Il ne raisonnait plus. Ce n’était plus un enfant. Ce n’était pas un homme. C’était un animal poussé par son instinct et auquel l’instinct fixait un but.
Il grimpa. Il s’arracha les mains, il se brisa les poignets entre le treillage et le mur. Il s’accrocha comme il put, il accomplit des prodiges d’équilibre: il faillit retomber dix fois au pied du mur, il eut la chance de rencontrer des clous où ses pieds se posèrent désespérément.
Il cassa une branche de la vigne et se rattrapa à une autre. Au moment, enfin, où il croyait que ses efforts n’allaient point aboutir, à la seconde précise et définitive où il allait renoncer à l’escalade et se laisser retomber au pied du mur, où sa chute pouvait être dangereuse, il saisit, d’un effort suprême, l’appui-main de la fenêtre. Il était sauvé.
Il resta sur la fenêtre, debout, face à l’intérieur de la chambre et, simplement, croisa les bras.
La chambre était éblouissante de clarté dorée. Tout y semblait en or: la lumière, les murs, les meubles, les divans, les coussins, les tapis et le lit. Un lit très bas et très large, qui paraissait une bête immense accroupie, allongée, étendant ses pattes aux griffes d’or comme des membres las.
Les lèvres de l’impassible Pold laissèrent échapper ces mots:
– Mâtin! c’est rien chouette ici!
Puis il se tut; il attendit. Derrière lui, le jour commençait à poindre.
Dans le cabinet de toilette, Diane venait de passer un peignoir tout en fanfreluches, et en dentelles.
Elle était dans un état de nervosité bien facile à comprendre après les événements d’une telle nuit.
Son amour lui était venu dans des conditions, dans un cadre accompagné d’incidents si exceptionnels qu’il lui en restait une sorte de terreur.
Le mystère dont s’entourait le prince et la toute-puissance dont il semblait disposer, sa richesse prodigieuse le mettaient, à ses yeux, en dehors de tout ce qu’elle avait appris des hommes jusqu’à ce jour.
Or, il y avait des minutes où elle se réjouissait que rien de définitif ne se fût passé entre elle et cet homme, car elle sentait bien qu’elle lui livrerait son âme, qu’elle la lui vendrait, elle qui n’avait jamais vendu que son corps… et il y avait des minutes, au contraire, où une grande exaspération lui venait de ce que cet homme ne l’eût point prise déjà…
Ce sentiment finit par la dominer, par l’envahir tout entière.
– Je veux être à lui! se criait-elle. Je veux être sa chose! Et elle considérait avec horreur la possibilité qu’il fût à une autre…
Quand elle poussa la porte de son cabinet de toilette pour entrer dans sa chambre, ses nerfs étaient tendus, exaspérés, surexcités effroyablement…
Pold la vit venir. Il resta sur sa fenêtre, toujours debout, toujours les bras croisés. Il ne fit pas un mouvement, n’eut pas une parole.
Diane alla à un guéridon, laissa tomber quelques bagues dans une coupe de saxe, quelques bracelets.
Elle dit tout haut:
– Il faut que je ferme les fenêtres.
Pold sentit bien que le moment était solennel et que cette minute allait décider de quelque chose de très grave. Il fut très étonné de n’en point ressentir le trouble intense qu’il redoutait. Un calme suprême lui était venu de la gravité de la situation.
Diane s’avança vers la fenêtre où était Pold.
Elle fut près de la fenêtre; elle leva la tête.
Elle ouvrit la bouche, prête à pousser un hurlement de terreur. Mais sa bouche ne laissa échapper aucun son.
Diane n’avait plus la force de crier.
Elle recula jusqu’à la muraille; puis, acculée contre la cloison, le masque tragique, elle considéra Pold, qui descendait.
Il était fait comme un voleur. Ses vêtements couverts de terre étaient déchirés, pendaient en loques. Sa figure et ses mains étaient ensanglantées.
– Diane, dit-il, Diane – permettez-moi, madame, de vous donner ce nom si doux, que je répète depuis des jours et des nuits -, Diane, ne vous épouvantez point ainsi et remettez-vous.
Diane ne se remettait pas du tout.
– Laissez cette mine effrayée…
Soudain la jeune femme bondit jusqu’à un bouton de sonnette et allongea fébrilement le bras.
Pold lui avait déjà pris ce bras.
– Et, surtout, Diane, laissez la sonnette tranquille. Diane, je ne vous veux point de mal. Diane, je vous aime.
Diane put parler enfin. Elle dit, toute tremblante:
– Ah! vous m’aimez?
– Plus que tout au monde, madame.
– Eh bien, puisque vous m’aimez, allez-vous-en!
– M’en aller? s’écria Pold.
La jeune femme eut la crainte d’avoir froissé ce sinistre visiteur, à la disposition duquel elle se trouvait tout entière. Elle reprit d’une voix plus douce:
– Enfin, monsieur, que voulez-vous de moi?… Surtout, surtout, ne me faites pas de mal…
– Moi, vous faire du mal? Y songez-vous? J’ai déjà eu l’honneur de vous dire que je vous aime, madame.
Diane commençait à se remettre.
– Étrange amoureux…
– … que celui qui entre par la fenêtre à cinq heures du matin. Il fut un temps, madame, où ils en descendaient toujours à cette heure-là…
– Ce temps est passé.
– Parce que le temps des vrais amoureux n’est plus, Diane. Or, moi, je suis un amant de ces temps anciens et j’ai conservé les procédés de l’époque…
Pold s’avança vers Diane. Il étendit le bras.
– Ne m’approchez pas! Ne m’approchez pas!
– Je vous fais donc horreur?
– Oh! oui. Regardez-vous dans cette glace.
– Non, madame, car si je me regardais dans cette glace, vous appuieriez sur ce bouton.
– Je vous donne ma parole que je ne bougerai pas.
– Je vous crois, fit chevaleresquement Pold.
Et il se regarda dans la glace. Il n’avait pas plus tôt tourné le dos que Diane s’était livrée à une nouvelle tentative du côté de la sonnette.
Pold l’avait vue et était arrivé encore à temps pour l’empêcher de prévenir ses gens.
– Croyez donc à la parole des femmes! dit-il. Oh! Diane, Diane, vous m’enlevez toutes mes illusions.
Dans le mouvement rapide qu’elle avait fait, Diane avait laissé s’entr’ouvrir son peignoir. Une manche du peignoir glissa, et Pold vit une épaule nue. Il fit:
– Oh!
Diane eut peur du regard qu’il lui lança. Elle voulut rattraper son peignoir, s’en couvrir complètement, mais, dans un geste malheureux, elle découvrit l’autre épaule.
– Mon Dieu! mon Dieu! disait Pold, qui la dévorait des yeux et dont l’admiration, naturellement, avait doublé.
Et il ne fut point brutal.
Brutal, il l’avait été jusqu’alors. Il avait subi cette nécessité. Il avait joué au matamore. Il fallait faire peur à cette femme avant de s’en faire aimer. Lui faire peur avait été facile; s’en faire aimer était une tâche beaucoup plus ardue. Pold n’hésita pas à l’entreprendre. Il n’était pas dans son rôle, tout à l’heure, quand il se conduisait cyniquement en bandit de grand chemin. Maintenant qu’il s’agissait d’amour, il allait être sincère.