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— Aucun homme n’est infaillible. Le Rancher a pu se tromper.

— N’oubliez pas que nous ignorons tout de la nature de ce document. Il peut s’agir, par exemple, des notes inédites d’un savant. D’une découverte dont les Terriens n’avaient jamais compris l’importance militaire, que sais-je…

— Vous dites des bêtises, indignes d’un soldat comme vous. S’il est une science où l’homme n’a jamais relâché ses efforts, c’est celle de la technologie militaire. Aucune arme ne dormirait dans des tiroirs pendant dix mille ans. Je pense, Rizzett, qu’il est temps de retourner à Lingane.

Rizzett haussa les épaules, nullement convaincu.

Jonti ne l’était pas davantage, d’ailleurs. Si ce renseignement avait été volé, c’était qu’il méritait de l’être ! Mais volé par qui ? Il pouvait se trouver n’importe où dans la Galaxie.

A contrecœur, il en vint à penser que le document se trouvait peut-être en la possession des Tyranni. Si seulement le Rancher n’avait pas été aussi vague. Il avait dit que ce document était porteur de mort, et aussi que c’était une arme à deux tranchants. L’imbécile, avec ses allusions imprécises ! Et maintenant, les Tyranni l’avaient tué.

Et si Aratap était en possession de ce secret, quel qu’il fût ? Aratap ! Le seul homme, maintenant que le Rancher n’était plus, dont il fût impossible de prévoir les actions. Le plus dangereux de tous les Tyranni.

* * *

Simok Aratap était un petit homme aux jambes légèrement arquées, aux yeux enfoncés, avec l’allure lourde et massive typique des Tyranni. Mais les habitants des mondes assujettis ne l’intimidaient pas, aussi grands et musclés qu’ils fussent. Il était, en effet, le descendant (à la seconde génération) de ceux qui avait abandonné leur monde stérile et balayé par les vents, pour capturer et réduire en servitude les planètes riches et peuplées de la Nébuleuse.

Son père dirigeait une escadrille de petits vaisseaux maniables et rapides ; ils avaient frappé pour disparaître aussitôt, puis frappé de nouveau, jusqu’à détruire entièrement les engins gigantesques mais lourds qui s’opposaient à eux.

Les mondes Nébulaires se battaient d’une façon traditionnelle, mais les Tyranni avaient adopté une tactique nouvelle. Au lieu de faire front à l’adversaire, en déchargeant massivement leurs réserves d’énergie, les conquérants mettaient l’accent sur la rapidité et la coordination. Les Royaumes tombèrent les uns après les autres ; loin de s’entraider, chacun attendait avec joie la défaite de ses voisins, se croyant en sécurité derrière les remparts d’acier de ses vaisseaux.

Mais le tour du privilégié venait, inévitablement.

Il y avait déjà cinquante années de cela. Les Royaumes de la Nébuleuse étaient devenus des Satrapies ; l’administration des Tyranni était en place, depuis longtemps, les impôts rentraient régulièrement… Il y avait des mondes à conquérir, alors, songeait Aratap avec mélancolie, tandis que maintenant, on ne se battait plus que contre quelques hommes isolés.

Il observa le jeune homme qui lui faisait face. Il était très jeune, en réalité. Et grand, avec de larges épaules ; son visage grave et ardent était malheureusement enlaidi par une ridicule coiffure en brosse, sans doute un snobisme d’étudiant. Aratap ne put s’empêcher de ressentir une certaine pitié pour lui, tant il était évident qu’il avait peur.

Biron eût été surpris s’il avait su ce que pensait Aratap ; s’il avait dû, lui, qualifier le sentiment qu’il éprouvait, il aurait dit « tension ». Depuis sa naissance, il avait été habitué à considérer les Tyranni comme une race de maîtres. Même son père, malgré sa force et son autorité, libre d’agir comme il l’entendait dans le cadre de ses domaines, se montrait prudent et presque soumis en présence des Tyranni.

