Выбрать главу

— Nous nous connaissons de vue, assurai-je.

Il en convint.

— Pardon de vous déranger, reprit ce passeur de Rubicon, mais j'ai une sépulture dans trente minutes et le petit va en classe.

Ces deux raisons me parurent suffisantes pour que je l'invite à parler.

Il le fit doctement.

— Je tiens à vous entretenir d'un fait troublant, préambula-t-il. Mon fils Paul-Robert, ici présent, vient de passer quinze jours à Londres afin d'y enrichir son anglais. Il en est revenu hier après-midi avec ses camarades de classe et affirme avoir été le témoin d'un attentat en débarquant à la gare du Nord.

— Un attentat ! m'étonné-je-t-il avec une incrédulité à peine dissimulée.

Mon attention se fixe sur Paul-Robert, lequel soutient hardiment l'éclat de mes prunelles.

— Oui, m'sieur ! assure le fils Charretier, soudain désintimidé.

— Raconte-moi cela, mon garçon.

Son rapport fut bref, concis et marqué d'un tel accent de sincérité que je ne perdis pas de temps à le mettre en doute.

Sitôt sur le quai, il se rappela avoir laissé dans le porte-bagages de son wagon un cadeau destiné à ses parents. Plantant là ses condisciples, il rebroussa chemin afin de le récupérer, puis se mit à courir pour rattraper « le rang ». Comme il franchissait la passerelle à grand renfort de coups de coudes, il assista à une scène qui l'impressionna fortement. Une jeune fille se déplaçait au sein d'un groupe d'hommes pressés. Tout à coup, l'un d'eux se baissa, lui saisit les chevilles à deux mains et, avec une rare promptitude, la fit basculer par-dessus la rampe. Le flot des voyageurs continua de s'écouler, le gamin en fit autant. Presque aussitôt des cris retentirent ; mais Paul-Robert, abasourdi par ce qu'il venait de voir, rejoignit les autres lycéens sans se retourner.

Il ne souffla mot du drame à personne, pas plus à sa mère, venue l'attendre, qu'à ses amis.

Au cours du dîner familial, il se cantonna dans un mutisme inhabituel. Les siens en furent d'autant plus alarmés qu'il avait beaucoup à raconter.

Un peu plus tard, son croque-mort de père l'alla voir dans sa chambre et parvint à le confesser.

— Vous comprenez, déclare ce dernier, en apprenant une chose pareille, je me suis dit qu'il convenait de vous en parler puisque nous sommes voisins.

Je l'assure qu'il a bien agi et entreprends de faire jacter Charretier fils.

Pas con, ce mouflard. Certes, ce qu'il a vu l'a traumatisé, mais cela n'a rien enlevé à son esprit d'observation.

Selon lui, l'agresseur de la jeune fille n'était pas seul ; il appartenait à un groupe d'individus chargés de masquer son acte. C'est pur hasard que Paul-Robert ait assisté au forfait, grâce à sa petite taille, je suppose.

Vachement fier de paterner le témoin d'un presque meurtre, le pompeur-funèbre-général ! Les macchabées, il connaît. Blindé, il est ! Mais que son hoir ait visionné un crime, voilà qui l'enorgueillit jusqu'à la marque de son slip située à vingt centimètres de son anus.

— Dis bien tout à monsieur, mon chéri, conjure-t-il.

Le petit gazier ne demande pas mieux.

Il commence à mesurer son importance. Me confie que les hommes ayant neutralisé la voyageuse étaient des étrangers. Ces gens n'avaient pas des gueules d'ici. Tous très grands, ils portaient des impers à épaulettes et tenaient chacun un attaché-case de cuir rougeâtre.

Les Charretier (ceux-ci ne jurent pas) me prennent bientôt congé. Ennoblis par leur démarche civique, ils s'en vont, qui à ses cadavres nourriciers, qui à ses branlettes, la conscience en paix.

2

Dans la chambre de Pamela Grey, je découvre quatre personnes. Elle, d'abord, inconsciente, plâtrée et drainée de partout, le toubib, puis un petit homme chauve tout rond, et enfin un mec blond d'une trentaine d'années, au regard couleur banquise.

