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Pold enlevait le pardessus de son père, qui parut dans le pourpoint noir d’Hamlet.

– Oh! vous êtes beau! dit Lily.

Et elle pria tout de suite son père de leur raconter sa soirée.

– Il y avait des amis? Vous avez rencontré quelqu’un de nos «connaissances» là-bas?

– Oui. J’ai rencontré un grand ami de Pold.

– Ah! bah! fit Pold. Et qui ça, sans indiscrétion?

– M. Martinet.

– Tiens! Il était là-bas! Il ne se refuse plus rien depuis qu’il a une belle-sœur qui…

– Pold! interrompit Lawrence avec un froncement de sourcils.

– Ah! oui, j’allais commettre une gaffe, dit-il en regardant sa sœur. Ah! bien, les jeunes filles pourraient aller se coucher tout de même.

Lily se leva:

– C’est ce que je fais, Pold.

Lawrence ajouta:

– Et Pold va te suivre. Allez vous reposer, mes enfants. Quant à M. Martinet, je voudrais le savoir moins l’ami de Pold. Ce n’est pas une fréquentation, ça, Martinet. Où es-tu allé chercher Martinet? Quel amour t’a pris pour Martinet?

– Ah! vous savez que j’ai tapé des clous avec lui…

– Oui, je sais tout cela. Mais tu n’as pas envie de te faire tapissier: laisse donc cet homme désormais tranquille dans sa rue du Sentier et cesse tes visites. C’est entendu, n’est-ce pas?

– Ah! papa, c’est un si bon zig! Il est rigolo comme tout et pas méchant.

– Tu me promets de ne plus le revoir ou, tout au moins, de ne plus le rechercher?

Pold se gratta le sommet de la tête.

– Je vous le promets, fit-il.

Lily vint embrasser son père.

Les jeunes gens regagnèrent leurs chambres. Lawrence et Adrienne restèrent seuls. Lawrence rapporta quelques potins parisiens à sa femme, qui ne s’attarda pas.

Quelques minutes plus tard, Adrienne entrait dans la chambre de Lily.

La jeune fille reposait déjà. Ses paupières closes s’entr’ouvrirent au bruit que fit Adrienne.

– Que voulez-vous, mère? demanda-t-elle.

La mère ne répondit point. Elle s’assit proche le lit virginal, en la chambre tendue de satinette blanche qu’éclairait une fleur électrique, perdue parmi d’autres fleurs artificielles jetées en couronne autour d’une psyché.

Lily répéta:

– Que veux-tu, mère?

Et elle sembla se rendormir.

Adrienne considéra cette tête adorable roulée dans la vague blonde des cheveux. Elle la souleva amoureusement de l’oreiller de dentelles, et quand elle eut ainsi son enfant à elle, elle dit:

– Est-il vrai que tu dors, Lily?

Lily enveloppa le cou d’Adrienne de ses bras blancs.

– Je sais que je suis ta joie, mère, ton bonheur, ton grand bonheur…

Elle fit un effort et ajouta:

– Et aussi ta consolation. Adrienne regarda anxieusement Lily.

– Ma consolation? Oh! ma chérie, tu crois donc que j’ai besoin d’être consolée?

– Oui. Vous avez besoin que je sois là. C’est moi qui vous fais sourire quelquefois. Sans moi, vous seriez triste, triste, triste, et papa aussi serait triste, toujours.

– Dis-moi toute ta pensée, Lily…

– Ma mère, vous avez un chagrin immense que je ne sais pas, mais que je voudrais savoir.

– Pourquoi?

– Pour vous en guérir. Pardonnez-moi de vous dire cela, mère, mais vous êtes malheureuse. Oh! malheureuse!

– Une mère n’est point malheureuse, Lily, quand elle a une fille comme toi.

– Et un mari comme papa, je le sais. Et, cependant, vous êtes malheureuse.

– Qui t’a dit cela, Lily?

– Personne. Je l’ai vu.

– Qu’as-tu vu, mon enfant? C’est la première fois que tu me tiens un pareil langage.

