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Or, ce billet de passage, il a dû le prendre à la dernière minute ! C’est-à-dire tout à l’heure ! Et avec un passeport ! Car ce genre de ticket est nominatif, vous gourez pas !

D’accord ! Vous commencez à piger, pas ? Oui, je vois vos trognes expressives comme des camemberts trop faits qui s’ouvrent à la grande vérité de ma gamberge.

Je suis prêt, vous m’entendez bien, moi qui vous cause, je suis prêt, disais-je, à vous parier un œuf à la coque contre un coq-à-l’âne, qu’une seule personne a attendu le matin du départ pour demander une gâche.

C’est pensé ça, aussi !

J’en suis là de mes cogitations à bon marché lorsque le tréteau stoppe à l’angle de la 44e street et de la 5e avenue.

Je carne le gnace et je m’engouffre (comme Padirac) dans l’immeuble de la Transat !

Une secrétaire, roulée comme une gitane maïs (du reste est blonde), me regarde approcher par-dessus ses seins. Elle connaît bien les siens, car elle les honore d’un décolleté dans lequel on aimerait passer ses vacances de Noël.

Elle parle français avec un délicieux accent yankee. Quand on voit une môme pareille on prendrait un billet pour n’importe où à condition qu’elle soit du voyage.

— Vous désirez ? me demande-t-elle.

J’y vais au culot gros comme Bérurier (s’il n’est plus, que le bon Dieu envoie son âme chez le teinturier) !

— Je suis un ami du monsieur qui a pris son billet tout à l’heure.

Si vous mettiez un stéthoscope à l’endroit de mon battant, les gars, vous entendriez les chutes du Nid à Garat !

Elle paraît au courant. Ma joie est telle que je l’embrasserais ! De toute façon, j’aimerais lui rouler mon patin humide, style langue-de-biche.

— Bon, il a eu de la place ? Oui.

— Ce voyage s’est décidé à la dernière minute. Il redoutait que…

— Non. Ça s’est très bien arrangé. Sur le retour en France, en cette saison, on est moins chargé…

Je cherche la façon d’en savoir davantage. C’est dur. Je pourrais abattre mes brêmes, faire appel à mon pote Andy, mais ce serait une perte de temps considérable. Je préfère m’arranger, suivant mon principe coutumier, avec les moyens du bord !

— Pouvez-vous m’indiquer la classe qu’il a choisie et son numéro de cabine ?

— La classe, fait la douce enfant, c’est la première…

(Evidemment, pour avoir accès à la cabine du commandant, il ne fallait pas marchander.)

— Mais le numéro de cabine, soupire-t-elle.

Et la voilà qui pique un registre et se met à le compulser. Elle s’arrête et lit :

— Alfredo Dagroni… Cabine 24…

Je me détranche pour lire sur le registre.

— Je vous demande pardon, fais-je, mais je crois que vous avez mal orthographié le nom de mon ami.

D’un geste preste, qui doit sembler naturel de la part d’un garçon sans gêne, je saisis le dossier. Je lis rapidos :

« Dagroni Alfredo, 1117, Nicholas Brothers street, N.Y. »

— Non, j’avais mal vu, ajouté-je en lui décochant mon œillade veloutée au pétale de rose d’Isphahan.

Et je me barre comme si je venais de gagner le gros lot et que je veuille l’encaisser avant la fermeture illimitée des guichets !

CHAPITRE FOURTEEN

T’ES AU BAL, FAUT QUE TU DANSES !

Nicholas Brothers street se trouve en plein cœur de Harlem. Pour y arriver, on quitte progressivement le New York normal et on s’enfonce lentement dans la ville noire. Ça devient de plus en plus cradingue, de plus en plus populeux et les Blancs se font tellement rares que, lorsque le bahut me décharge, je n’aperçois plus, en fait de représentant de la race blanche, que ma triste gueule dans la vitrine d’un parfumeur.

