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— Je viens de la part du Système D, m’sieur le commissaire San-Antonouille.

— Entrez, vous êtes chez vous[36].

Et voilà la petite idée qui radine, toute fraîche, toute riante ; très jeune fille de bonne famille. Elle me chuchote un truc dans les trompes d’Eustache. Je dis oui. Et je me dirige vers le fond du hall, là où sont centralisés les bagages.

J’avise un grand diable de docker. Il est en train de décharger les colis qui radinent de l’escalier roulant et il les empile sur un tapis roulant.

Il me gueule que je n’ai rien à foutre ici.

Je lui réponds par un sourire candide, puis par un coup de targette dans le vestibule et je n’ai que le temps de le choper par une aile avant que le tapis roulant l’emporte vers ses collègues préposés au coltinage à bord.

En moins de temps qu’il n’en faut à votre meilleur ami pour vérifier si votre femme est vraiment brune, j’ai ôté la casaque bleue du bonhomme, sur laquelle les mots French Line sont brodés en lettres rouges. Je ramasse en outre son bada et je ressors après avoir cramponné deux valoches.

En faisant mine de mâchouiller du caoutchouc parfumé, je gagne la passerelle. Personne ne m’arrête. Où se cache-t-il, le tordu qui a déclaré que l’habit ne faisait pas le moine ? Qu’il vienne un peu me bonnir cette crêperie entre les sinus frontaux.

Je grimpe à bord the fingers in the nose[37], sans que personne prête à moi plus d’attention qu’à un bouton de jarretelle usagé.

Une fois dans les coursives, je largue les baluchons en souhaitant ardemment, pour la bonne règle, que leur proprio puisse les récupérer avant Le Havre. Et je me propulse à l’allure d’un avion supersonique vers la cabine du commandant. Par une chance que je n’ose qualifier, de peur de vous rappeler à tous de cruels souvenirs, je me casse le nez sur l’officier. Il a fière allure dans son impeccable uniforme blanc. Il me regarde distraitement. Pour lui je ne suis qu’un docker. Puis il me reconnaît et sursaute.

— Vous !

— Moi ! Commandant, je n’ai pas le temps de vous expliquer. Je veux seulement vous poser une question : avez-vous toujours les plans ?

— Mais naturellement ! Quelle question ! Vous savez bien qu’ils sont dans…

Ma question semble l’avoir quelque peu vexé. Je lui prends le bras dans un élan de supplication.

— Commandant. Je vous demande de vérifier…

Il fronce les sourcils.

— Soit. Mais vous tombez mal, car j’ai des obligations impérieuses.

— C’est très important.

Il ne répond pas et ouvre la porte de sa cabine. A peine a-t-il mis le pied à l’intérieur qu’il pousse un cri.

— Grand Dieu !

Pas besoin de me faire un dessin, les mecs, j’ai compris. Vous pensez, avec une intelligence comme la mienne !

J’entre et je vois tout comme lui la porte du coffre grande ouverte.

L’officier est catastrophé. Moi plus que lui.

— C’est inimaginable ! balbutie-t-il. Il y a moins d’une heure ce coffre était fermé et…

— Il ne faut pas une heure à un spécialiste pour forcer ce machin-là…

Il sonne son steward. C’est un petit gros, rouge comme une pomme mûre, qui sourit de confiance à ses contemporains.

— Verjus, gronde le commandant. On a cambriolé mon coffre !

L’autre ouvre une bouche si grande que ça doit lui ventiler l’intestin grêle.

— Hein !

— Regardez vous-même ! Qui est entré dans ma cabine ?

— Je n’ai vu personne.

— Enfin, depuis moins d’une heure le voleur a pénétré ici ! Où étiez-vous ?

— A terre. Je suis allé acheter quelque chose pour mes mômes dans la 48e rue…

Je me frotte la calebasse. Tonnerre de chien, ça déguille on ne peut plus mal ! Tu vas trinquer, San-Antonio, c’est moi qui te le dis. Comme affaire vaseuse, on ne peut rêver mieux. Les plans perdus ! Béru et Pinuche bousillés ! Bravo ! Chouette opération. Après ça, je n’ose plus rentrer en France, mésigue ! C’est pour le coup que le Vieux va me refiler son coupe-papier en me priant d’aller me faire hara-kiri dans les gogues ! Ah ! misère…

J’ai dans la gorge comme un sanglot qui m’étouffe ! Avoir fait tout ce circus pour balpeau ! Se laisser pigeonner par une bande de teigneux ! Maverdave alors !