– J’ai vu que vous pleuriez souvent, et que mon père essayait vainement de vous consoler.

– Je ne pleure jamais, ma fille.

– Oh! si, vous pleurez. Vous pleurez dans votre oratoire! Vous ne pouvez vous mettre à genoux sans pleurer! Je vous ai surprise sans le vouloir, mère. Pardonnez-moi. Et puis votre regard semble toujours tourné vers quelque chose que vous n’oubliez jamais… Quoi? Je voudrais savoir quoi. Je voudrais pouvoir éloigner de vous cette chose qui vous hante.

Adrienne prit la tête de son enfant, déposa des baisers sur ses paupières, la mère et la fille ne dirent plus rien. Elles restèrent longtemps ainsi. Lily s’endormit doucement, Adrienne contempla son sommeil, des larmes lourdes et silencieuses tombèrent sur la tête de l’enfant.

Pold, qui s’était couché de bonne heure et qui s’était relevé quand sa mère et sa sœur étaient rentrées à l’hôtel, vers trois heures du matin, Pold, remonté dans sa chambre, ne dormait pas. Il arpentait la pièce à grands pas et regardait de temps en temps le cadran de la pendule, dont les aiguilles marquaient quatre heures et demie.

– Je n’ai pas osé le demander à p’pa, disait-il tout haut. Quel prétexte pour le lui demander? Mais je suis sûr qu’elle y était. Parbleu! Martinet me l’a dit, qu’elle s’y trouverait. Il le sait, lui, Martinet. Il sait tout, ce sacré Martinet. Et puis, est-ce qu’il y a vraiment une fête parisienne sans Diane?…

Il marcha quelque temps encore par la chambre, puis il s’arrêta en face d’un bureau, s’assit dans un fauteuil, ouvrit, avec une clef, un tiroir et en sortit un paquet de photographies.

Pold, de son nom de baptême Léopold, était un brave garçon, d’une santé prospère, très «calé» dans tous les sports, d’une vigueur et d’une adresse peu ordinaires, très ignorant de tout ce qui ne touchait point au cyclisme, à l’équitation, au canotage, à la chasse, au cricket, au football et autres exercices. En revanche, il avait découragé tous ses professeurs et bâclé ses classes. Il donnait pour excuse à son ignorance et à sa paresse pour l’étude les déplacements continuels, les voyages sans nombre de la famille, qui n’était installée à Paris que depuis trois ans. Il affectait des «airs d’homme» et prétendait que la vie n’avait plus rien à lui apprendre.

C’était surtout un impulsif. Les désirs qui lui naissaient devaient être contentés sur-le-champ. Il ne s’adressait point, pour atteindre son but, quel qu’il fût, à un parent ou à un ami. Il ne comptait que sur lui et agissait sans prendre conseil de personne. Il ne discutait pas avec ses fantaisies, qui lui paraissaient toujours naturelles.

Ce qu’il n’avouait point, c’était qu’il fût un sentimental. Sous ses dehors d’homme fort et que rien n’étonnait dans la vie, sous ses extravagances et ses vantardises, il essayait vainement de cacher une sentimentalité excessive.

Ainsi, à cette heure où nous le trouvons dans sa chambre, toute sa pensée est occupée par Diane. Pold n’a pas un «béguin» platonique pour Diane. Il l’aime de loin, mais il l’aime. Il est prêt à tout pour le lui prouver. Pourquoi Diane? Parce qu’il fallait qu’il aimât quelqu’un, parce que son cœur avait besoin d’occupation.

Et il avait cherché. Un jour, il avait vu Diane, aux Folies, sur la scène. En sortant de l’établissement, il se disait: «C’est bien simple, j’adore cette femme.» Au fond, il n’adorait rien du tout. Mais à force de se le répéter, il le crut; à force de se trouver sur le passage de Diane, il en devint réellement très amoureux; à force de regarder, à la vitrine des papetiers de la rue de Rivoli, les photographies de Diane, de les acheter et de se perdre dans une nouvelle contemplation à domicile, il en devint fou.