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Délicatement, je referme la lourde. Pour vivre là-dedans faut avoir une hérédité d’égoutier, ou alors le sens olfactif plus sous-développé que la Yougoslavie !

J’essaie d’oublier que j’ai un nez avec la façon de m’en servir et j’attaque vivement Miss Réglisse.

— Where is Dagroni ?

Elle secoue la tête en louchant tellement sur le pétard que ses gobilles vont bientôt permuter.

J’avance l’arme entre ses flotteurs, lesquels sont manifestement plus considérables que deux édredons de campagne.

— Where is Dagroni ?

Cette fois, j’ai gueulé ! Ma prononciation n’est peut-être pas fameuse, mais pour l’intonation espérez un brin ! La dame en négatif comprend que si elle ne met pas les pouces il va lui en cuire.

Je ne voudrais pas cogner une dame, surtout une dame en deuil, mais j’ai assez perdu de temps avec ces foies-blancs !

Je m’apprête à la molester un tantinet sur les bords lorsqu’un étrange petit bruit me parvient. On dirait qu’un bébé souffrant vagit dans son berceau non loin de là. La mulâtresse en est affolée. Je la fais pirouetter et la pousse en avant en direction d’une porte basse s’ouvrant au fond de la pièce.

— Open ! dis-je.

Hypnotisée par ma belle assurance sociable, elle délourde. Je me trouve à l’orée d’un réduit bas de plafond (à moins qu’il ne soit haut de plancher comme l’a fait justement remarquer mon éminent camarade Pierre Dac dans son traité sur la trajectoire intrinsèque du chèque barré dans la société romaine). C’est de ce réduit que sortent les vagissements.

Serais-je tombé sur une marâtre laissant dépérir son enfant pour confier à d’autres bouches l’usage de ses mamelles ?

Je vais en avoir le cœur net.

Je tâtonne pour dégauchir le commutateur. Je commue. La lumière soit ! Et je m’aperçois que la marâtre présumée est en réalité une receleuse de messieurs kidnappés puisqu’elle héberge d’une façon peu compatible avec les lois de l’hospitalité, l’inspecteur-chef Pinaud et le principal Bérurier, de la poulaillerie française !

Joie de retrouver vivants mes deux chers compagnons d’armes à gauche ! Emotion de les voir en piteux état ! Car ils font peine à voir. Vous les découvririez sur la voie publique, ce n’est pas à Police secours, ce n’est pas à l’ambulance, ce n’est pas aux Pompes funèbres que vous téléphoneriez, mais bien à la voirie.

La bouille de Béru ressemble à un steak tartare. Il n’est pas une partie de cette physionomie qui ne soit ensanglantée. Ses fringues sont en lambeaux. Il a des traces de tisonnier plein le corps. Je crois qu’après ça, il aura droit à quelques jours de vacances ! Pinaud, lui, est encore plus délabré. Il est complètement nu, et on l’a sculpté au rasoir comme un marron d’Inde. Tous deux sont en plein cirage. Ils font de la température et flottent dans une espèce de demi-inconscience.

Cependant, le Gros soupire :

— C’est toi, Tonio ?

— Mais oui, mon gros biquet. C’est moi. Je suis arrivé à temps. On va te soigner, tu verras, et te cloquer la Victory Cross !

Il fait un effort pour me répondre que je peux me la foutre où il pense, la Victory Cross, ainsi que toutes les médailles homologuées en ce bas monde !

Comme je ne peux agir seulâbre, j’ordonne d’un geste à Mme Cirage de délier mes amis. Elle obéit.

Ensuite, je lui demande où se trouve Dagroni. Elle me répond qu’elle l’ignore. Il s’agit de procéder autrement.

— Pour qui travaille-t-il ?

Je suis tellement heureux d’avoir sauvé la mise de mes potes que la joie me donne une sorte de génie linguistique. Je parviens presque à m’exprimer correctement.

Elle hésite. Je lui colle une mandale qui remet sa denture en question.

Elle pleurniche. Puis enfin, l’adresse que j’attendais radine. L’employeur de Dagroni est un certain Xidos, 88, Park avenue.

