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Son ton n’avait rien d’inquiet. Antoine y perçut même une sorte de gourmandise : son fils et donc elle étaient l’objet de l’intérêt des autorités, on les consultait, ils avaient leur mot à dire. Ils avaient de l’importance.

— Me parler… de quoi ? demanda Antoine.

— Mais… de Rémi, voyons !

Mme Courtin était presque choquée par la question d’Antoine. Mais tous deux furent plus déstabilisés encore par l’arrivée du gendarme.

— Vous permettez… ?

Il entra dans la chambre, lentement, mais avec autorité.

Antoine aurait été incapable de lui donner un âge, il était en tout cas moins jeune que vu du jardin. Il se contenta de regarder le garçon avec un sourire confiant, passa rapidement en revue le contenu de la pièce, s’approcha et s’agenouilla devant lui. Il avait des joues parfaitement rasées, des yeux vifs et pénétrants et d’assez grandes oreilles.

— Dis-moi, Antoine, tu connais Rémi Desmedt, n’est-ce pas… ?

Antoine avala sa salive et répondit affirmativement, d’un signe de tête. Le gendarme avança la main vers son épaule, mais s’arrêta en chemin.

— Ne crains rien, Antoine… Je veux juste savoir quand tu l’as vu pour la dernière fois.

Antoine leva les yeux et vit sa mère à la porte de la chambre, qui assistait à la scène avec un air de satisfaction, presque de fierté.

— C’est moi qu’il faut regarder, Antoine. Réponds-moi.

La voix n’était plus la même, plus ferme, il voulait une réponse… à laquelle Antoine n’avait pas réellement réfléchi. Ç’avait été plus facile avec Mme Desmedt. Pour trouver du courage, il se tourna vers la fenêtre.

— Dans le jardin, parvint-il à articuler. Là, dans le jardin…

— Quelle heure était-il ?

Antoine trouva un encouragement dans le fait que sa voix n’avait pas tremblé excessivement, pas plus que ne devait trembler celle de n’importe quel garçon de douze ans interrogé par un gendarme.

Il chercha : qu’est-ce qu’avait dit Mme Desmedt tout à l’heure ?

— Vers une heure et demie, par là…

— Bien. Et qu’est-ce qu’il faisait dans le jardin, Rémi… ?

La réponse fusa :

— Il regardait le sac avec le chien.

Le gendarme fronça les sourcils. Antoine comprenait bien que sans explications, sa réponse n’était pas claire.

— C’est son père, à Rémi. Hier, il a tué son chien. Il l’a mis dans un sac-poubelle.

Le gendarme sourit.

— Eh ben, dis-moi, il s’en passe des choses à Beauval…

Mais Antoine n’était pas d’humeur à plaisanter.

— D’accord, reprit le gendarme. Et il est où, ce sac-poubelle ?

— Là, dit-il en désignant la fenêtre, dans le jardin. Avec les gravats. Il l’a tué d’un coup de fusil, il l’a mis dans un sac-poubelle.

— Et donc Rémi était dans le jardin et il regardait le sac-poubelle, c’est ça ?

— Oui. Il pleurait…

Le gendarme pinça les lèvres, bah oui, je comprends ça.

— Et ensuite, tu ne l’as plus revu…

Non, de la tête. Le gendarme le fixait, les lèvres plissées, concentré sur ce qu’il venait d’entendre.

— Et tu n’as pas vu une voiture s’arrêter ou quelque chose comme ça… ?

Non.

— Je veux dire, rien d’anormal ?

Non.

— Bien !

Le gendarme claqua ses mains sur ses genoux, bon, c’est pas le tout…

— Merci, Antoine, ça va bien nous aider.

Il se leva. En sortant, il fit un petit signe à Mme Courtin qui s’apprêtait à le suivre dans l’escalier.

— Ah oui, dis-moi, Antoine…

Il s’était arrêté sur le pas de la porte, s’était retourné.

— Quand tu l’as vu, là, dans le jardin, toi… tu allais où ?

Réponse réflexe :

— À l’étang.

Antoine sentit à quel point il avait répondu vite. Trop vite.

Il répéta alors, plus calmement :

— J’ai été à l’étang.

Le gendarme opina, à l’étang, OK, d’accord.

4

Le gendarme se campa sur le trottoir, dubitatif.

Il regardait dans la rue le rassemblement qui se faisait plus dense et plus nerveux.

On entendait des voix impatientes et fortes commenter la manière dont les choses se passaient. Le jour qui commençait à tomber rendait le retour de Rémi assez improbable. Que faisait-on ? Qui s’occupait de quoi ? Le maire allait du groupe d’ouvriers à la camionnette de gendarmerie, tentant de calmer les uns, d’interroger les autres… La perspective d’une colère collective n’était pas à écarter parce que chacun, pour des raisons sans doute différentes, se sentait victime d’une injustice et trouvait dans cette circonstance l’occasion de l’exprimer.

Le jeune gendarme s’ébroua. Il claqua légèrement dans ses mains et appela ses collègues.

En quelques minutes, une carte d’état-major fut dépliée, le gendarme s’adressa aux bénévoles qui levèrent le doigt, comme à l’école. On les compta. Mme Desmedt ayant écumé le centre-ville quand elle s’était aperçue de la disparition de Rémi, chacun reçut l’instruction de patrouiller dans une zone extérieure, sur les routes et les chemins qui conduisaient à Beauval.

Les moteurs démarrèrent. Les hommes roulaient des épaules en s’installant au volant et donnaient l’impression de partir à la chasse. Le maire lui-même était monté dans la voiture municipale pour participer aux recherches. Même si tous agissaient pour une bonne cause, il y avait dans l’air quelque chose de conquérant et vindicatif, l’énergie vertueuse que l’on trouve souvent à l’origine des lynchages et des ratonnades.

De sa fenêtre, Antoine eut la certitude paradoxale que toutes les personnes qui s’éloignaient venaient en fait à sa rencontre.

Le jeune gendarme ne remonta pas aussitôt en voiture. Il observait, pensif, cette détermination collective. Ce qui se mettait en route ne s’arrêterait peut-être pas facilement.

L’alerte départementale fut donnée.

La photo du petit Rémi Desmedt et son signalement furent diffusés dans tous les lieux publics.

Chez les Desmedt, les femmes se succédaient pour tenir compagnie à Bernadette. Mme Courtin elle-même, après avoir rangé ses courses et préparé le repas du soir, cria d’en bas :

— Antoine, je vais chez Bernadette !

Elle n’attendit pas la réponse. Antoine la vit traverser le jardin d’un pas pressé.

Antoine avait été très ébranlé par la visite du gendarme. Il y avait chez cet homme quelque chose de pénétrant, de suspicieux…

Il ne l’avait pas cru.

Cette certitude l’étreignit. La manière dont il était resté un long moment sur le trottoir, repensant à ce qu’Antoine lui avait dit, hésitant à remonter pour lui demander des comptes.

Antoine regardait le jardin maintenant désert et n’osait pas faire un geste. Lorsqu’il se retournerait, le gendarme serait là, dans la pièce, il aurait fermé la porte, se serait assis sur le lit et le fixerait. Au-dehors, la ville serait étrangement calme, comme vidée de ses forces vives.

Pendant un long moment, le gendarme ne dirait rien et Antoine comprendrait, sans pouvoir résister, que son propre silence était un aveu.

— Et donc, tu étais à l’étang…

Antoine hoche la tête, oui, c’est ça.

Le gendarme a l’air désolé, il plisse les lèvres et fait des petits bruits de bouche qui expriment sa déception.