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— Il attige un peu, l’Isaac, je grommelle. Il est en train de gonfler son compteur à nos dépens…

Je me penche dans la direction du bonhomme.

— Encore loin ?

— No, just a minute !

En effet, nous voici à l’orée de Central Park. C’est vaste, grandiose, aéré. Il y a de petits écureuils sur les trottoirs et des tordus qui se pelotent sur les bancs du square.

Je vois défiler, à droite, de somptueux palaces dont les portes sont pourvues de dais à rayures blanches et bleues. On continue de rouler. Le Park mesure des kilomètres de long. Plus nous le longeons, moins les immeubles sont rupins… On voit davantage de nègres, car c’est le chemin de Harlem…

J’interpelle encore le conducteur.

— Eh ! En voilà des hôtels, ça boume, pépère !

— Too expensive ! dit-il, laconique.

— Il dit que c’est trop chérot dans ce quartier.

— Qu’est-ce qu’il débloque ? s’inquiète Béru.

— Ça le regarde.

Je vais pour protester de nouveau, seulement le bolide ralentit. Il vire à droite dans une rue tranquille. J’ai beau écarquiller les roberts, je ne vois pas d’hôtel à l’horizon.

Par contre, nous parvenons à la hauteur d’un petit garage.

D’un superbe coup de volant, M’sieur Rosenthal vire à l’intérieur.

— Eh ! je gueule, qu’est-ce que c’est que ce turbin ?

Cette fois, j’ai pigé. Dès que nous avons franchi la porte, un grand panneau de bois coulisse sur des rails mal huilés, nous isolant de l’extérieur.

Le chauffeur arrête sa tire et se précipite hors de la voiture. Je regarde. Des hommes en costume de ville surgissent d’un box vitré, prévu initialement pour servir de bureau.

Ils sont trois, munis de pétards de gros calibre et ils cernent l’auto.

— Go out ! gueule le plus mastar du lot, un grand vilain-pas-laubé dont la frime s’orne (si je puis dire) d’une cicatrice rosâtre qui ferait dégobiller une huître !

— Qu’est-ce que ça signifie ? marmonne Pinaud.

— On vient de se faire coiffer, lui rétorque Béru, lequel, en l’occurrence, semble avoir conservé une plus grande rapidité de déduction.

En ce qui me concerne, je donne l’exemple et je sors de la voiture.

— Hands up !

Dans tous les cinoches du monde, ces deux mots ont cours. Je lève donc les pognes. Je suis à la fois surpris, inquiet et satisfait. Je vais rapidement vous donner le pourquoi du comment de ces trois sentiments différents. Je suis surpris parce que, sincèrement, je ne m’attendais pas à être kidnappé en plein New York avec mes deux badernes par un petit bonhomme comme ce chauffeur.

Je suis inquiet parce que ces Messieurs aux arquebuses Bénédicta guériraient le hoquet d’un gorille enragé. Enfin, je suis satisfait parce que, très vite, la piste s’est rétablie.

Pendant que je faisais le guignol à l’hôtel, les types se sont aperçus que le collier du chien ne contenait plus les plans. Alors ils se rabattent sur nous. L’instant des grandes explications approche.

Béru et le Pinaud des Charentes m’ont rejoint. Les trois bonshommes qui nous attendaient nous couchent en joue sans frémir. Ils ont des regards qui endormiraient le Grand Robert.

— Go ! fait le chef de la patrouille de choc.

Il nous désigne un escalier qui descend au sous-sol, non loin d’une fosse de graissage.

— Down !

— Descendons, fais-je à mes potes.

— Qu’est-ce qu’ils vont nous faire ? murmure le Gros.

— Un massage facial.

Courageusement, j’emprunte l’escalier[11], suivi de mes collègues et de nos trois truands.

Petite descente aux Enfers.

J’accède à un sous-sol minable, d’assez vastes dimensions, éclairé par une ampoule électrique nue. Des bidons d’huile, des pneus enrubannés de papier brun sont entassés là.