Pour la remercier, je lui place un coup de crosse sur la tempe. Elle s’écroule comme un sac de farine. Mais elle est moins blanche.

— Bougez pas ! fais-je à Bérurier. Je vais chercher du secours !

Le revolver au poing, je bondis dans l’escalier. Je débouche dans Nicholas Brothers et je tire deux coups de pétoire en l’air.

L’effet est instantané. Des trilles de sifflet retentissent dans les azimuts et deux poulets en chemise bleue se rabattent, les pétards battant leurs meules.

Je me suis démerdé de renfouiller mon arquebuse pour éviter qu’ils ne m’assaisonnent aux petits oignons en m’apercevant et je leur fais signe de me suivre.

Pas contrariants, ils m’emboîtent… Mais le pas seulement, pour commencer.

CHAPITRE FIFTEEN

LA MACHINE À FAIRE DES TROUS

Assis dans l’ambulance qui transporte mes brillants duettistes et escorté de deux matuches grands comme votre pavillon de La Garenne-Colombes, je jubile. Maintenant que j’ai retrouvé mes potes vivants, peu me chaut[41] de ce qu’il adviendra des plans.

Je cède à cette lâcheté délicieuse qui vous fait renoncer aux grands problèmes pour savourer des joies très proches, très chaudes, très humaines. Bien que mes vaillants guerriers soient en piteux état, je n’ai pas besoin d’avoir fait quatre années de médecine à la faculté de Saint-Leu-la-Forêt pour piger qu’ils s’en tireront sans difficulté. Ce, d’autant mieux qu’ils ont l’un et l’autre le cuir à toute épreuve.

Qu’est-ce que c’est que la vie, au fond ? Un M. Durand qui transforme du bœuf en Durand ! Chaque individu oublie la chaîne, le cycle, la transmission. Ses petits yeux de rampant ne lui permettent de considérer que son historiette personnelle.

Un quart de plombe après l’intervention des archers new-yorkais, le révérend Pinaud et son altesse Bérurier sont dans les toiles d’un hosto dont chaque infirmière pourrait signer un contrat avec M. Zannuck, pour jouer le sixième principal rôle de « Ça jeûne et ça ne sait pas » ou « La vie gastronomique du fakir Stomâ-Khal ». Pinuche bat des ramasse-miettes et me regarde avec une indescriptible émotion. La minute est solennelle et ferait chialer la reine d’Angleterre elle-même.

— Tu nous as sauvés ! bavoche le cher débris.

— Repose-toi, on va décarrer d’ici deux ou trois jours, dès que tes brèches seront colmatées…

Il s’humecte.

— Ah ! la France, soupire-t-il. Ça m’aurait fait de la peine de mourir sans reboire un dernier coup de muscadet…

— Je t’en offrirai une bonbonne en radinant à Pantruche !

— Merci.

Il me prend la main.

— J’ai parlé, San-Antonio, pleurniche-t-il.

Je conspue son remords de conscience.

— Et alors ? T’as une menteuse, c’était bien pour t’en servir, non ?

— Ils nous ont fait subir un traitement terrible.

— On va leur revaloir ça, vieux, sévices compris.

— Tant que c’étaient des gnons, tu comprends, j’encaissais. Même quand ils se sont mis à me travailler au rasoir… Seulement ils m’ont fait boire j’sais pas quelle saloperie et je ne savais plus ce que je débloquais…

— Te tracasse pas pour ça, va…

Je murmure in petto, ce qui est plus difficile que de mezza voce :

— Ce que je pige pas, c’est pourquoi ils vous ont pas liquidés une fois qu’ils ont su que vous étiez des poulardins !

Le Pinuche bave sur son oreiller. Son regard chassieux se coagule. Il soupire :

— Je crois qu’ils nous gardaient comme otages…

— Otages ? Pour quoi faire ?

— Ils voulaient savoir ce que nous avions fait de leur ami Harry ! J’ai pas compris ce que ça voulait dire…

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41

Depysse dixit.