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Il la contempla prenant son bain, sortant de son tub, se mettant au lit. Il la vit en toilette de soirée, en toilette de ville, en peignoir et sans peignoir. Il la considéra dans ses poses les plus plastiques.

Finalement, il se leva après avoir déposé un baiser chaleureux sur l’un des portraits et s’en fut vers la pendule.

– Zut! dit-il, je ne vais pas me recoucher. Je n’ai plus qu’une heure et demie à attendre pour aller au rendez-vous des copains. Mais je n’attendrai pas. Je sors tout de suite. En route!

Il alla à la fenêtre, souleva le rideau et déclara que «c’était dégoûtant, que le jour ne se lèverait jamais».

– Et puis, de la nuit, je m’en fiche! affirma-t-il.

Il passa un costume de cycliste, mais ne se chaussa point. Il marcha «sur ses chaussettes», les souliers dans les mains. Il ouvrit la porte de sa chambre avec précaution, arriva sur un palier, descendit des marches, tout cela dans la plus grande obscurité. Pold ne devait pas en être à sa première expédition nocturne.

Il arriva dans le vestibule, tâta le mur de la main, prit des clefs à un clou. Il ouvrit la porte du perron qui donnait sur le parc. Là, sur les marches du perron, il se chaussa. Puis il fut dans le parc; il arriva à la grille. Avec son trousseau de clefs, il ouvrit cette grille. Quand elle fut ouverte, il s’en alla vers une maisonnette, qui était celle du concierge. Il frappa à la fenêtre. Il refrappa. La fenêtre s’ouvrit.

Une voix enrouée dit:

– C’est encore vous, monsieur Pold. Vous n’êtes vraiment pas raisonnable. Votre papa finira par tout savoir, et il me mettra à la porte…

– P’pa ne saura rien, si vous ne lui dites rien, père Jules.

– Qu’est-ce que vous voulez encore?

– Parbleu! ma bicyclette!

Par la porte de la maison, le père Jules passa la bicyclette.

– Prenez vite. Il fait un froid de loup. Je vais attraper des rhumatismes…

– Et voilà les clefs. Vous les remettrez dans le vestibule. Bonne nuit, père Jules. Mes amitiés à votre chaste épouse.

Le clair de lune illuminait ces quartiers déserts. Pold se mit à pédaler avec ardeur. Pas un passant, pas une voiture. Il s’amusait. Il s’offrait une course de vitesse. Il n’était point pressé, cependant. Il avait rendez-vous à six heures avec des camarades à l’autre bout de Paris, place d’Italie.

Il avait dépassé la place Victor-Hugo et approchait de la rue de Villejust, quand il aperçut, au loin, du côté de la place de l’Étoile, une lumière qui approchait. Il entendit le trot des chevaux. Il ralentit son allure. La voiture passa.

Pold ne put retenir une exclamation:

– Tiens! le cocher de Diane!

Et il continua sa route plus lentement.

– Elle vient des Variétés-Parisiennes, se dit-il. C’est Diane qui rentre chez elle…

Et, tout d’un coup, d’un mouvement presque instinctif, il fit demi-tour, suivit la voiture à quelques mètres.

Il considérait le coupé:

– Elle est là-dedans! Elle est peut-être seule là-dedans!

Des idées saugrenues lui montaient au cerveau. Il songeait à des déclarations possibles, à des surprises. Si cette femme était bien seule dans cette voiture, est-ce que l’occasion de lui parler ne s’offrait pas d’elle-même? Laisserait-il échapper cette occasion?

Il était plein d’audace et de timidité. Il ne savait à quoi se résoudre. Cependant, il continuait à pédaler quand même.

La voiture remontait l’avenue Victor Hugo. Elle la remonta jusqu’aux fortifications.

Soudain, au moment où le coupé approchait de la Muette, Pold, sur sa bicyclette, le dépassa en pédalant de toutes ses forces. Il prit ainsi une grande avance, déboucha sur le boulevard Suchet et redescendit, entra de la même allure dans l’avenue Raphaël.

Le jeune homme n’hésitait plus. Il avait un but. Il s’était décidé à quelque chose.

Vers la bifurcation de cette avenue Raphaël et de l’avenue Prudhon, il s’arrêta. Il descendit de machine et longea, sur la gauche, un mur. Le mur était haut, et la crête en était garnie de tessons de bouteille. Il fit le tour par l’avenue Prudhon.

Là, le mur devenait grille: de hautes barres de fer terminées en pointe de lance et qui semblaient impossibles à franchir.

Pold regarda à travers cette grille. La lune éclairait un vaste jardin où apparaissaient, ombres compactes, quelques bouquets d’arbres. Derrière ces arbres, on distinguait les murs blancs d’une villa.

Pold marchait toujours, tenant à la main sa bicyclette. Il dépassa les murs blancs de la villa, derrière laquelle se trouvait un autre jardin. Là, plus de grille, mais un nouveau mur. Celui-ci était beaucoup moins haut que le mur qui s’étendait sur l’avenue Raphaël. Au sommet, on distinguait encore des tessons de bouteille.

Pold passa devant une petite porte et s’arrêta. Il tâta le mur.

– Ce doit être ici, dit-il.

Sa main se promenait sur le mur. Pold ne put retenir une exclamation:

– Ah! je l’ai!

Et sa main tira du mur une brique.

Rien ne faisait prévoir que Pold connût le jardin et la villa, mais il était évident qu’il connaissait le mur.

Le jeune homme n’avait peut-être pas encore pénétré dans la propriété, mais certainement il avait dû envisager la possibilité de sauter par-dessus le mur, et il avait étudié ce mur. Il posa la brique par terre, mit sa bicyclette au coin de la petite porte, plaça un pied dans l’excavation qu’il avait faite en retirant la brique, l’enleva, posa l’autre pied sur la selle de sa bicyclette. Sa tête dépassa ainsi la crête du mur.

Au-dessus de la porte, il y avait une large corniche. Les coudes du jeune homme s’appuyaient sur cette corniche. Il se souleva sur les coudes, se maintint sur un seul et sa main alla chercher la crête. Il tâtonna, puis secoua un tesson, qui céda. Il avait deux points d’appui suffisants: la corniche et la crête. Il était debout sur le mur quelques secondes plus tard. Sa silhouette se dressa dans la nuit claire, puis Pold plia sur les jarrets et sauta.

Il s’étala assez brutalement. Il fut presque aussitôt relevé, mais ne put retenir un cri de douleur. Il se pencha et constata qu’un tesson de bouteille lui avait déchiré un mollet, qu’il saignait abondamment et que son bas et sa culotte étaient en lambeaux.

Il banda le mollet blessé avec son mouchoir, puis il s’orienta.

Il avait devant lui deux arbres, deux marronniers superbes, dont les hautes branches atteignaient à la hauteur des fenêtres du deuxième étage de la villa. Les arbres étaient à quelques mètres de la maison.

Pold se dirigea vers les arbres, s’approcha de la villa et regarda deux fenêtres restées ouvertes au premier étage.

– C’est ici sa chambre et son cabinet de toilette, se dit-il.

Il était, en effet, suffisamment renseigné par un reporter qui, huit jours auparavant, dans une interview, avait décrit le home de Diane, interview qui avait fait le tour de la presse demi-mondaine.