L’escogriffe qui semble commander l’expédition passe derrière nous et promène sa patte sale sur nos fringues manière de voir si nous sommes armés. Rassuré sur ce point, il rengaine son feu. Alors le badaboum commence. Mon petit ami Bérurier, dit Lagonfle, dit aussi Lacorne, Gras du Bide et Cocu-Content, qui n’aime pas qu’on prenne trop longtemps sa frite pour une ardoise de pissotière, se met en action. Ça ne concorde pas avec mes idées à moi, because, avant de jouer les Trois Lanciers du Bengale, j’aimerais en apprendre davantage sur ces bons messieurs. Pourtant, je ne peux faire autrement que de l’aider en ce combat douteux.

Il vient de balancer un coup de semelle au grand vilain cicatrisé à l’endroit qui sert ordinairement de point d’appui lorsqu’on est porte-drapeau.

L’autre en est tout retourné. Tellement, même, qu’il va se promener dans les bidons d’Esso.

A la place des deux autres archers, j’aurais tiré. Seulement, ces gentlemen ont dû recevoir des instructions sévères, sinon une instruction convenable. Même devise que les rabatteurs du zoo, « Ramenez-les vivants. »

— Hands up ! Hands up ! glapissent-ils.

Leurs pétoires frémissent au bout de leurs doigts. Comme ils renoncent à expédier la purée, Béru et moi, on leur fonce dans le baquet, bille en tête. Ils lèvent leurs armes et essayent de nous estourbir avec la crosse des composteurs. Le Gros prend sur la coupole un gnon qui devrait faire un trou dans une plaque de blindage, mais qui, sur ce crâne bétonné, ne produit qu’une écorchure sanguinolente.

Mon antagoniste a droit à une série sévère qui le met groggy en moins de temps qu’il ne faut à une chambre de députés français pour mettre bas un ministère.

L’autre pote, celui de Béru, est plus coriace. Sans l’intervention opportune du père Pinuche, le Gros aurait droit à sa petite fracture de crâne semestrielle.

Heureusement, Pinaud, dit Pinuchet, dit également le Débris, la Momie, Fesse-de-rat et Mouche-amère-deux, s’est vaillamment saisi d’un bidon d’huile. Il l’a propulsé avec violence sur la gueule du mitrailleur qui voulait casser la crosse de son pétard sur le crâne de Béru et le malfrat, assommé, lâche la rampe.

Nous voici maîtres absolus de la situation.

Le Gros se tamponne la brèche avec son mouchoir.

— T’as vu ça, exulte-t-il. Ah ! les tantes ! Comment qu’on te leur a fait voir à quoi ressemblent des matuchards français !

— C’est pas parce que t’es tricolore qu’il faut nous faire ta séance de patriotisme aigu ! je rouspète. Espèce de tête de comte ! Tu comprends pas que tu viens de faire du gâchis ?

— Quoi ? brame-t-il, ébahi. Quoi ?

— Par un miracle miraculeux, le contact s’était rétabli avec ceux que nous cherchons, et voilà que tu viens de tout gâcher.

— Fallait attendre quoi ? Qu’ils nous découpent au chalumeau pour être sûrs que c’étaient bien des gangsters ?

L’argument est de poids, évidemment.

Le Gros se baisse en ahanant et ramasse les calibres des copains.

— T’as visé un peu ces panoplies de boy-scouts, dis, San-A. ?

Avec des rapières commak, t’es à l’abri des mauvaises rencontres. L’arme absolue, tu l’as, non ?

— Attention ! brame Pinaud.

Le Gros se retourne, juste à temps pour morfler un parpin que se préparait à lui administrer l’escogriffe qui vient de se relever. Bérurier prend la livre avec os du gars dans le nez et son pif explose.

Vexé de voir mutiler mes compagnons, je fonce à la rescousse. Ce vilain-moche me déplaît souverainement. Je lui place une droite à réaction au menton. Il devient pensif. Une seconde droite plus nette entre les globilles l’étend pour le compte.

— C’est pas tout ça, dis-je, faut neutraliser ces braves messieurs… On va pas passer la journée à leur biller sur le couvercle pour les faire tenir tranquilles, c’est pas une solution !

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11

Si vous empruntez un escalier, renseignez-vous sur le taux d’intérêt qu’il pratique, ainsi que sur sa température. Un bon escalier va chercher dans les quarante-cinq pour cent et il doit faire trente degrés environ.