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L’homme d’Église toussota, ce qui lui amena une expectoration qu’on aurait classée triple zéro chez un écailler. Il s’en défit à l’amiable et reprit :

— Si qu’vous s’riez émue, disez-le-moi franchement : un prêtre ça peut tout entendre. P’t’êt’ sont-ce mes allusions à l’amour qui vous troublent ? Y a des natures très portées qui grimpent en mayonnaise sitôt qu’on leur cause radaduche. Si tel s’rait l’cas, j’l’comprendrerais, v’savez, mon trognon.

Comme la personne continuait de mutismer farouchement, le confesseur craignit qu’étant peut-être d’une nature hypersensible, elle ne se fût évanouie à son discours.

Il sortit de sa guitoune pour aller porter un éventuel secours à la pénitente. Lorsqu’il eut tiré le rideau isolant cette dernière, il constata qu’elle n’en avait pas besoin.

La femme blonde se trouvait toujours en posture de contrition. Sa joue gauche était appuyée contre la paroi à claire-voie. Son bras droit pendait le long de la cloison. Son regard (dont on ne distinguait qu’un œil) était d’une éloquente fixité. Malgré la pénombre ambiante, le chanoine réalisa que la peau de son visage tournait au bleu-vert.

— Nom de Dieu de merde ! soupira l’ecclésiastique d’une voix qui manquait un tantisoit peu de dévotion.

2

PLEURE ! O MON PAYS BIEN-AIMÉ

Alexandre-Benoît libère un de ces pets de stentor qui comptent dans la vie d’un slip Eminence. Son étole violette accroît la vive coloration de ses joues marbrées par l’abus des boissons fermentées. Il a l’œil hébété de la poule venant de trouver un couteau Opinel parmi les œufs qu’elle est en train de couver.

Comme il est en veine de flatulence, il bombarde derechef. Une vieille bigote de garde, aux prises avec des perles également, mais en ce qui la concerne ce sont celles de son chapelet, se retourne, interloquée.

— Qui sème le vent récolte la tempête, dit le gros chanoine d’un ton désabusé.

La prieuse se fait une oraison et l’oublie. Lors, le faux prêtre introduit son pouce et son médius en pince de homard dans sa bouche et lance un coup de sifflet qui n’est pas sans rappeler celui qu’émet un arbitre de foot pour marquer la fin d’un match.

La dame sursaute et interpelle d’un regard éberlué ce singulier prêtre qui produit des bruits si peu en rapport avec le saint lieu.

Je me tenais dans le fond de l’église, entre le bénitier et ce renfoncement où sont en vente des publications approuvées par le clergé. J’étais en train de prier le Seigneur à propos de mon tiers provisionnel qui va me choir sur la coloquinte au moment où je viens d’acheter une Ferrari 456 G T gris anthracite, intérieur havane. Je me doute parfaitement que Dieu doit rester circonspect vis-à-vis de ce genre de requêtes mais enfin Il est là pour tout le monde, et le cyclomoteur d’un manar émigré n’a pas priorité sur un véhicule de prestige déjà gravement pénalisé par le montant de sa vignette, des impôts inhérents ainsi que de son entretien.

A l’instant où ma supplique se pare d’un vocabulaire de haute tenue, une modulation stridente, amplifiée par les voûtes de l’édifice, fissure mes tympans.

Bérurier a du nouveau !

Illico, je me signe d’une croix et me dirige vers le confessionnal du chanoine Dubraque. Ce faisant, je constate que, simultanément, mon sombre collaborateur Jérémie Blanc se rabat vers l’entrée principale, tandis que César Pinaud, tout enchifregné dans le col d’astrakan de sa pelisse pour milliardaire des années 20, gagne la petite porte latérale de l’église, laquelle donne sur la rue Bugnazet de Mayfaisse, l’inventeur du choucroutier à modulation de fréquence.

Béru en chanoine est une vision à ne rater sous aucun prétexte, même valable.

Le Mastard est debout, dos au confessionnal dont la lourde centrale est restée ouverte. Il a l’air bizarre d’un médium qu’un hypnotiseur en manque de fluide a endormi d’un coup de maillet sur l’occiput.

— Quoi ? lui demandé-je abruptement.

— La couille ! m’informe le prêtre de circonstance en me montrant le logement de gauche.

