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Nous nous engouffrons dans sa tire et il attend ; le carnet à la main[6], que nous lui indiquions l’adresse où nous souhaitons nous rendre.

Je m’aperçois alors que je n’en ai pas la moindre idée.

Pas commode, le chauffeur s’arrête de mâchouiller son caoutchouc et pose une question brève.

J’ai ligoté récemment un livre sur les States. Le nom d’un hôtel me revient en mémoire.

— Times Square Hotel, please !

Il opine et embraye simultanément.

Démarrage-éclair, les gars ! Fangio dans ses bons jours !

Notre boxer va valdinguer sur les précieuses de Pinaud qui se met à crier aux petits pois. D’après ce que je constate, les automobilistes de New York ne sont pas tenus d’adopter une file et de s’y tenir comme à Pantruche ! On décrit de ces zigzags qui flanqueraient mal au cœur à un balancier de pendule.

Nous biglons de tous nos chasses le paysage qui défile à une allure record. Nous longeons des bâtisses tristes, en briques… Les rues sont jonchées de papiers gras, d’épluchures, de gobelets de carton, de bouteilles vides…

Béru qui, pourtant, à la scène comme à la ville, semble s’habiller à la voirie municipale, n’en revient pas.

— Mince, c’est vachement cradingue comme bled, moi qui croyais au contraire que c’était flambant neuf !

— M’est avis que tu t’es fait des berlues, pépère ! Tu te figurais débarquer dans les beaux quartiers d’Alger la Blanche ?

— Un peu, rigole le Gros. Et avec plein de lampions et de lanternes vénériennes accrochées dans les arbres.

— Seulement voilà, y a pas d’arbres !

Le bolide continue sa trajectoire. Notre pilote freine à mort aux feux rouges. Ça miaule et la guinde chahute du prose. Et puis elle renouvelle ses départs foudroyants.

— C’est pire qu’à bord pendant la tempête, gémit Pinaud.

Sa moustache en queue de rat tombe lamentablement. Il a la paupière flétrie et le teint verdâtre.

— Patiente, on arrive…

Je lance ça au bidon, et pourtant c’est vrai. Le bahut déboule dans la Huitième avenue, tourne à droite jusqu’à la 43e street Ouest et nous apercevons une gigantesque enseigne :

TIMES SQUARE HOTEL

C’est là…

Le taxi se range devant l’entrée de l’hôtel. Un portier noir galonné comme un général papou s’annonce pour délourder.

Bérurier, très grand seigneur, le remercie d’un hochement de tête protecteur et lui attrique généreusement une pièce de deux anciens francs. L’enfonceur de portes ouvertes se met à rouler des roberts qui sollicitent votre inscription à une académie de billard.

Pendant ce temps, on évacue la bagnole jaune. Je douille le Nuvolari des pauvres et je vais pour empoigner ma valoche ; seulement deux employés de l’hôtel me devancent.

Des négus itou. Les crins aplatis par trois kilogrammes de gélatine. Chemise grise portant le nom de l’établissement brodé sur la pochette. Futal en gabardine kaki.

Ils vont ouvrir le coffre du taxi, pensant y trouver des bagages plus substantiels que nos valises en carton. N’y découvrant rien d’autre qu’un lacet de soulier et la première page d’un journal illustré, ils font des tronches intimidantes. Ils nous escortent à l’intérieur de l’hôtel comme des gardiens de taule réceptionnent des convicts au pedigree imposant.

Le hall du Times Square ressemble à celui d’une gare. en moins intime. Il y a des marchands de baveux et de souvenirs, des sofas, des fauteuils, un coiffeur, un bar, une agence de spectacles et tutti frutti, comme dit Bérurier qui connaît de l’italien ce qu’il en lit sur les boîtes de sauce Buitoni !

La réception est pareille à la caisse d’une banque. On jacte aux préposés à travers des barreaux.

