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— Je veux ces documents. Je me suis engagé à les remettre à une nation au profit de qui mon organisation travaille, et j’ai l’habitude de respecter mes engagements.

— Sorry, il est trop tard.

— Vous allez nous obliger à employer les grands moyens.

— Faites !

— Vous le regretterez…

— Peut-être.

Il dit quelque chose au gnace qui est allé chercher la valise.

Ce monsieur s’amène et me fait lever. Ensuite, il m’entraîne vers une pièce voisine, suivi de l’escogriffe. Le boss, lui, se contente de tirer des goulées de son barreau de chaise.

— A la revoyure ! lancé-je à mes potes.

Nous pénétrons dans une cuisine tout ce qu’il y a de moderne, avec revêtement de faïence jaune, placards muraux (Yvelines), appareils perfectionnés : frigo à changement de vitesse ; cuisinière électronique à déclenchement impédimentaire sous la trachée artère et le gros colomb (Christophe pour les dames) ; grille-pain Jeanne d’Arc, breveté, par la Faculté vasovasculaire de Foumele-Outusay ; vide-ordures à musique religieuse ; rampe de lancement pour hamburger et enfin découpe-oignon en or massif avec frein à tambour stérilisé.

Bref, le fin des fins en la matière de cuisine moderne. C’est de conception nucléaire et toutes les femmes rêvent d’avoir à leur disposition un semblable laboratoire.

L’un de mes gardes du corps empoigne un tabouret de fer et m’oblige à y prendre place. Ensuite, il se met à m’attacher les lattes après les pieds du siège. Si je m’écoutais, j’en profiterais pour lui refiler un coup de ronfionfion japonais dans le portrait de famille, mais cela ne servirait à rien. Ces enfants de péripatéticiennes ont l’air suffisamment remontés contre mézigue.

Je me laisse faire.

Lorsque je suis entravé solidement, ils m’ôtent ma veste, ma cravate et ma chemise et me laissent un instant le torse nu. La chaleur étant douce comme une fesse de bébé, ça n’a pas la moindre espèce d’importance.

L’escogriffe délourde le placard et s’empare d’un drôle d’appareil. Celui-ci se compose d’un récipient en pyrex, d’un tube de matière plastique terminé par une aiguille acérée, et d’une prise électrique.

Le zouave qui nous a suivis sort un élastique de sa poche et me fait un garrot à l’avant-bras.

Qu’est-ce que tout ce mic-mac signifie ? J’ai été souvent molesté au cours de ma carrière. J’en ai vu de dures. On m’a passé à la trique, au presse-purée, au minium ! On m’a roué vif, cimenté, brisé, meurtri… On m’a brûlé. On m’a écrasé les doigts ! On m’a fait le coup de la baignoire tragique ; celui du démon à ressorts ; celui de la torpédo macabre ; du seau à lait démoniaque ; de la toupie électrique ; de l’aquarium funèbre ; de la contre-danse perverse ; du robinet péruvien ; du pédicure démentiel ; de la tornade sifflante ; du trohu du travavou cavacavu enfumé ; du cornichon pestiféré ; de l’inoculation baveuse et surtout, le coup du protozoaire constipé ! Mais jamais, au grand jamais, on ne s’est avisé de me brancher dans le bras une aiguille longue comme ça, et de déclencher le moteur aspirant d’une petite pompe qui me tire le raisin des veines.

Ce n’est pas douloureux, non, mais moralement c’est atroce. Imaginez une sorte d’injection à rebours. Vous avez déjà vu faire du goutte à goutte à quelqu’un, pas vrai, tas de démantelés à la ronde ? Eh bien, figurez-vous qu’au lieu de voir diminuer progressivement le niveau du liquide dans le récipient, vous le voyez monter au contraire. Hein ? Ça vous la coupe en quatre ? Parfaitement, mon sang écarlate paraît brusquement dans le vase clos.

Il commerce par embuer les parois ; puis un dépôt se forme au bas du récipient. Il devient une petite nappe rouge vif qui s’agrandit.

Et je ne sens rien… C’est doux comme un sommeil mérité.

