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— On l’aurait… Ce serait un enlèvement, mon Dieu, mais pour quoi faire ?

Cette fois, personne ne répondit.

Antoine n’aurait pas su l’expliquer, mais que l’on pense à un kidnapping le rassurait. Il avait l’impression que cette hypothèse éloignait les soupçons.

Derrière lui, il entendit les voitures approcher. Il se précipita à la fenêtre.

Il y en avait trois. La tombée de la nuit avait interrompu les recherches. Une quatrième arriva. Puis ce fut au tour du véhicule municipal, conduit par le maire, de se garer dans la rue. Les hommes s’entretenaient à voix basse sur le trottoir. Leur attitude énergique et résolue avait disparu, ils avaient maintenant un air emprunté et vaguement coupable.

Mme Desmedt n’attendit pas que l’un d’entre eux rassemble son courage pour aller lui porter des nouvelles qui n’en étaient pas, elle se précipita hors de la maison, décomposée, écouta le compte rendu de l’un, de l’autre. Chaque information semblait la tasser un peu plus sur elle-même. Ces hommes qui rentraient bredouilles, cette nuit qui était maintenant tombée, les heures qui passaient… Enfin, M. Desmedt arriva à son tour. Il sortit de sa voiture les épaules basses. En le voyant, Bernadette vacilla, Weiser n’eut que le temps de la rattraper.

M. Desmedt accourut, prit sa femme dans ses bras et ce triste cortège se dirigea vers la maison.

Le visage crayeux de Bernadette, ses cernes, sa manière de se mordre le poing, et la façon soudaine dont elle s’était évanouie, tout cela avait secoué Antoine.

Il aurait voulu lui rendre Rémi.

Il se mit à pleurer lentement, silencieusement, c’était un chagrin profond parce qu’il savait que Bernadette ne reverrait jamais son petit garçon vivant.

Bientôt, elle le verrait mort.

Allongé sur une table en aluminium, recouvert d’un drap. Elle se serrerait contre son mari qui passerait son bras autour de ses épaules. L’employé de la morgue soulèverait doucement le drap. Elle découvrirait le visage bleuté de Rémi, sans expression, avec son énorme hématome sur tout le côté droit de la tête. Elle éclaterait en sanglots, M. Desmedt la soutiendrait. En sortant, il ferait un signe au gendarme qui serait près d’eux, oui, c’est bien lui, c’est notre petit Rémi…

Quelques minutes plus tard, ce fut au tour de la camionnette de la gendarmerie d’arriver.

Antoine vit le capitaine accompagné de deux collègues traverser le jardin, sonner à la porte. Puis ils firent le trajet inverse, mais cette fois avec M. Desmedt qui marchait entre eux à grands pas. Il exsudait la colère. Tous quatre se dirigèrent vers la camionnette où tous les hommes encore présents se massèrent rapidement.

Entendant des cris, Antoine ouvrit la fenêtre.

— Où vous l’emmenez ?

— De quel droit… ?

— Laissez-les passer, criait le maire qui tentait l’impossible pour empêcher qu’on s’en prenne aux gendarmes.

— Parce que le maire est avec les gendarmes, maintenant ? Contre les gens ?

Les gendarmes, patients et concentrés, poursuivirent leur chemin, firent entrer M. Desmedt dans leur véhicule et démarrèrent aussitôt.

La plupart des hommes montèrent en voiture et prirent le sillage de la camionnette…

Antoine ne savait pas quoi penser.

Pourquoi venait-on d’emmener le père ? Le soupçonnait-on de quelque chose ?

Ah, si on pouvait arrêter quelqu’un d’autre que lui, et surtout M. Desmedt qui lui faisait tellement peur… Il pensa à Bernadette qui venait de voir partir son mari… Bombardé d’impressions contradictoires, Antoine ne savait plus où donner de la tête.

Claudine et Mme Kernevel étaient parties, Mme Courtin commença à réchauffer le repas.

