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Je tourne la tête sur le côté pour ne plus voir son visage disgracieux.

— J’ai eu une petite conversation avec la mère d’Izri… Elle est charmante, cette femme, tu ne trouves pas ?

Mejda, Greg. La pire des alliances possibles.

— Mais elle te déteste, continue mon bourreau. Elle est sûre que tout est ta faute. Que c’est à cause de toi que son fils pourrit en cabane…

— Elle saura que c’est toi !

— Mais non, Tama… Elle ne saura rien du tout. Elle m’a expliqué qui tu étais. Je sais tout sur toi… Tu t’occuperas de moi et quand je ne serai pas là, tu resteras enfermée. Qu’est-ce que tu penses du placard au fond du couloir ? Ça te plairait ? Ou dehors, dans la remise ?

Il semble bien s’amuser. J’aimerais disposer de mes mains pour pouvoir me boucher les oreilles.

Je voudrais lui arracher le cœur, les yeux. Je ne suis plus qu’une bête sauvage.

— Et puis bien sûr, dès que j’ai envie de baiser, je te siffle et tu viens en courant. Comme une chienne, tu vois ? Tu seras ma bonne à tout faire et mon esclave sexuelle. On dirait que tu as eu une promotion, Tam ! rigole-t-il.

Je remets mon visage en face du sien et le fixe droit dans les yeux.

— Ce n’est pas Iz qui va te tuer…

— Ah bon ?

— C’est moi.

Il me regarde d’un air faussement désolé.

— J’ai oublié le plus important, ajoute-t-il. Si jamais tu ne m’obéis pas, je m’occupe de ton mec. La taule, c’est un endroit hyper dangereux, tu sais… Il suffit que je paye un gars, ou même que je soudoie un maton et Izri se retrouve avec une lame dans le bide. Fini, plus d’Izri.

Je sens mon cœur mourir dans ma poitrine.

— Tu veux que je le tue, Tama ?

Il attrape mon visage à deux mains, l’attire vers le sien.

— Tu veux que je crève Izri ? répète-t-il en haussant la voix.

— Non !

— Alors tu vas être bien sage, Tama ?

— Oui !

Satisfait, il me lâche et je me ratatine contre le mur, le plus loin possible de lui.

— J’ai faim, dit-il. Va me faire à bouffer. Et t’as intérêt à ce que ce soit bon. Sinon, je te démolis la gueule.

Pendant que je prépare le dîner, Greg ne me quitte pas des yeux. Une bouteille de bière à la main, il suit chacun de mes gestes. Il avait oublié une chose. Une chose importante. Je pourrais empoisonner sa bouffe. Alors, il est obligé de me surveiller comme le lait sur le feu au lieu de rester vautré dans son canapé.

— Au fait, tu veux vraiment savoir ce que j’ai dit à Iz quand je suis allé aux parloirs ?

Je me fige devant la gazinière.

— Elle a pleuré au début mais ça va mieux maintenant… Beaucoup mieux, même.

Je me retourne, le foudroie du regard. Il a toujours cet immonde sourire en travers de la gueule.

Je me prépare mentalement à entendre le pire. Pourtant, je suis encore loin du compte.

— Je lui ai dit que tu t’absentais souvent… Tu connais ce cher Iz : il a flippé comme un malade !

Greg ricane et boit une gorgée de bière.

— La jalousie, c’est moche… Alors, il a voulu que je te suive pour savoir ce que tu faisais de tes journées.

Il s’approche et effleure ma joue tuméfiée.

— La semaine dernière, après ta petite confession, je lui ai dit que j’avais découvert que tu passais tes après-midi chez un certain Tristan.

J’essaie de retenir mes larmes pour qu’il ne jouisse pas davantage de sa perfidie.

— J’ai cru qu’il allait faire une crise cardiaque ! s’esclaffe Greg. Tu l’aurais vu… Il était dingue ! Et tu sais quoi ?… Il m’a demandé de t’empêcher de sortir de la maison. Par tous les moyens. De t’enfermer, quoi. Tu vois, je ne fais que lui obéir !

