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Comme je remets le réticule ridicule sur la paille de la chaise basse, je perçois une agitation feutrée en provenance du confessionnal.

M’en approche. Constate que la cahute à péchés est animée d’un léger roulis kif si elle dérivait sur un fleuve impassible. La porte réservée au confesseur est infermée. Je jette un œil et découvre le faux chanoine Dubraque en train d’exorciser la culotte chafouine de la pénitente. Elle est assise sur les genoux du Valeureux, lequel la cramponne à deux mains par le michier pour aider cette méritante vieillarde à se soulever et à s’abaisser selon une judicieuse cadence.

La pauvre égarée balbutie :

— C’est mal, ce que nous faisons là, mon père !

— Occupez-vous pas d’ça, m’n’enfant, riposte le maître d’œuvre. Disez-vous plutôt qu’si le gentil Seigneur nous a donné un sesque, c’est pas pour qu’y servasse de châssis aux toiles d’araignée. Moi, d’vous voir l’dargif dressé pendant qu’vous prillellez, j’ai pas pu réfréner. Après not’bouillave on récitera un navet et un pâté par acquit d’conscience ; dans not’ région catholique, on peut toujours s’arranger à l’amiab’, c’est c’qu’en fait la beauté. Mais assez papoté, pense à c’qu’tu fais, la mère ! Bouge-le, ton vieux pot ! T’en as chopé souvent, des braques d’ce calib’, dis, Carabosse ? Allez, force ! Profite, c’est gratuit ! Un’occase pareille, t’es pas prête à la r’trouver.

Ainsi s’exprime Alexandre-Benoît, profanateur insconcient.

Et Bibi, abasourdi, se demande avec l’anxiété du désespoir où est passé « l’assassin du confessionnal » ?

La situasse, tu veux que je te la résume ?

Nous étions prévenus qu’un meurtre allait être commis dans cette église. Nous avions pris nos précautions en l’investissant à quatre. Nous avions dévolu au Gravos le rôle du confesseur car il a l’embonpoint du chanoine Dubraque. Une issue condamnée, les autres étroitement surveillées, j’étais convaincu que rien ne pouvait se produire de grave. Et puis tu vois ?

3

TULATIF RECAPITU

Pour tout te dire…

Ça a démarré comme ça.

Tu m’ouïs ?

Le chanoine Dubraque…

Un cas.

Ancien missionnaire récupérateur de délinquants et de camés en perdition. Organisait avec eux des convois de bouffe à destination de bleds pleins de sales mouches (qui ne sont pas à merde car, là-bas, plus personne ne défèque pour cause de famine aiguë). Le cher homme tombe gravement malade, infléchit son sacerdoce et opte pour une vie plus calme. On lui confie une paroisse de banlieue pauvre où il continue de se prodiguer façon abbé Pierre, sauf qu’il n’a pas l’aspect ascétique de celui-ci. Au contraire, c’est un gros type à bourrelets qui déborde de partout, rougeoie, tonitrue, bref : un Béru cureton.

La semaine dernière, tu sais quoi ? Alors qu’il est allé s’incliner sur la tombe de son prédécesseur, enterré dans le cimetière de Saint-Firmin-les-Gonzesses, quelqu’un lui a défouraillé dessus depuis le mur d’enceinte et il s’est biché la bastos (une balle de fusil Lebel, qui est une arme très ancienne) à la base du cou. S’en est tiré avec une entaille inimportante. Le geste d’un dingue ou d’un garnement, a-t-il cru. Le saint homme n’en a même pas parlé à la police. Bâti à chaux (de pisse) et à sable (d’Olonne), ce baroudeur de Dieu en a vu d’autres, et des pires. Seulement, voilà qu’à la maison Pouleman arrive un appel téléphonique anonyme : le curé Dubraque, de Saint-Firmin-les-Gonzesses, va être assassiné dans l’après-midi du 18.

