Выбрать главу

Je ne me doute pas, à cet instant, que je viens de mettre le pied dans l’une des plus stupéfiantes aventures qui me soient jamais arrivées.

11

POUR BIEN MARCHER

IL FAUT METTRE UN PIED DEVANT

L’AUTRE ET RECOMMENCER

L’assassinat de chanoine, ça devait être un violon d’Ingres pour feue Mme Ballamerdsche et pas du tout une nécessité, si j’en juge par la maison qu’elle habitait au Bois de la Cambre.

La masure d’au moins vingt pièces se dresse au centre d’une immense pelouse entourée de grands arbres du style cèdres ou ifs. Elle est faite de briques rouges sur lesquelles se détachent les portes et les fenêtres peintes en blanc. Des massifs d’hortensias roses bordent cette somptueuse demeure. À droite, des garages avec les appartes du perso au-dessus. Espère : ça en jette à poignées dans les mirettes de l’arrivant que je suis. On devine un vaste potager sur l’arrière, et puis un tennis et une piscaille couverte. M’est avis qu’il ne suffit pas d’être tueur à gages pour entretenir ce genre de palace ; ou alors faut n’avoir à effacer que des chefs d’État au lieu de curetons de banlieue et se faire carmer un maxi.

En contemplant cette opulence, je ne peux me défendre d’un sentiment très fort, fait de stupeur à quatre-vingts pour cent et du reste à vingt. Comment se fait-il que la propriétaire d’une telle crèche se rendît dans une église, armée d’un riboustin, avec la cruelle intention de perforer un bon chanoine natif de la grasse Normandie béruréenne ? Par quel obscur cheminement cette riche personne en arrive-t-elle à cette sinistre décision ? Que représente-t-elle pour que des ennemis contrecarrent son funeste projet et la mettent à mort avant qu’elle ne puisse l’exécuter ? Mystères ! Mystères en chaîne ! En avalanche !

— Joli cabanon, apprécie cet homme raffiné qu’est Béru. Si on l’aurerait, moi et Berthe, on organiserait des vaches réceptions où qu’on convierait tous nos potes. Concours de pétanque, barbecul dans l'parc, matches de pets après l’haricot d’mouton, partouzes sous les arbres que le premier prix c’s’rait un godemiché en or. J’m’voye comm’si j’y s’rais.

— Sublime ! déclaré-je. Tous les fastes du Roi-Soleil.

Il continue d’envisager ses nuits de Valpurgis :

— Y aurait des exclaves juste pou’nous passer la langue sous les roustons et nous prend’le guignol entre leurs nichemars. Tu veux qu’j’t’avoue ? C’te taule, é m’inspire !

— Moi aussi, conviens-je, et si fort que je vais sonner.

Joignant le zeste à la parabole, je presse sur un timbre de laiton qui domine un parlophone.

Là-bas, à l’extrémité de l’allée, la superbe crèche en jette dans le pâle soleil d’outre-Quiévrain (comme disent puis les journalistes sportifs). Elle pourrait servir de palais à un chef d’État ; je te parie que, s’il est plus vaste, celui de Laeken a moins de charme.

Une voix masculine éclate soudain :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Police ! dis-je avec cette laconicité qui renforce la portée du mot.

Un déclic. Le vantail droit de la grille s’écarte lentement dans un silence bien huilé.

Sa Rotondité et moi-même nous engageons dans la large allée au revêtement de ciment rose. Tout là-bas, sur le perron, un larbin en pantalon noir et gilet rayé abeille vient de surgir. Un grand, avec des rouflaquettes grises, comme les valets dans les comédies de jadis. Il attend, le bras gauche dans l’alignement du corps, le droit à l’équerre sur son ventre. Il porte des gants blancs. À mesure du fur que nous avançons, je constate qu’il est équipé d’un sonotone et qu’il a une trace de foutre mal nettoyée à l’encolure de sa braguette.