Je commence par demander à ces messieurs s’ils jaspinent le franchecaille. Mais ils secouent la tête avec indignation. D’après eux, lorsqu’on a la veine de parler anglais, c’est pas la peine de se casser le chou pour apprendre d’autres dialectes. Drôles de réceptionnaires ! Si les dirlos des palaces européens voyaient ça, ils deviendraient dingues. Tout le monde est en bras de chemise, bouffant de la gum en parlant, ce qui facilite l’élocution, croyez-moi. J’aurais un entretien particulier avec une vache hollandaise, ce serait kif-kif !

Usant de mon anglais, je réclame deux chambres communicantes, dont une à deux lits. On me répond que c’est O.K., ce dont je suis fort aise, et que ça fera dix-sept dollars par jour, ce dont je me tamponne le coquillard avec une patte d’alligator femelle.

En effet, les gnaces du F.B.I. n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère en me filant deux mille dollars. Au cours du jour, ça fait pas loin d’une ancienne brique ! J’ai idée que les matuches ont droit à des notes de frais carabinés de ce côté-ci de la mare aux z’harengs.

On nous dirige vers les ascenseurs. Un portier couleur de deuil national bonnit le numéro de notre étage au liftier.

Boum, servez chaud ! Nous voilà au dix-huitième !

Les couloirs de la caserne sont peints en vert pisseux. L’éclairage est triste. Tout est morne, terne, silencieux…

Un robinet d’eau potable goutte au-dessus d’une conque de marbre.

Les chambres ne rebectent pas le bidule. Elles font hôtel Terminus de sous-préfecture. Elles sont séparées par un cabinet de toilette commun.

Je désigne la pièce du fond à mes abrutis.

— Bivouaquez là, les Gars… Moi je prends l’autre avec le boxer !

Je laisse tomber un bifton d’un dollar au convoyeur après qu’il a déposé nos valoches sur le pageot. Puis je vais mettre la chaîne de sûreté à la porte.

La réaction se fait. Il y a trois quarts de plombe nous nous trouvions en rade, résignés. Et voilà que nous sommes à Broadway, comme qui dirait pour ainsi dire au cœur de New York !

La vie est curieuse, non !

Jamais je n’ai eu aussi peu le sentiment d’être sur une enquête.

Quelle enquête, au fait ?

Nous ne connaissons pas cette ville (la plus grande du monde !). Et nous sommes chargés d’y trouver des gens dont nous ignorons tout !

— Et maintenant ? demande Pinaud, qui a joué la Tour de Nesle jadis, lorsqu’il faisait du théâtre d’avant-salle-de-garde !

— Maintenant fais-je, on va pas se casser le chou, mes chérubins.

— Programme ? s’inquiète le Gros.

— Primo tu te rases, deuxio Pinaud se rase, tertio vous cessez de me raser avec vos questions saugrenues ! Rompez !

Voilà ce gland de boxer qui se met à rouscailler parce que Pinuchet vient de lui marcher sur la patte. Je calme le gaille par une sévère apostrophe :

— Toi, gueule-plate, si tu ne te tiens pas peinard, on te prend un billet de croisière pour la prochaine Apollo en partance, vu ?

Dompté, il s’enroule sur la descente de pieu et se met à ronfler.

CHAPITRE THREE

LA CINQUIÈME AVENUE… DE BEETHOVEN !

Une sensation absolue de vacances, voilà ce qui domine. Il fait un soleil de studio et la cité des gratte-ciel étincelle de mille feux.

Le magnifique trio que nous constituons sans effort déambule dans la 43e rue en direction de Broadway. Nous passons, fiers, comme des poux (et aussi cradingues en ce qui concerne Béru et Pinuche) devant le buildinge du Times… C’est plein de voitures de presse qui décarrent, bourrées de baveux plus frais qu’un arrivage de marée chez Prunier. Y a un sergent de ville à cheval devant l’immeuble. Cette image, c’est toute l’Amérique. Au pays de la Cadillac il y a des flics à bourrin ! Poésie pas clamsée, comme dirait un journaliste en mâle de copine[7] !

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6

En Amérique, les chauffeurs de taxi sont obligés de tenir la comptabilité de toutes leurs courses.

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7

Les calembours refusés par la clientèle sont repris à nos bureaux au tarif des métaux non ferreux !