L’impression est curieuse. Ce qu’on ressent n’est pas à proprement parler un malaise, ce n’est pas de l’inquiétude non plus, mais plutôt une curieuse sensation de dépaysement.

Un dépaysement absolu, tel que jamais je n’en ai ressenti. Je mate les immeubles minables, noircis, avec leurs caractéristiques échelles d’incendie dont le dernier tronçon est à contrepoids ; leurs échoppes minables. Je bigle les bars d’où s’échappe une musique forcenée et les bougnouls entassés le long des trottoirs, avec leurs bonnes bouilles, leurs yeux et leurs dents blanches !

D’autres négus, moins sympas, du genre démolisseur de mâchoires en tout genre ! Des obèses, ventrus comme des bouddhas ! Des en soldats ! Des en flics ! Des pleins aux as, avec des limaces de soie, des panamas clairs et des Cadillac décapotables longues comme une conférence aux Annales !

Un monde nouveau pour moi. Ne ressemblant pas à ce que j’attendais parce qu’étant plus quotidien et plus troublant que dans mon imagination.

Je zyeute sans enthousiasme l’entrée du 1117. Un vrai coupe-gorge. Imaginez une bicoque de deux étages, lépreuse, malodorante dont le rez-de-chaussée est occupé par la boutique d’un cordonnier. Et quelle boutique ! En vitrine, y a une carapace de tortue de mer, un chat endormi et (comme disait un de mes amis) le buste d’un pied.

La vitre n’a pas été lavée depuis qu’on l’a mastiquée et elle commence à ressembler à du verre dépoli.

Pourtant, à travers cette opacité, j’avise un nègre à barbe blanche qui bat la semelle (du moins celle des autres).

J’entre.

— Mister Dagroni ? interrogé-je.

Il hoche la tête.

— First floor !

— Merci.

Je quitte l’échoppe pour emprunter l’allée avoisinante. Emprunt de courte durée, car je me promets de la rendre à la première occasion.

Ça renifle le bout du monde là-dedans, et on y voit pas plus clair que dans le fignedé d’un… nègre, oui, justement[40] !

J’avise un escalier. Je l’escalade. Premier étage. Unique étage habité, le second étant constitué par un atelier dont l’entrée se trouve dans la cour.

Une seule porte, ce qui limite l’hésitation.

Et pas de sonnette.

Je frappe discrètement juste assez pour être entendu, mais pourtant de manière rassurante. Ayant procédé à cette sommaire manifestation de moi-même, je sors le calibre que m’a offert Andy et je le tiens à pleine main. C’est un aminche, c’est un frangin !

Un instant s’écoule. Puis une voix de femme chuchote quelque chose sur un ton interrogateur. A tout hasard, d’une voix feutrée comme des chaussons, je nasille :

— Yai !

Alors la porte s’ouvre et je trouve en face de moi la frite café au lait d’une dame qui, si elle n’est pas négresse, n’est en aucun cas norvégienne.

Mettons que ce soit une sang-mêlé.

En m’apercevant elle se dém… de relourder. Et pourtant elle n’a pas eu le temps d’apercevoir mon petit appareil à poinçonner les bulletins de naissance !

J’en déduis qu’elle a la conscience plus sombre que la figure et, ayant déduit cela très vite, je parviens à glisser mon 42 fillette dans l’ouverture de la porte.

D’un coup d’épaule, j’ai raison de sa poussée inverse. L’huis s’entrouvre et la personne recule dans une pièce dont la saleté et le désordre ne laissent pas présager que son locataire ait les moyens de voyager en première classe à bord du Liberté.

Je montre mon feu à la négresse.

— I kill you, lui affirmé-je avec mon plus chaste sourire (celui qui m’a assuré la conquête de Miss Flageolet à la Foire aux haricots d’Arpajon en 1954 !).

Elle a les gla-gla. On entend ses ratiches qui font bravo !

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40

Quelle ridicule formule ! Je connais pour ma part des fignedés de Blancs aussi obscurs.