Je lui crache au visage.

— Espèce d’enfoiré !

Il essuie l’insulte avec sa main et pose la canette de bière sur la table. Puis il m’assène une gifle qui m’explose le tympan gauche.

Au moins, je n’entendrai plus ses sarcasmes.

Pendant qu’il mange, il m’oblige à rester à genoux sur le tapis de la salle à manger, devant la cheminée. Dès qu’il a besoin de quelque chose, je me relève et vais le lui chercher.

Je le sais capable de tuer Izri, désormais. D’ailleurs, c’est ce qu’il a commencé à faire en lui racontant des horreurs à mon sujet. J’imagine l’homme que j’aime se morfondre au fond d’une cellule en pensant que je l’ai trahi. Je l’imagine en train de pleurer pendant son sommeil.

Et à cette seconde, je me fais une promesse. Faire ravaler à ce fumier son immonde sourire.

Quand Greg a terminé son repas, il m’empoigne par le bras et m’entraîne vers le placard au fond du couloir.

— Fais de beaux rêves, Tam chérie !

Il verrouille la porte, je m’écroule sur le sol. Enfin, je peux pleurer toutes les larmes de mon corps.

* * *

Devant la fenêtre, derrière les barreaux, je fume une cigarette. Je pense à Tama. Je ne pense qu’à elle, de toute façon.

Comment a-t-elle pu me trahir aussi vite ?

Je n’arrive même pas à la détester. Je continue de l’aimer même si j’ai envie de la tuer.

J’espère que Greg fera le nécessaire mais c’est déjà trop tard. Je ne trouve plus le sommeil, le repos. Ma poitrine est lourde de chagrin et de haine, mon cœur ne bat plus ; il se débat.

Par moments, je me dis qu’elle ne m’a pas trompé. Qu’elle lui a juste rendu visite. Qu’ils ont parlé bouquins et bu du café. Qu’il ne me l’a pas volée, pas encore.

Mais malgré ces sursauts d’espoir, quelque chose s’est brisé en moi. Un rouage essentiel.

Tama, c’était mon refuge, mon abri, ma tanière.

C’était ma force, ma faiblesse, mon envie.

Tama, c’était le ciment qui comblait mes failles et m’empêchait de me disloquer.

Le phare au milieu des tempêtes. La voile qui me permettait d’avancer.

Tama, c’était tout pour moi.

Je m’effondre sur mon lit et écoute les ronflements de mon codétenu. Puisqu’il dort, je peux chialer sans craindre d’être découvert.

Car ici, pour rester en vie, il ne faut jamais dévoiler la moindre faiblesse. Affûter ses armes, endosser une armure, forger son bouclier. Frapper le premier, savoir encaisser.

Malgré ce que j’ai appris, Tama me manque. Sa peau, son regard, ses mains, son sourire, le son de sa voix. Je ferme les yeux et l’imagine contre moi. Mais l’instant d’après, je l’imagine en train de se faire sauter par Tristan et ma poitrine s’ouvre sur un râle de douleur.

Sans elle, combien de temps vais-je tenir ici ?

Je serre les dents, je serre les poings. Impuissant, dévasté. J’enfouis mon visage dans l’oreiller pour étouffer mes cris, ma rage, mes pleurs.

Les heures passent, mon désespoir empire.

Au beau milieu de la nuit, la mort apparaît devant moi. Elle s’est travestie en Tama pour m’attirer dans ses filets. Elle me tend la main, m’appelle d’une voix douce. Elle me promet monts et merveilles.

Elle me promet l’oubli.

Oublier Darqawi, Tama et tout le reste.

Oublier la douleur, les trahisons, les humiliations.

Oublier quel enfant j’ai été, quel homme je suis devenu.

Je me rends compte que je l’ai toujours désirée. Que je l’ai défiée chaque jour. En prenant les armes, en braquant les banques et les fourgons.

Je l’ai toujours voulue.