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— Soit, mais pourquoi moi ?

— Il fallait bien que ce fût quelqu’un. Vous voyagez seul. Vous êtes jeune, et la gravité un peu plus forte ne vous causera vraisemblablement aucune gêne. (Automatiquement, il soupesa du regard son athlétique et jeune visiteur.) Je pense, d’ailleurs, que vous serez agréablement surpris par votre nouvelle cabine. Je vous assure que vous ne perdrez rien au change.

Le capitaine se leva et s’avança vers lui.

— Puis-je me permettre de vous la montrer personnellement ?

Biron était sur le point d’oublier son ressentiment. Tout cela semblait parfaitement normal, somme toute, mais, d’un autre côté…

Après lui avoir fait visiter sa suite – le mot « cabine » ne convenait vraiment pas –, le capitaine lui dit :

— Si vous voulez me faire le plaisir d’être mon hôte à dîner, demain soir ? Notre premier saut est prévu pour le courant de la soirée, d’ailleurs.

— Merci infiniment. Ce sera un honneur pour moi, s’entendit répondre Biron.

Pourtant, cette invitation avait quelque chose d’étrange. Certes, le capitaine essayait de l’apaiser, mais Biron avait l’impression qu’il allait vraiment trop loin.

* * *

La table du capitaine tenait toute la longueur du salon. Biron se trouva placé presque au centre, à une place d’honneur que rien ne justifiait. Mais il y avait trouvé une carte à son nom et le steward lui avait affirmé qu’il n’y avait pas eu d’erreur.

Ce n’était pas que Biron fût particulièrement modeste ; étant le fils du Rancher de Widemos, il n’avait pas pris l’habitude de s’effacer. Néanmoins ici, à bord, il était Biron Malaine, citoyen parfaitement ordinaire et ne méritait pas tant d’égards.

Pour commencer, le capitaine n’avait nullement exagéré à propos de sa nouvelle cabine. Son billet lui donnait droit à une cabine à un lit, seconde classe ; et il se retrouvait dans une cabine de luxe, première classe, prévue pour deux personnes – avec, bien entendu, une salle de bains privée équipée d’une douche séparée et d’un séchoir à air chaud.

Elle était proche du quartier des officiers ; dans les couloirs, il y avait des uniformes partout. On lui avait servi le déjeuner dans sa cabine, dans un service en argent. Peu avant le dîner, un coiffeur y avait fait apparition. C’était sans doute normal quand on voyageait en première classe sur un paquebot spatial de luxe, mais c’était vraiment trop beau pour Biron Malaine.

Vraiment trop beau, oui. Juste avant l’arrivée du coiffeur, en effet, Biron venait de faire un tour dans le vaisseau, explorant les couloirs au hasard, mais dans un but précis. Partout, il était tombé sur des membres de l’équipage – polis, mais tenaces. Il parvint quand même à les semer au moment où il arrivait dans les parages de son ancienne cabine, la 140 D.

Il s’arrêta pour allumer une cigarette, attendant que le seul passager en vue disparaisse au coin du couloir. Puis il sonna ; il n’y eut pas de réponse.

Peu importait : on avait oublié de lui réclamer son ancienne clef. Simple omission, sans doute. Il inséra la mince tige de métal dans la fente prévue à cet effet, et le complexe réseau de plomb opaque contenu dans la gaine d’aluminium activa la cellule sensible. La porte s’ouvrit.

Il n’alla pas plus loin que le pas de la porte : du premier coup d’œil, il avait vu tout ce qu’il voulait savoir. Son ancienne cabine n’était occupée ni par un personnage important au cœur fragile ni par qui que ce soit d’autre. Il n’y avait pas de bagages, pas d’articles de toilette, et l’on n’avait visiblement pas dormi dans le lit. L’atmosphère elle-même était celle d’un lieu inhabité.

Le luxe dont on l’entourait avait donc pour unique but de l’empêcher d’insister pour qu’on lui rende sa cabine primitive. On l’achetait, en quelque sorte, pour qu’il y renonce. Pourquoi ? Etait-ce la cabine qui les intéressait, ou lui-même ?

Et maintenant, à la table du capitaine, toutes ces questions sans réponse se bousculant dans son esprit, il se leva avec les autres lorsque le capitaine fit son entrée et, d’un pas solennel gagna sa place.

Pourquoi l’avait-on changé de cabine ?

* * *

Il y avait de la musique, et la cloison séparant la salle à manger du salon panoramique s’était escamotée. Les lumières, discrètes, étaient d’un rouge orangé. Le léger mal de l’espace dont certains passagers avaient pu souffrir après l’accélération du départ ou à cause des différences de gravité entre les diverses parties du vaisseau s’était dissipé, et le salon était comble.

Le capitaine se pencha légèrement vers Biron.

— Bonsoir, monsieur Malaine. Comment trouvez-vous votre nouvelle cabine ?

— Presque trop satisfaisante, capitaine. Un peu trop luxueuse pour mon style de vie.

Il avait parlé sur un ton neutre, avec une nuance de sécheresse, et il crut voir passer une ombre sur le visage du capitaine.

Après le dessert, les lumières s’éteignirent et la bulle panoramique fut débarrassée de son enveloppe protectrice. Sur le velours noir de l’espace, ni le soleil ni aucune planète du système solaire n’étaient en vue. Ils se trouvaient face à la Galaxie vue dans le sens de la longueur – ce que l’on a coutume d’appeler la Voie lactée –, longue diagonale lumineuse oblitérant les étoiles à la lumière dure et crue.

Les conversations s’étaient tues. La musique n’était plus qu’un léger murmure. Tous les convives s’étaient tournés vers les étoiles.

Une voix claire, douce et précise à la fois, se fit entendre dans les haut-parleurs :

— Mesdames, messieurs ! Dans quelques minutes, nous allons effectuer notre premier Saut. La plupart d’entre vous savent, théoriquement du moins, ce qu’est un saut. Mais nombreux sont ceux ici, qui n’en ont jamais vécu un – plus de la moitié des passagers, en fait. Aussi est-ce tout particulièrement à ces derniers que je m’adresse.

« Le « Saut » est très exactement ce que son nom implique. Dans la trame de l’espace-temps il est, nous le savons, impossible de voyager plus vite que la lumière. C’est une des lois de l’univers, découverte par un Ancien, sans doute cet Einstein, dont la tradition nous parle et auquel on attribue tant de découvertes. Et même à la vitesse de la lumière, il faudrait des années de notre temps pour atteindre les étoiles.

« Il faut, par conséquent, quitter cette trame spatio-temporelle pour pénétrer dans le domaine peu connu de l’hyperespace, où les notions de temps et de distance ont perdu toute signification. C’est comme si l’on s’engageait dans un isthme étroit pour passer d’un océan à un autre, au lieu de contourner tout un continent pour parvenir au même point.

« Pénétrer dans cet « espace dans l’espace », comme on le nomme parfois, exige bien entendu une dépense d’énergie considérable, sans compter des calculs d’une extrême complexité pour que la rentrée dans l’espace-temps normal se fasse au point désiré. Le résultat de cette dépense d’énergie et d’intelligence est qu’il devient possible de parcourir d’immenses distances d’une façon absolument instantanée. Sans le Saut, les voyages interstellaires seraient impossibles.

« Nous allons effectuer notre premier Saut dans environ dix minutes. Vous serez avertis du moment précis. Vous n’éprouverez qu’une légère gêne passagère, et nous vous demandons à tous de conserver votre calme. Merci de votre attention.

Face aux étoiles éblouissantes, l’attente parut longue aux passagers. Enfin, une voix sèche annonça :