— Il faut porter plainte ! suggère le steward.

Cet avis-là (comme dirait sainte Thérèse), me ferait gondoler comme un carton à biscuits en d’autres circonstances.

— Je suis désespéré, balbutie le commandant.

A quoi bon le laisser se ruiner le moral. Il en a trop besoin pour piloter son canot jusqu’au Havre.

— Ce n’est pas votre faute. Bon… Il faut que j’avise !

Je le quitte sans ajouter autre chose. Les grandes douleurs, vous le savez sans doute, sont comme les carpes.

Je descends la passerelle. Je traverse le hall en contournant un rassemblement près des escaliers roulants. Je me doute de ce qui le motive et je pénètre dans les water-men afin de poser ma casaque. Ensuite, je quitte le port dans un bahut qui ressemble à un sorbet italien.

Je suis en proie à un terrible coup de pompe aspirante et refoulante. Qu’est-ce qui m’arrive, Seigneur !

Je suis ulcéré, humilié, foulé, piétiné, broyé, concassé (et pas cassé), désarticulé, démembré, déchiqueté, émietté, écœuré, asexué. Je suis plus cornard que Bérurier ; plus toquart que Pinaud ! Plus mort que vif !

San-Antonio ! Tu es la plus grosse erreur humaine jamais conçue !

J’ai donné l’adresse du F.B.I. à mon pilote d’essai, mais brusquement, je me ravise. Il y a des instants où chez moi, l’instinct va plus vite que la pensée. La lumière précède le son ? Eh bien, mes actes précédèrent quelquefois mes décisions. N’essayez pas de comprendre. Einstein est mort d’avoir voulu m’analyser.

Je tambourine à la vitre qui m’isole du chauffeur. Ce brave homme, d’après sa licence, s’appelle William O’Connor. Il n’y a pas de mal, chacun s’appelant comme il peut. J’ai eu un condisciple nommé Lacrotte[38]. Avec un nom pareil on devrait pas manquer d’aisance et pourtant il avait un complexe, le pauvre chéri. Il faut dire qu’on ne lui faisait pas de cadeau. Quand il se pointait en retard, on lui demandait s’il était constipé. Ah ! la cruauté humaine. Mais j’ai l’air de me complaire sur un terrain glissant ! Vous allez me prendre pour le catalogue de l’U.M.D.P. ! Pour le gars qui fait les latrines de Noël ! Faites excuses, m’sieurs-dames, si j’ai conservé l’esprit étudiant. Pas de ma faute si je n’ai comme vous autres la bouche en chemin d’œuf. Vous m’avez tous l’air d’être la conséquence d’un vieux !

Donc, ai-je annoncé quelques lignes plus haut (ce sont des lignes à haute attention[39] !), je donne un changement d’adresse au conducteur.

— Fifth Avenue, please !

Parfaitement ! La Cinquième avenue de Beethoven ! C’est là que se trouvent les burlingues de la Transat. Maintenant j’y vois plus clair dans mes impulsions. Je commence à savoir pourquoi je m’y précipite.

Vous voulez le savoir aussi ? Oh ! mes petits curieux ! Tout connaître et rien paga ! Il n’y a pas un pignouf parmi vous qui me paierait un coup à boire ! Je suis là à me décarcasser pour vous faire poirer et vous ne pensez pas un instant que le bonhomme puisse avoir la pépie, non !

Enfin, je suis du genre victime du devoir, moi !

Eh bien, je viens de comprendre une chose très simple, mes Lavedus. Pour avoir accès au bateau, il faut un billet. Donc, le type qui est venu sucrer les plans en possédait un ! Il est peu probable qu’il ait compliqué sa délicate mission en se livrant à des voies de fait sur un docker comme c’est mon cas, hein ?

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36

Paroles d’André Claveau à un ami qui lui donnait une tape amicale au bas du dos. André Claveau est bien connu dans le Bas-Rhin !

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37

En anglais : les doigts dans le nez (Berlitz).

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38

Authentique. Le susnommé n’avait aucun lien de parenté avec Cambronne, comme on pourrait le croire en général (ou en caporal ordinaire).

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39

Vous le voyez bien que c’est maladif ! On m’appelle dans le privé le calembourgeois calé !