Des coups de grelot de ce style on en reçoit des chiées, chez nous. Moralement, on les met à la poubelle de l’oubli, si tu veux me permettre cette expression aussi hardie qu’originale. Et puis nous en parvient un second, le même jour. Le premier était masculin, féminin est le deuxième. Alors bon, ça réagit chez les draupers. On tubophone au chanoine. Et le saint prêtre nous révèle l’agression dont il a été l’objet. Cette fois, c’est du sérieux. Mobilisation générale. Bien que ce genre d’affure ne soit pas de mon ressort, comme dirait Aboudin, je me fie à mon instinct et prends l’affaire en main.

Le brave curé ressemblant à Béru comme une tête de porc ressemble à une tête de cochon (le souci de la vérité l’emporte sur ma profonde religiosité), Sa Majesté se fait la silhouette et la tronche du chanoine.

Résultat : une dame inconnue vient de défunter à quelques centimètres du pseudo-confesseur, dans les circonstances les plus troublantes qui fussassent. Il n’y a pas eu de déplacements dans l’église. La bigote à qui le Mastard accorde une absolution de son cru se tenait à pas quatre mètres vingt de la guitoune. Je surveillais toute l’église depuis la chaire désaffectée. Mes sbires en gardaient les issues. Et cependant, un meurtrier a frappé.

De quoi en perdre son latin !

Mon échec est aussi cuisant que la zézette d’un collégien qui s’est pogné à trois reprises pendant la projection de « Jolies friponnes sans slip », prix spécial du jury au Festival de Bouffémont.

Je vais rejoindre messire Blanc (d’Espagne) dont la belle peau sombre brille dans le clair-obscur du saint lieu.

— Téléphone à Mathias pour lui demander de se radiner de toute urgerie, mec !

Il.

Moi, je me retourne en direction du maître-autel (et non du maître d’hôtel), histoire de lancer un petit message personnel au Seigneur, comme quoi Il ne va pas permettre qu’un meurtre perpétré dans Sa propre demeure reste impuni, bordel ! Je Lui implore qu’il m’inspire pour le plus grand triomphe de la vérité.

Rasséréné par cette nouvelle exhortation, plein de confiance et d’énergie, j’attends la fin du coït plus ou moins sacrilège du Mastard et, surtout, l’arrivée du Rouqemoute, en tirant (à défaut de coup) des plans sur la comète.

* * *

Les petites filles du caté se sont cassées. Leur abbé initiateur de même, ainsi que les deux religieuses. Le sacristain a fini de renouveler les cierges et change la nappe amidonnée de l’autel.

C’est délicat, comme manœuvre, car il faut déplacer les objets du culte qui s’y trouvent. Ignorant de la tragédie qui vient de s’accomplir, le digne homme (un dénommé Charles-Henri Dubois, préparateur en pharmacie, décoré d’un ordre religieux dont j’ai oublié le nom, deux fois blessé au cours de sa guerre d’Algérie et deux mille fois cocufié par son épouse dans sa vie civile), fredonne un chant séditieux, en tout cas impie, intitulé Étoile des neiges, dans un moment d’abandon.

Bérurier a, depuis longtemps, fini de pécher avec la dame Couchetoilat. Celle-ci a retrouvé sa chaise basse et balance des salves de prières variées, à voix presque haute tant est ardente l’intensité de sa foi, exaltée par une farouche volonté de rédemption.

Mes hommes et moi examinons sans y toucher le corps agenouillé ainsi que la partie de confessionnal où s’est commis l’assassinat présumé.

Que je te cause…

La victime est une femme d’environ cinquante carats, aux cheveux que j’ai déclarés blonds en début d’ouvrage, et y pas de raison que je revienne sur ce point de détail. Son visage très blême se couvre de marbrures bleues. Ses yeux ouverts expriment l’absence. Dans l’ombre, son ciré de bonne coupe luit comme de la peau de cétacé fraîchement harponné.