Ils venaient parfois à Widemos, se montraient imperturbables et polis, se déplaçant presque toujours pour lever le tribut qu’ils appelaient « impôt annuel ». Le Rancher de Widemos était responsable de la perception de ces impôts pour toute la planète Néphélos, et les Tyranni vérifiaient parfois ses comptes, mais jamais à fond.

Le Rancher en personne venait les accueillir à la descente de leurs petits vaisseaux. Lors des repas, ils avaient droit à la place d’honneur, et étaient servis les premiers. Lorsqu’ils parlaient, les autres convives se taisaient instantanément.

Enfant, Biron s’étonnait que des hommes aussi petits et aussi laids eussent droit à tant d’égards ; en grandissant, il comprit qu’ils étaient à son père ce que son père était à un garçon vacher. Il finit par apprendre à leur témoigner le respect qui leur était apparemment dû, et à ne leur adresser la parole qu’en leur disant « Excellence ».

Il l’avait si bien appris que même maintenant, en présence de ce Tyranni, il était tellement tendu qu’il en tremblait.

Le vaisseau qu’il en était venu à considérer comme une prison était officiellement devenu tel dès l’atterrissage à Rhodia. Après avoir sonné, deux solides membres de l’équipage étaient entrés dans sa cabine et avaient encadré Biron. Le capitaine était arrivé immédiatement après, et lui avait annoncé, d’une voix parfaitement neutre :

— Biron Farrill, en vertu des pouvoirs dont je dispose en tant que capitaine de ce vaisseau, je vous mets en état d’arrestation provisoire en vue de votre interrogatoire par le commissaire du Grand Roi.

Le commissaire était ce petit Tyrannien qui lui faisait face, apparemment indifférent et perdu dans ses pensées. Le « Grand Roi », c’était, bien entendu, le Khan des Tyranni, qui vivait dans son légendaire palais de pierre sur la planète d’origine de son peuple.

Biron regarda furtivement ce qui l’entourait. Physiquement, rien n’entravait ses mouvements, mais quatre gardes en uniforme bleu ardoise de la Police Extérieure Tyrannienne le tenaient à deux de chaque côté. Ils étaient armés. Un cinquième, en uniforme de commandant, était assis à côté du commissaire Aratap.

Ce dernier lui adressa la parole pour la première fois.

— Comme vous le savez peut-être… (Sa voix était frêle et d’un timbre aigu), votre père, l’ancien Rancher de Widemos, a été exécuté pour haute trahison.

Ses yeux délavés, apparemment toute douceur, retinrent le regard de Biron.

Biron demeura impassible. Son impuissance le torturait. Il aurait été tellement satisfait de hurler, de le couvrir d’injures… mais cela n’aurait pas rendu la vie à son père. Il crut sentir que cette brusque entrée en matière était destinée à le briser, à l’inciter à se trahir Eh bien, il ne leur ferait pas ce plaisir.

— Je suis Biron Malaine, Terrien, dit-il d’une voix impassible. Si vous mettez mon identité en doute, j’aimerais entrer en communication avec mon consulat.

— Je comprends, je comprends, mais nous en sommes à un stade purement officieux. Vous êtes Biron Malaine, Terrien, dites-vous. Et pourtant… (Aratap désigne les papiers étalés devant lui :) voici des lettres écrites par Widemos à son fils, ainsi qu’une carte d’étudiant et un reçu d’inscription universitaire, tous au nom de Biron Farrill. On les a trouvés dans vos bagages.

Biron était désespéré, mais il le cacha de son mieux :

— Mes bagages ont été fouillés illégalement. Je nie par conséquent la valeur juridique de ces preuves.

— Vous ne vous trouvez pas devant un tribunal, monsieur Farrill ou Malaine. Avez-vous une explication à me fournir ?

— Si ces documents ont été trouvés dans mes bagages, c’est que quelqu’un les y avait placés à mon insu.

Au grand étonnement de Biron, le commissaire laissa passer, sans faire de commentaires, ces explications pourtant stupides et cousues de fil blanc. Il se contenta de tapoter du doigt la petite capsule noire.