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Puis elle sacrifie à une tradition bien établie en balbutiant :

— Ce n’est pas possible ?

— Hélas si, ne manqué-je pas de corroborer.

La délicieuse mate le bastringue héréroclite qui nous environne, puis chuchote :

— C’est donc pour ça…

— Qu’entendez-vous par là, mademoiselle ?

— Depuis trois jours elle n’a pas donné de ses nouvelles, ce qui était impensable. Qu’a-t-elle eu ?

— Une injection d’un produit nocif qui l’a emportée en moins de cinq minutes !

La sublime femme à la blondeur dévoyée écarquille ses admirables lotos conçus pour l’extase.

— Je ne comprends pas…

— Quelqu’un a mis fin à ses jours en lui inoculant un poison d’une rare violence au moyen d’une sarbacane. Étonnant, non ?

— Mais c’est…

Elle se tait, à court de mots ou de salive.

— C’est ? que j’insiste.

Elle avise le grand branleur de larbin qui se déchiquette les tympans pour tenter de capter notre converse depuis l’autre bout du hall.

— Allons dans mon bureau, propose-t-elle.

Nous la suivons. Un couloir nous accède à une pièce claire, au meublage fonctionnel. S’y trouvent deux fauteuils qu’elle nous propose du geste.

— Trop bas pour moi, décline Sa Majesté. Si j’foutrerais mon valseur là-d’dans, faudrait des forceps pour m’ravoir !

Et il choisit la chaise pivotante installée derrière un ordinateur.

— Racontez-moi ce qui est arrivé ! me dit Mlle Hurnecreuse.

— Volontiers, mais auparavant, j’ai besoin de certaines informations, réponds-je avec une civilité à fleur de peau qui ferait mouiller une postière des Hautes-Alpes.

Alors elle se rend compte que ma réponse est logique et adopte la posture de la répondeuse dans ses tartines-blocs.

— Parlez-moi de Mme Ballamerdsche, invité-je doucement.

— Que voulez-vous savoir d’elle ?

— Tout, pour commencer, ensuite nous aviserons. Il y a longtemps que vous travaillez pour elle ?

— Ça va faire la quatrième année.

— Au bout de quarante-huit mois de cohabitation vous devez avoir des choses à raconter. Qui est-elle ?

— Une antiquaire spécialisée dans la Haute époque.

Ah ! bon ; maintenant je m’explique le hall et le prestigieux bric-à-brac qui s’y trouve rassemblé.

— Sa situation de famille ?

— Elle est veuve, depuis fort longtemps, d’un haut fonctionnaire qui a fait sa carrière en Afrique.

Quelque chose dans mon sub fait tilt. L’Afrique serait-elle le commun dénominateur entre la femme fléchée et l’ancien missionnaire qu’elle s’apprêtait à seringuer ?

— Ensuite ?

— À la mort de son époux qui, si je ne me trompe pas, remonte à plus de vingt ans, elle s’est lancée dans le commerce des antiquités.

— Des enfants ?

L’expression de ma vise-à-vise s’aggravit.

— Une fille, fait-elle.

— Qui habite où ?

— Ici même. Mais c’est une handicapée moteur cérébrale, réduite, selon l’expression, à l’état de géranium.

Pendant qu’elle parle, j’observe les agissements du Mastard.

Ils sont assez étranges pour que je te les relatasse. Le Mammouth vient d’ôter ses targettes, ce qui, illico, met dans la pièce un délicat parfum d’ambre, de musc et de chiottes de gare obstrués. À pas de loup-cervier, il gagne la porte, saisit délicatement la poignée d’icelle et ouvre brusquement.

Vision classique, mille fois utilisée dans des films encore plus tartes que ce livre poignant : le larbin est à l’équerre dans le couloir, sa portugaise gauche (que je présume être sa plus fiable) à hauteur de la serrure.

Le Faramineux a toujours été l’homme des décisions promptes et des gestes héroïques. Il virgule une terrible remontée de genou droit dans la margoule du valet de chambre. Ça produit le bruit sec d’un branchage brisé et l’indiscret part à la renverse, le regard feutré, le tiroir de traviole. Il gît sur le sol avec l’air de se demander si Noël va bien tomber le 25 décembre cette année.