Tronche d’ancillaire du répertoire, te répété-je-t-il. Regard impassible, raideur compassée. Tête à claques sur les bords. Il doit s’embroquer la femme de chambre tout debout derrière une tenture, ou se faire pomper la membrane pendant qu’elle encaustique le parquet.

Je gravis les quatre degrés du perron (pet rond) et sors ma brème poulardière d’un geste dûment étudié, réussissant à masquer « République française » d’un doigt et le ruban tricolore d’un autre. Je renfouille ce document magique presto sans lui laisser le temps de l’examiner comme s’il s’agissait d’un hiéroglyphe égyptien.

— Vous désirez, messieurs ? demande le serviteur avec un accent étrange venu d’ailleurs.

Selon mon diagnostic, rapidement posé, ce personnage doit être portugais d’origine, mais embelgiqué depuis plusieurs décennies.

— En l’absence de Mme Ballamerdsche, à qui doit-on s’adresser pour discuter d’un sujet grave ? je lui questionne à l’en brûler le pourpoint.

— Il y a Mlle Hurnecreuse, sa secrétaire.

— Je suis convaincu qu’elle fera admirablement l’affaire, certifié-je.

Il a un geste pour nous désigner la porte et on pénètre dans un lieu surprenant où est rassemblé et s’accumoncelle un caphamaüm (et Pompéi) qui serait indescriptible par un romancier moins surdoué que je ne le suis. Ce qui impressionne le plus, ce sont des armures damasquinées rangées comme à la parade (dirait aussi un journaliste sportif pour commenter un match de fôteballe). Ces boîtes de conserve pour connétable sont une bonne douzaine à constituer une silencieuse armée robotisée. S’y trouvent également des coffres énormes aux formidables ferrures ouvragées, des chaises à porteurs balladuriennes, des lits à colonnes, des fauteuils de marbre blanc ayant dû servir de trône, des candélabres d’église, des tables de chevalerie, des statues polychromes et beaucoup, beaucoup d’autres choses encore sur lesquelles je ne m’étendrai pas car elles sont trop inconfortables.

— Je vais informer Mademoiselle de votre visite, m’annonce le larbin en s’éclipsant d’un pas fraîchement remonté.

— C’est quoive, c’te cabane ? demande Son Enflure sérénissime. Un musée ?

— Pas exclu.

— Tu choperais pas le masque, ta pomme, d’éguesister dans un pareil herculanum ?

Je m’abstiens d’entreprendre une discussion philosophique à ce moment de notre visite. D’autant qu’une dame vient d’apparaître dont la seule vue te transforme les roustons en marrons glacés

Magine-toi une exquise créature d’à peine un mètre soixante, bien prise, la poitrine très légèrement surabondante, ce qui n’a rien de désobligeant. La personne est d’un roux délicat ; moi qui hais les rouquemoutes, je suis fasciné par sa chevelure couleur de cuivre rouge, sa peau semée de taches brunes qui transforment son agréable visage en nuit d’été. Le regard est myosotis, la bouche pulpeuse, fardée en orange. C’est le genre d’arrivante qui, par sa seule présence, secoue les torpeurs les plus endurcies.

Son air déterminé indique qu’elle ne reste pas les deux paturons dans la même latte.

Elle va droit à l’obus, comme aurait dit Déroulède.

— Il est arrivé quelque chose, messieurs ?

Voix nette, qui te chatouille le dessous des burnes.

— Qu’est-ce qui vous le donne à penser, mademoiselle ?

Elle hausse les épaules :

— Généralement, la Police ne se déplace pas pour rien. Quand elle a besoin d’un simple renseignement, elle convoque.

Très pertinent comme raisonnement.

— Effectivement, conviens-je-t-il. Mme Ballamerdsche est décédée.

Pareille au corbeau qu’ouvrait un large bec et laissait tomber sa proie, la voilà qui me découvre ses ravissantes amygdales ainsi qu’une molaire en or héritée de ses parents.

Elle a un mouvement de touchante frilosité pour se prendre elle-même dans ses bras, ce que je ferais volontiers moi-même.