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— Si, confirma Antoine, c’est tout à fait ce que je veux dire… C’est encore possible. C’est… c’est limite, mais c’est possible.

— La vie est sacrée, Antoine ! Dieu a voulu qu…

— Ne m’emmerdez pas avec ça !

On aurait dit qu’on venait de le gifler. Il avait beau jouer les empereurs romains, il perdait déjà pied, ce qui conforta Antoine dans son attitude combative.

Le cri de son fils avait intrigué Mme Courtin, dont on entendit le pas dans l’escalier.

— Antoine ? demanda-t-elle en arrivant à la dernière marche.

Il ne se retourna pas vers elle. Mme Courtin eut, en passant la tête, l’étrange vision de ces deux hommes face à face, dressés sur leurs ergots, visiblement prêts à en découdre… Elle remonta dans sa chambre sur la pointe des pieds. M. Mouchotte, submergé par l’indignation, ne s’était même pas rendu compte de sa présence.

— Mais enfin…, vous avez déshonoré Émilie !

Il parlait maintenant sur une tonalité basse, il articulait chaque syllabe pour souligner qu’il ne parvenait pas à croire à ce qu’Antoine disait tant c’était énorme.

— Oh, ajouta celui-ci pour faire bonne mesure, question « déshonneur », comme vous dites, elle ne m’a pas attendu, je peux vous l’assurer.

Cette fois, M. Mouchotte était outré.

— Vous insultez ma fille !

La conversation était mal engagée et il déplaisait à Antoine de profiter d’un avantage aussi facile, mais il n’avait pas l’intention de baisser sa garde, il décida de pousser son avantage :

— Votre fille fait ce qu’elle veut de son corps, ça ne me regarde pas. Mais je ne…

— Elle était fiancée !

— Oui, eh bien, ça ne l’a pas empêchée de coucher avec moi.

Antoine devait se tirer de ce mauvais pas coûte que coûte, et avec un interlocuteur comme M. Mouchotte, il valait mieux ne pas trop faire dans la nuance.

— Écoutez, monsieur Mouchotte, je comprends votre embarras, mais de vous à moi, votre fille n’est pas tombée de la dernière pluie. Alors elle est enceinte de quelqu’un, c’est certain, mais je n’ai pas plus de responsabilité dans cette affaire que… disons, que les autres.

— Je me doutais que vous étiez un homme méprisable…

— Eh bien, la prochaine fois, vous recommanderez à votre fille de mieux choisir ses amants.

M. Mouchotte hocha la tête, bien, bien, bien…

— Puisque vous le prenez ainsi…

De derrière son dos, il sortit un journal qu’il brandit devant lui, comme un tue-mouches. Le journal de la région. Antoine ne parvint pas à savoir s’il s’agissait de celui du jour.

— On le sait… il est possible aujourd’hui de faire des tests !

— Comment ça… ?

Antoine avait pâli.

M. Mouchotte se rendit compte qu’il avançait dans la bonne direction.

— Je vais porter plainte contre vous…

Antoine vit se profiler la menace, mais il ne parvenait pas à comprendre quelles implications elle aurait sur sa vie.

— Je vais vous faire un procès et vous contraindre à un prélèvement génétique qui prouvera, de manière indiscutable, que vous êtes le père de l’enfant que porte ma fille !

Antoine fut terrassé, il resta la bouche ouverte, incapable de réfléchir sereinement à la situation.

Cet imbécile disait des choses dont il ne mesurait pas les conséquences.

— Foutez-moi le camp, souffla Antoine d’une voix blanche.

— Il vous est encore possible, conclut M. Mouchotte, de préférer la voie de l’honneur à celle de l’infamie tant pour Émilie que pour vous. Car, sachez-le, rien ne me fera changer d’avis ! Je me rendrai au tribunal, j’exigerai ce prélèvement et vous serez obligé, que vous le souhaitiez ou non, d’épouser ma fille et de reconnaître cet enfant !

Il fit un demi-tour martial et sortit en claquant la porte.

Antoine eut besoin d’un appui, il se cramponna au chambranle. Il fallait trouver une parade.

Il grimpa l’escalier quatre à quatre, entra dans sa chambre, s’y enferma et commença à marcher de long en large.

Allait-il être contraint d’épouser Émilie Mouchotte ?

Cette perspective lui donna la nausée. Et où habiteraient-ils d’ailleurs, jamais Émilie n’accepterait de partir à l’étranger, de s’éloigner de ses parents.

Et de toute façon, que vaudrait son dossier auprès d’une organisation humanitaire lorsqu’il serait père d’un enfant d’un an ou deux ?

Serait-il alors condamné à rester à Beauval ?

C’était insupportable.

Antoine essaya d’imaginer la situation de la manière la plus concrète. M. Mouchotte allait porter plainte. Il arrivait dans le bureau d’un juge… qui trouverait cette demande ridicule. « On ne fait ce genre de chose qu’en cas de viol, monsieur Mouchotte, dirait-il, votre fille a-t-elle porté plainte pour viol… ? »

Non. Antoine se rassura : jamais un magistrat ne donnerait suite à cette requête, c’était impossible.

Mais en même temps, le juge ne manquerait pas de se poser une autre question : s’il était si certain de n’être pas le père, pourquoi Antoine Courtin ne le faisait-il pas, ce test ?

Le juge s’interrogerait certainement sur cet homme qui refusait un test génétique… au moment où l’on venait de découvrir l’ADN de l’assassin de Rémi Desmedt. Cet homme étant justement celui qui, autrefois, avait été parmi les derniers à avoir vu Rémi vivant…

Alors, par acquit de conscience, on interrogerait Antoine de nouveau.

Et il le savait, jamais il ne supporterait un interrogatoire sur ce qui s’était passé douze ans plus tôt. C’était impossible. Il tenterait de mentir de nouveau, il le ferait mal, se troublerait, le juge serait ébranlé, ce ne serait pas la première fois qu’un coupable d’un crime de sang serait arrêté à l’occasion d’un délit mineur…

Peut-être même le juge le contraindrait-il alors à un test génétique…

Il valait mieux céder.

Et faire ce test maintenant pour couper court à cette suspicion dont Antoine ne se relèverait jamais.

Cette idée lui apporta un peu de réconfort. Car enfin, s’il était le père de cet enfant, il paierait une pension, voilà tout ! Il n’était pas question de gâcher sa vie en épousant cette… Il chercha le mot, ne le trouva pas.

Il entendit, de l’autre côté de la cloison, quelques bruits feutrés, de petits chocs, comme ceux que font les personnes précautionneuses dans les chambres d’hôtel trop sonores.

C’était sa mère qui, comme à son habitude, devait faire comme si de rien n’était, ranger sa chambre pourtant déjà ordonnée comme il l’avait vue faire pendant toute son enfance.

Entendre, sentir presque physiquement sa présence le glaça jusqu’aux os… S’il se révélait être le père, c’est-à-dire le coupable, et qu’il refusait d’épouser Émilie, les Mouchotte se répandraient dans toute la ville, désigneraient du doigt la famille Courtin…

Que deviendrait alors la vie de sa mère ?

Elle devrait supporter cette tache sur sa réputation. Pour tout un chacun, elle serait la mère d’un homme lâche, incapable de faire face à ses responsabilités, à ses obligations. Regardée, observée, jugée, moralement humiliée, jamais elle ne survivrait à une existence pareille, non, c’était impossible.

Antoine n’avait qu’elle, sa mère n’avait que lui.

Il était incapable de lui imposer pareille épreuve.

Elle en mourrait.

Il ne lui restait qu’une solution : accepter le test et espérer que le résultat prouverait son innocence.