— Dérangez-vous pas pour moi, nous fait gentiment le Mastard en relourdant, j’avais cru voir une ombre sous la porte, mais j’ai eu la berlue : y a personne.

12

QUAND LE JOUR NE SE LÈVE PAS,

C’EST QU’IL EST TROP FATIGUÉ

Notre converse reprend. Miss Adèle H. s’exprime bien, de façon gouleyante. Fille directe, intelligente jusqu’à l’extrémité de ses poils pubiens, elle parle sans détour de sa patronne et de leur vie dans la vaste demeure. J’apprends que la défunte voyage pas mal à travers l’Europe, à la recherche de mobilier de valeur. Chez elle, on ne vend que du top niveau. Foin des épaves rebricolées qui sont la pâture des brocanteurs. T’as des mecs qui, partant d’un barreau de chaise, te reconstituent le siège entier et le vendent comme étant « bon d’époque ». Ils chient pas la honte, ces marchands du Temple. Note que si le clille est content de son emplette, tout baigne. Dans la vie, ce qui importe, ce ne sont pas les choses en tant que telles, mais l’idée qu’on s’en fait.

Donc, la morte se déplaçait fréquemment. En son absence, c’est miss Hurnecreuse qui tient le bouclard et supervise l’entretien de la fille déconnectée. La gentille rouque est wallonne. Elle a fait l’école du Louvre à Paris et sait différencier, au premier coup d’œil, un fanal de chantier d’une opaline Charles X. Elle m’assure que sa patronne avait beaucoup de relations d’affaires mais ne fréquentait personne. Que c’était une femme énergique, cultivée, assez rude de contact mais juste.

Alors que nous sommes en pleine bavasse, elle et moi, le Gravos se lève et demande où se trouvent les tartisses. Il se croit obligé d’expliquer que, la veille au soir, ils ont été invités, Mme Bérurier et lui, chez Alfredo, leur ami coiffeur. Ce zigus, qui est rital, a voulu leur préparer une paella, mets typiquement andalou, et s’est laissé refiler des crustacés « nazebroques » par son poissonnier. Conclusion, Berthe a chiassé toute la noye et il constate que ses propres intestins disjonctent avec retard. Effectivement, de sourds grondements émanent de ses profondeurs. Il assure qu’il se sent plein de vents, qu’il ne peut libérer because les déprédations qui en résulteraient très probablement. La somptueuse rouquette lui indique « l’endroit » et Sa Majesté aux entrailles turbulentes nous quitte en dégrafant préalablement son bénouze, précaution élémentaire quand on joue la montre en pareille circonstance.

Lui évacué, une douce connivence s’installe entre nous. Adèle semble certes bouleversée par l’assassinat de sa patronne, mais pas peinée outre mesure. J’ai idée que la dame Ballamerdsche devait manquer de tendresse humaine et mener la vie dure à son entourage.

Tu sais que c’est une frangine coulée dans un moule extra ? L’avoir dans ses bras, crois-moi, c’est payant. Elle a des jambes superbes et pas de jus d’hévéa dans les deux compartiments de son sac à loloches. N’en plus, sa bouche porte à la rêverie. Je songe, malgré moi, à ce que des lèvres pareilles peuvent faire d’un paf de bonne tournure.

Elle continue de me raconter le commerce d’antiquités. Les acheteurs triés pis que des lentilles, venant sur rendez-vous. La classe ! C’est pas entrée libre chez la Ballamerdsche. Faut s’annoncer par lettre ou turlu, montrer patte white et attestations bancaires avant d’engager la causette. Les branleurs du véquende qui viennent te faire chier la bite à tout tripoter et à demander les prix, elle en avait rien à secouer, la trépassée de la sarbacane. Le grand style, quoi. Ici, l’objet le plus mignard coûte un saladier ! D’ailleurs les prix sont énoncés en dollars.