chaque seconde, à lui et à personne d’autre. Je lui promets que je l’attendrai, quoi qu’il arrive. Je l’attendrai, même si c’est pendant vingt ans.

Je joins à la lettre une photo de nous, prise près de la piscine et que j’ai récupérée dans un des cartons. Je mets tout dans une enveloppe que je pose sur ma table de chevet. Je ne la ferme pas car Me Tarmoni voudra peut-être la lire.

Puis je m’endors en pleurant.

À mon réveil, Greg est assis à côté du lit. Surprise, je me redresse. Il me sourit, comme s’il avait une bonne nouvelle à m’annoncer.

— Bien dormi ?

— Ça fait longtemps que tu es là ?

— Quelques minutes à peine. Tu es si jolie quand tu dors, Tama…

Je m’assois et constate que l’enveloppe est tournée dans l’autre sens. Il l’a touchée, peut-être lue. Il a mis ses mains sales sur mes mots d’amour.

— Ça en est où, pour la carte d’identité ? dis-je.

— Nulle part.

Il vient près de moi, mon cœur accélère. Il va recommencer, je le vois dans ses yeux. Il pose une main sur ma cuisse, remonte doucement vers ma hanche. Je saisis son poignet, stoppant ses élans.

— Je peux pas me contrôler. Depuis que je t’ai vue, la première fois, j’ai envie de toi…

— Arrête. Nous deux, c’est impossible. Et ça sera toujours impossible.

Je vois la hargne et la déception marquer son visage.

— Ferme-la, Tama. J’ai assez attendu.

Je me lève brusquement et recule en direction de la fenêtre.

— Attendu quoi ? dis-je.

— Izri va en prendre pour vingt piges et tu le sais. Alors, maintenant, tu n’as que moi. Et si tu veux que je sois gentil avec toi, va falloir que tu sois gentille avec moi…

— Je suis avec Izri ! AVEC IZRI ! Et s’il faut l’attendre vingt ans, je l’attendrai !

Greg m’adresse un sourire ignoble.

— Je sais, j’ai lu ta lettre. C’est touchant. Tellement touchant… Mais je peux t’aider à l’oublier, si tu veux.