La ravissante infirmière qui m'escorte annonce en me désignant au professeur Jean Nédeux (c'est écrit sur son badge) :

— Monsieur est de la police.

La présentation n'est pas pompeuse mais produit toujours son effet.

J'accorde un salut général de prélat blasé.

— Veuillez me pardonner si j'importune, déclamé-je, l'on m'a informé à la réception que le père de miss Grey se trouvait auprès de sa fille et un entretien avec lui est indispensable.

Le bonhomme à la chevelure en peau de fesses parle un français très convenable. Il exécute un pas dans ma direction en disant « Hello » et me présente une main appétissante comme une grappe de saucisses en conserve. Je presse l'ensemble en cherchant à qui me fait songer le bonhomme. Oh ! oui : à ce petit Ricain, made in Italy, qui forme un couple comique avec Schwartzenegger. Il en a la pétulance et la cocasserie. Ayant appris dans la journée d'hier l'accident de sa fille, ce digne personnage a illico affrété son Jet privé (un Fépalcon 416 caramélisé) pour accourir à son chevet ; preuve d'une fibre paternelle plus tendue qu'une corde de violon.

Son collaborateur de confiance, mister Los Hamouel (le mec aux yeux d'acier) a insisté pour l'accompagner ; c'est vachement gentil de sa part, car au lieu de traverser l'Atlantique Nord, il aurait pu se faire constricter le python par une radasse de luxe.

Le gars en question m'est aussi sympathique qu'une flaque de dégueulis sur la banquette arrière de ma Jaguar. Mais trêve de « billes versées », dirait joliment un homme nommé Béru. Fuyant son regard de reptile, je me consacre à David Grey et à sa fifille qui aurait dû rester devant son dry-martini, en prenant soin, toutefois, de cracher le noyau de l'olive qui le décore.

La môme ne devait pas être très belle avant son « accident ». Maintenant, elle est franchement tartignole, avec sa tronche asymétrique. L'une de ses pommettes obstrue son œil droit, son nez, bourbonien d'origine, est devenu picassien. Ses délicates oreilles ressemblent à des chanterelles. Elle possède un menton d'herbivore, escamoté comme un tiroir trop enfoncé. On a dû lui raser la tête pour rafistoler sa boîte crânienne, ce qui finit le tableau. M'est avis que, doré de l'avant, va falloir qu'elle passe une chiée d'annonces dans le Chasseur Français pour se dégauchir un époux et qu'elle chipote pas sur le blason !

— Cher ange, murmure David Grey d'un ton frémissant telle l'eau du thé qui se met à bouillir.

Je le visionne. Pas surprenant qu'il ait procréé une tarderie pareille, avec son physique ! De plus, un tic l'oblige à soulever à tout instant son sourcil gauche, comme s'il marquait une surprise. Je n'aime pas les individus affligés de ces brèves convulsions. J'imagine toujours qu'il s'agit d'une astuce destinée à capter l'intérêt de l'interlocuteur.

S'estimant superflu, le toubib s'emporte discrètement.

— Je crois savoir que la police a déjà dressé un rapport à propos de l'accident ? me dit le businessman.

— Naturellement, accordé-je, mais depuis, certains éléments nous donnent à penser que nous sommes confrontés à un attentat.

Il stoppe son tic pour tiquer.

— Un attentat ! ginocule le plus grand nain de ma connaissance.

— Un témoin s'est présenté avec quelque retard pour affirmer la chose.

— Digne de foi ?

— Absolument. Il assure que cette jeune fille a été cernée par un groupe d'hommes. L'un d'eux l'a saisie aux chevilles et fait basculer sur les voies.

Le vieux requin friqué joue à la bille de loterie avec ses yeux ; ses lèvres remuent très vite, kif celles d'une grand-mère corse en train de réciter son chapelet en faisant rissoler des châtaignes dans l'âtre.

Il balbutie :

— Mais pourquoi ?

Et ça, crois-moi ou sinon va te faire pratiquer une trachéotomie dans le rectum, c'est une réplique de bizness-man dans toute son apothéose. Il veut savoir, le collectionneur de dollars, ce qui a motivé pareil crime. Ça rapporte quoi et à qui, de l'avoir déglinguée, sa Pamela ?