Les deux hommes ne bronchent pas. Ils regardent fonctionner l’engin… Ils sont peinards…

Sur ce, troublant le silence, l’arrivée inopinée du boss. Son cigare est consumé au tiers. Il a une main dans sa poche et il ressemble à un monsieur honnête assistant à une party dans la bonne société et qui vient relancer la bonne à la cuistance parce qu’elle est plus gironde que les pouffiasses de la fiesta.

Il regarde le récipient gradué.

Puis il se tourne vers moi.

— On arrêtera lorsque vous serez décidé à parler, dit-il.

— Rien à déclarer !

— O.K. De toute façon, vous avez le temps. Un homme normal a dans le corps près de cinq litres de sang et vous n’en avez encore perdu qu’un quart de litre !

Là-dessus, il se retire, la mine un peu dégoûtée.

L’escogriffe s’assied sur la machine à décortiquer les feuilles de bettes et se met à ligoter un Comic qu’il vient d’extraire de son holster. Les Holsters de New York[20] en quelque sorte. Et pendant qu’il se délecte à la lecture des aventures de Jim Hagine, mon sang est en train de couler dans le bocal. Ah ! ils savent l’appliquer, le principe des vases communicants, ces fumelards !

Ils savent vous le donner, le coup de sang ! Les trois lancettes du Bengale ! C’est ça, p’t’ être bien, le baptême du sang ! Je vais devenir un prince du sang après cette séance, à condition toutefois qu’ils veuillent bien stopper à temps ! En tout cas, ils peuvent constater que j’ai du sang dans les veines ! On a raison de dire : « Qui voit ses veines, voit Pleven ! » Je sue sang et eau, les gars ! J’ai envie de bramer ma pétoche ; pour le coup ça serait la voix du sang ! Du sang à la hune ! comme dirait Bombard. Je me dis qu’il est inconcevable que je me laisse saigner comme un goret ! Je peux perdre mon sang, d’accord, mais pas mon sang-froid ! Voyons, lorsque ces bons saigneurs[21] m’auront occis, ils s’en prendront à mes valeureux pignoufs. En admettant que je tienne le coup, jamais Pinaud ou le gros Béru ne se laisseront vider les veines sans parler.

Ils finiront par dire la vérité, à savoir que nous sommes les condés et alors nous aurons subi tout ça pour finir lamentablement.

Est-ce raisonnable ?

Où se trouve la vérité de cet instant, comme dirait Jean-Paul Monœil ? Hein ? Allons, répondez pendant que je peux encore vous entendre, bande d’aphrodisiaques exténués !

CHAPITRE NINE

LA POUDRE D’ESCAMPETTE

Quand Fume-cigare, le mecton aux tifs plaqués argent, se la radine pour la seconde fois, il y a un demi-litron de mon raisiné dans le bocal en pyrex et je commence à me sentir un peu mollasson des cannes.

Son barreau de chaise maintenant est à peine long de quatre centimètres, cendre comprise.

Mon interlocuteur, flegmatique, s’annonce et murmure :

— Quelle décision ?

— Je vais tout vous dire.

Il réprime un sourire et se contente de branler le chef (lequel s’en trouve ravi, je pense).

Alors là, il se passe quelque chose, les enfants. A l’instant précis où je vais pour m’allonger, pour en croquer, pour me mettre à table, une pensée me vient qui me flétrit la conscience, si j’ose ce sémaphore hardi.

Les plans, je vous l’ai déjà bonni because je n’ai pas plus de secrets pour vous que je n’ai de respect, les plans, disais-je, sont actuellement dans le coffre du commandant de Liberté. Or suivez des yeux la trajectoire fluorescente de mon raisonnement : ce barlu est à quai pour vingt-quatre heures encore. C’est plus qu’il n’en faut à une organisation comme celle-ci pour manigancer un coup fourré. Ces gens doivent avoir des casseurs professionnels au pedigree long commako ! Or j’ai vu le coffre du commandant ; à vrai dire, ça n’est pas exactement un coffre, mais le modèle au-dessus de la tirelire moyenne. Une lime à ongles ou un cure-dents suffirait à un spécialiste pour en avoir raison…

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20

Çui-là est tiré par les cheveux, comme dirait Moussorgsky, l’auteur d’Une nuit sur le mont Chauve.

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21

Par contre, en voilà une chouette, hein ?