Je fais coulisser complètement le rideau d’étoffe rêche, plus poussiéreux que le prépuce de Madonna. Ce simple geste me met en présence d’une dame qui quinquagénait sur les bords avant de restituer son âme à Dieu. La personne est blonde décolorée, vêtue d’une robe noire, d’un ciré bleu, chaussée de bottines en cuir souple. Sa tête est appuyée sur la grille de bois ; ses doigts tiennent un mouchoir en boule. Un parapluie rétractable est sagement déposé sur le plancher.

— J’la confessais, m’explique le Mammouth, et a n’mouftait rien. Juste au début, l’a produise quéqu’gargouillis en réponse à des questions intimes dont j’lu posais. J’croaliais qu’a m’disait « non ». N’à la fin, j’ai voulu en avoir l’cœur net, alors j’ai sorti pour m’renseigner ; et v’là.

Il ajoute :

— Rien vu, rien entendu ! Tu croives qu’elle a eu une crise cradingue ?

Au lieu de répondre, j’actionne ma lampe-stylo et promène l’étroit faisceau sur le visage de la morte. Il ne me faut pas longtemps pour découvrir une minuscule perle de sang en cours de coagulation sur sa joue droite, près de la tempe. Le raisiné a séché, est devenu carmin, avec des reflets de verre.

— Ne touchez à rien, mon père ! fais-je en m’esbignant.

D’entreprendre alors une visite de l’église. Outre la bigote en âge d’oraison, il y a là l’abbé Prunier occupé à catéchiser quatre petites filles près de l’autel consacré à la bienheureuse Vierge Marie, deux religieuses qui décorent le chœur de branchettes de houx en prévision de je ne sais quelle fête, et un bedeau-remplaceur-de-cierges-trop-bas-consumés, juché sur une échelle à double révolution. Rien de plus innocent, ni de plus paisible, que ces êtres rassemblés par l’amour du Seigneur. Je regarde dans l’autre confessionnal, puis derrière les trois autels, et enfin dans la sacristie où je constate que la porte de cette dernière est fermée au verrou depuis l’intérieur. Par acquit de ce que tu sais, je demande aux aimables nonnes si elles auraient vu quelqu’un pénétrer dans ces coulisses de l’église ; mais elles me répondent que niet. Rapide visite à mes coadjuteurs pour leur poser la même question. Pinuche et Blanc m’affirment que personne n’a quitté la maison de Dieu depuis vingt minutes.

J’ai toujours raffolé du mystère de la chambre close parce qu’il donne à rêver. Comme le prodige est banni de notre univers rationaliste, on en vient automatiquement, et à son vif regret, à remplacer le merveilleux par une bonne vieille évidence bien de chez nous. Mon intelligence, du moins ce qui m’en tient lieu, me dit que si un meurtre a été commis dans la maison du Seigneur et que personne n’en est sorti, c’est que le coupable s’y trouve toujours. Pas besoin d’être diplômé de Polytechnique pour admettre la chose. Ce qui reviendrait à dire qu’il est l’une des personnes présentement rassemblées sous les voûtes faussement gothiques de l’église. Je veux bien, mais sur laquelle faire porter mes soupçons ? Est-ce le catéchiste ? Une des pucelles provisoires auxquelles il enseigne la vérité du Seigneur ? Est-ce l’une des deux religieuses affairées dans le chœur ? Ou bien le bedeau qui cherche du suif à ses chandeliers ? Voire la bigote en prière ? Elle est peut-être fausse, après tout ? Et s’il s’agissait d’un gonzier affublé ? Mes deux auxiliaires, Pinuche et Blanc, assurent n’avoir rien remarqué de suce-pet.

Je cherche la pénitente des yeux : elle n’est plus sur son prie-Dieu ! Par contre, son sac à main hors d’âge s’y trouve encore. Avec impudence, je l’ouvre. Il contient un livre de messe, des kleenex neufs ou usagés, un chapelet à gros grains, un porte-cartes en plastique recelant une carte d’identité nationale délivrée au nom de Marie Couchetoilat, la photographie d’un officier de j’ignore quelle arme, au visage ganacheur, et un godemiché de concierge, en caoutchouc fusé qui doit remonter à Mlle de La Vallière (que son pied bot n’empêcha jamais de pomper le chibre de Louis XIV). Le tout me semble assez innocent.