– Heureusement, il me pardonne! se disait-elle. Il est aussi magnanime qu’il est beau. Il ne connaît point les rancunes des autres hommes…
Et il grandit encore dans son esprit et dans son cœur.
Quant à Pold, elle le chassa de son souvenir comme elle devait le faire chasser de son seuil. Si le prince n’avait rien su, elle lui eût peut-être pardonné, elle lui eût peut-être montré, un jour, de la pitié… Maintenant, Pold n’existait plus pour Diane, et, comme elle reçut une lettre dernière dans laquelle il lui annonçait des résolutions extrêmes, des actes de folie, où il lui servait le «coup du suicide» elle lui jeta à la poste ce mot: «Zut!»
Pold, dans le fumoir, mâchonnait son cigare, songeant toujours à ce «Zut!» qui tuait sa dernière espérance. À l’autre coin de la pièce, son père, et Raoul de Courveille tenaient conversation. Pold écouta. Raoul de Courveille disait:
– Nous y allons. C’est le 15. Je suis chargé par Diane de vous rappeler qu’elle vous a invité et qu’elle compte absolument sur vous. Vous n’avez pas vu le prince. Ce sera une occasion de faire connaissance avec lui. Vous savez que les «tableaux vivants» de Diane sont très courus. Cette fois, on s’arrache les invitations, non à cause des tableaux, mais à cause du prince. Il faut venir.
Lawrence hésita encore.
– Êtes-vous sûr que le prince y sera? demanda-t-il.
– Absolument sûr. C’est là qu’il doit faire sa seconde apparition. Ne lâchez pas une occasion pareille.
La curiosité l’emporta.
– C’est bien, décida Lawrence, j’irai…
Pold avait jeté son cigare:
– Le 15! Papa y va! Eh bien, moi aussi, j’irai! Seulement, si papa y va pour le prince, moi, j’irai pour Diane!…
Il se gratta l’oreille:
– Y aller! Mais comment? On va certainement me fiche à la porte… Bah! je trouverai bien!… Demain, j’irai demander conseil à Martinet.
IX OÙ LE LECTEUR COMPRENDRA QU’IL SE PRÉPARE QUELQUE CHOSE DE TRÈS GRAVE POUR LE CHAPITRE SUIVANT
Avril était d’une douceur admirable. Les jardins de Diane étaient tout en fleurs. Elle résolut que la fête serait donnée, en partie, dans les jardins. On dînerait sous les arbres, on danserait sur les pelouses et l’on n’entrerait dans le grand hall de l’hôtel qu’à l’heure des «tableaux vivants», spectacle qui devait mettre un terme à toutes les réjouissances.
Tout le «high life» voulut être de la fête.
Martinet fut particulièrement chargé de la scène, du grand hall, des décors et des changements de décors.
Ce jour-là, on devait admirer Diane et plusieurs de ses compagnes de fête, dans des costumes aussi légers que suggestifs.
C’étaient ses derniers «tableaux vivants» de la saison. Elle offrait quatre spectacles par an. Le monde de la grande fête avait particulièrement goûté cette nouvelle mode, qui lui permettait d’apprécier et de comparer les formes plus ou moins impeccables des plus fameuses pécheresses.
Il y avait déjà du monde dans les jardins. Une heure plus tard, un coupé de style très simple vint se joindre à la file des voitures. Le prince Agra en descendit. Il fut tout de suite mêlé au groupe de Diane. Celle-ci demandait au prince des histoires sur l’Inde et les Indiens.
Le prince lui disait qu’il avait quitté l’Hindoustan très jeune, à douze ans. Mais il se souvenait de ce merveilleux pays comme s’il l’eût habité la veille.
– Vous descendez d’une race très ancienne? demanda Diane.
– Oh! très ancienne, madame. Par les radjapoudras, ces seigneurs qui ne subirent jamais aucun joug étranger, je descends du radjah de Sédussia, dont la capitale était Usépour. Or, vous savez de quel prince descend le radjah de Sédussia?
– Je vous avouerai, fit Diane, que je l’ignore totalement.
– Le radjah de Sédussia descend de Porus, qui eut maille à partir avec Alexandre de Macédoine.
– Une chose me stupéfie, prince: c’est que vous ayez si peu, vous qui descendez d’une race si ancienne de l’Inde, l’air indien, et que votre physionomie ne rappelle en rien votre origine.
– Madame, je ressemble à ma mère. Je suis le portrait vivant de ma mère. Or ma mère était une Grecque de Thessalie dont le radjah, mon père, fit sa femme.
Pendant que l’on dînait et que se tenaient ces propos, des ouvriers, dans le grand hall, sous la direction de Martinet, procédaient aux dernières installations pour le spectacle.
Martinet était sur la scène et disait à l’un de ses ouvriers, qu’habillaient une blouse et un pantalon blancs et que coiffait une casquette noire:
– Eh bien, vous amusez-vous un p’tit peu?
– Beaucoup, Martinet, beaucoup!
– Croyez-vous que votre père vous reconnaîtra?
– J’espère bien que non. Du reste, il est venu ici tout à l’heure, avec M. de Courveille, pendant que vous étiez occupé à disposer la tenture de la grande porte du fond. Il a fait le tour du hall, et je n’étais pas plus fier que cela. Je me disais: «Tiens-toi bien, mon vieux Pold, et qu’on ne te reconnaisse pas, ou il y aura du grabuge!» Et, à l’idée qu’il pouvait me reconnaître dans ce travestissement, je ne me trouvais pas précisément à mon aise. Qu’est-ce qui va arriver! m’écriai-je intérieurement. Heureusement, il n’est rien arrivé du tout, parce qu’il ne m’a pas reconnu.
– Il n’a eu aucun doute? demanda Martinet.
– Aucun. Et, cependant, il examinait de près ce que faisaient les ouvriers, et il se tint trois minutes derrière moi. J’étais dans un état! Je cachais mon émotion en essayant le rideau, en le levant et en le baissant bien des fois. Je vous assure qu’il marche bien le rideau, et que vous pouvez en toute sécurité me préposer à son maniement.
– Allons, tant mieux! C’est tout de même «farce» ce que nous faisons là, et vous avez un fichu toupet! C’est ce qui me plaît en vous et ce qui fait que je m’intéresse à vos entreprises. Mais tout ceci ne m’explique pas pourquoi vous avez voulu venir.
– Je tenais à voir le prince Agra, dont on parle en ce moment. Voilà tout!
– Quel drôle de petit bonhomme! Et vous ne l’avez pas vu, le prince Agra?
– Non. Mais je pourrai le contempler à mon aise, ce soir, pendant que je tirerai le rideau, quand il sera dans la salle.
– Si ça peut faire votre bonheur! Moi, j’en ai tant vu, de princes, que celui-là, pas plus que les autres, ne me dit plus rien. Croyez-moi si vous le voulez, mais, à Versailles, j’ai serré la main du tsar… Alors, vous comprenez, rien ne m’épate plus!
– Laissons le tsar tranquille, fit Pold, et parlons de choses sérieuses. La rue de Moscou? Mon appartement de la rue de Moscou?
– Elle va bien, la rue de Moscou.
– Quand tout sera-t-il prêt? Hâtez-vous, Martinet, je voudrais être dans mes meubles, déjà!
– Écoutez. Je vais vous dire une chose qui vous fera plaisir.
– Il n’y en a qu’une qui puisse me faire plaisir, c’est celle-ci: Dites-moi: «Pold, demain vous serez chez vous!»