Antoine reprit silencieusement ses préparatifs. Son sac à dos était petit, il ne pouvait pas y mettre tout ce qu’il aurait voulu, mais tant pis, avec l’argent qu’il avait, il achèterait en route ce dont il aurait besoin.

Vers 19 h 30, sa mère l’appela pour dîner.

— Tu te rends compte d’une histoire, quand même…

Autant qu’à Antoine, elle se parlait à elle-même.

Jusqu’ici, elle avait vécu l’événement comme un fait divers, une de ces histoires de voisinage qu’on raconte encore de temps en temps, des années plus tard, parce qu’elle était convaincue que Rémi allait réapparaître et que son entendement ne parvenait pas à concevoir qu’il puisse avoir réellement disparu. Elle avait en mémoire plusieurs exemples de gosses qu’on avait cherchés… Tout en mettant la table, elle raconta à Antoine :

— Tiens, le fils d’une voisine à ta tante… Quatre ans, il avait. Il s’était endormi dans le coffre à linge, je te jure ! Ils l’ont cherché pendant des heures, ils avaient déjà appelé les gendarmes, c’est la belle-fille qui l’a trouvé…

Ils virent au même instant les lumières des gyrophares éclairer les fenêtres. Mme Courtin fut la première debout. Elle ouvrit la porte.

La camionnette des gendarmes s’arrêtait, non pas devant la maison des Desmedt, mais devant celle des Courtin.

Mme Courtin ôta son tablier d’un geste vif. Antoine était derrière elle.

Le jeune gendarme s’avançait vers eux.

Antoine pensa qu’il allait mourir.

— Désolé, madame Courtin, de vous déranger. C’est qu’on aimerait bien parler à votre fils…

Disant cela, il se baissait et penchait la tête pour chercher Antoine du regard. Mme Courtin fronça les sourcils.

— Mais pourquoi…

— Une formalité, rien d’autre. Antoine ?

Le gendarme cette fois ne tenta pas de se mettre à sa hauteur en s’agenouillant devant lui.

— Tu veux venir avec moi, mon garçon ?

Antoine le suivit jusque dans le jardin voisin, près des deux autres gendarmes. M. Desmedt attendait là, lui aussi, le visage fermé. Il fixait Antoine avec ses yeux furieux.

Le gendarme se tourna vers Antoine.

— Montre-moi exactement à quel endroit tu as vu Rémi pour la dernière fois ?

Tous le regardaient. Sa mère se tenait derrière lui.

Qu’avait-il répondu à Bernadette ? Qu’avait-il dit au gendarme ? Il ne s’en souvenait plus exactement, il avait peur de s’embrouiller. Il avait parlé du chien. Antoine ne bougeait pas, le gendarme répéta sa question :

— Antoine, montre-moi exactement où il se trouvait, je te prie.

Antoine comprit alors que le gendarme s’était placé volontairement à cet endroit pour lui masquer le tas de sacs-poubelle. Tout lui sembla d’un coup beaucoup plus simple. Il fit un pas, tendit le bras.

— Là.

— Mets-toi à l’endroit où il se trouvait.

Antoine alla jusqu’aux sacs. Il imaginait la scène. Il se voyait passer dans la rue, il apercevait Rémi près du sac, qui pleurait…

Il s’avança. Là.

Le gendarme vint près de lui, attrapa le premier sac, le tira vers lui, l’ouvrit, jeta un œil à l’intérieur. M. Desmedt regardait la scène, les bras croisés.

À la porte de la maison, la silhouette de Bernadette se dessinait en contrejour. Elle tenait les pans de son manteau serrés contre son cou.

— Et qu’est-ce qu’il faisait, Rémi… ? demanda le gendarme.

C’était trop long. Quelques minutes, Antoine aurait pu tenir, mais dans ce jardin seulement éclairé par la lampe de la marquise et les lueurs des réverbères de la rue, se sentir ainsi scruté par Bernadette, M. Desmedt, par le gendarme, par sa mère qui essayait de comprendre à quoi tout cela pouvait servir… Par les gens qui maintenant s’arrêtaient dans la rue pour observer la scène.