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Adrienne, la voix rauque, déclara:

– Jamais je n’oublierai que je l’ai tué!… Comment veux-tu que j’oublie cela?…

Et elle ajouta avec des pleurs:

– Car je l’ai tué! Oui, il est mort de ma main! C’est moi, c’est moi qui ai tiré! Lui qui m’aimait tant! tant! Lui qui nous avais sauvées, ma mère et moi. Car je n’étais qu’une misérable petite fille et il m’avait élevée jusqu’à lui! Il me donnait tout ce qu’il avait, il faisait de moi sa femme! Il m’adorait! Comme il m’adorait!

Elle continuait à se plaindre ainsi, c’était un cri monotone d’éternelle désolation.

Lawrence se taisait. Il savait qu’il devait se taire et qu’elle ne cesserait sa plainte que lorsqu’elle n’aurait plus la force de la continuer.

Elle disait encore:

– Il a su de quelle main il mourait! Il a su que je l’avais frappé! Tu le sais bien… Avant de mourir, il me fixa de ses yeux agrandis où je lisais toute l’horreur de mon crime… Quelle douleur dans ces yeux-là!… J’y lus un désespoir infini… Mon image était ces yeux mourants… Et toi, toi! tu l’as pris, tu l’as jeté dans le fleuve… Qu’avons-nous fait? Quel crime est le nôtre, Charley!

Elle se tordit les bras:

– Quel crime est le nôtre!… Pourquoi avons-nous fait cela?… Pourquoi? Pourquoi?

Lawrence releva Adrienne, et dit tout bas:

– Mary! Mary! parce qu’il te fallait choisir entre sa mort ou la mienne! Tu m’as sauvé, Mary! Sans toi, je succombais sous ses coups! Ah!… voilà que tu as le remords de m’avoir sauvé!…

– Charley!… Tu te rappelles notre farouche amour!… Nous l’avons payé si cher, si cher! Moi, surtout, je l’ai acheté d’un prix si formidable que j’y tiens, à mon amour!

Elle ajouta d’un accent sauvage qui fit frissonner Lawrence:

– Oui, Charley, nous sommes liés par mon crime. Ne l’oublie jamais!

Elle n’avait plus sa voix plaintive de tout à l’heure. Sa parole avait un accent de menace qui jeta Lawrence dans le plus grand trouble, car il ne lui connaissait pas encore cet accent-là.

Il écarta de lui, très doucement, Adrienne.

– Douterais-tu de moi? demanda-t-il.

Elle cria:

– Non! Charley, je ne veux pas douter! Ce serait trop affreux! vois-tu. C’est vrai. Oui, je rêve, je m’imagine des choses impossibles… Je vais te dire ce que j’avais pensé, car c’est très grave… J’avais cru…

Mais elle s’arrêta, et reprit, essuyant quelques larmes:

– J’avais cru, lorsque je te voyais seul, si absorbé et si loin de moi, j’avais cru que tu pensais à une autre femme.

Lawrence devint blême. Il dit, troublé, et sur un ton qu’il essayait vainement de rendre ferme:

– Je te jure, Adrienne…

– Ne jure pas, fit-elle en essayant de sourire et en lui mettant la main sur la bouche. J’étais folle, et j’ai foi en toi…

Et, tout à fait calmée, elle ajouta:

– Nous nous aimons… Nous sommes heureux… Tu ne sais pas que notre bonheur, par moments, m’inspire de la crainte… Je me dis: Est-il possible que rien ne vienne le troubler?…

– Qui redoutons-nous?

Elle dit, redevenue très grave:

– Je ne sais. Mais il est des heures où ce bonheur continu m’effraie… Nous nous aimons, nous avons de grands enfants qui nous chérissent, nous sommes riches…

Elle se tut. Puis:

– Et si nous sommes riches, c’est encore à lui que nous le devons… à l’invention qu’il te donna avant de mourir… Charley! combien de fois je t’ai dit que nous n’aurions jamais dû toucher à ce pli qui recelait le secret de l’invention, à ce pli qui nous fut livré par sa mort!… Je te l’avais défendu! Tu as agi en dehors de moi, malgré moi! Nous conduire de la sorte, c’était encore un crime, Charley!

Lawrence fit solennellement:

– Oui, Mary, ce fut un crime! Le mien, celui-là!… Tu l’as tué, je l’ai volé!…

Ils se turent encore. L’orage était tout à fait apaisé. Un grand silence planait sur le bois de Misère. La lune montait dans un ciel d’un azur sombre mais pur, sans un nuage, cloué d’étoiles.

Et soudain Adrienne se dressa dans un rayon de lune et dit, avec épouvante:

– Mon Dieu! mon Dieu!… s’il n’était pas mort!

Lawrence lui prit le bras:

– Tais-toi! Jonathan Smith est mort! Charley est mort! Mary est morte!… Et qu’ils ne ressuscitent plus jamais!…

On frappa alors à la porte. Joe la poussa et dit:

– Le souper est prêt. Si monsieur et madame veulent descendre… Les jeunes gens les attendent en bas.

Adrienne et Lawrence suivirent Joe.

Quand ils furent dans la salle du bas, se disposant à s’asseoir à table, où Lily et Pold avaient pris place, Joe dit à Lawrence:

– Cela vous déplairait-il, monsieur, d’admettre à cette table un voyageur qui, comme vous, fut surpris par l’orage et n’a point soupé?

– Nullement, fit Lawrence.

– Va donc chercher ton hôte, s’exclama Pold, et vite, car j’ai une faim d’enfer, tavernier du diable!

Il n’avait pas plus tôt prononcé ces paroles que la porte donnant sur l’escalier s’ouvrit, et l’Homme de la nuit entra.

III UN AIMABLE CONVIVE

Lawrence regarda venir à lui, avec une stupéfaction non dissimulée, cet homme dont l’apparition soudaine chez Diane avait tant intrigué tous les invités.

– Dieu! ce qu’il est laid! fit Pold tout bas à Lily.

Lily dit:

– Moi, il me fait peur!

Adrienne constatait avec étonnement que son mari paraissait déjà connaître l’étrange individu qui le saluait en ce moment.

– Sir Arnoldson, je crois? demanda Lawrence.

– Lui-même, monsieur, lui-même, qui vous remercie de vouloir bien l’accueillir à votre table et qui vous serait reconnaissant de le présenter à votre charmante famille.

Et Arnoldson s’inclina de nouveau.

Se tournant vers Adrienne, Lawrence dit:

– J’ai eu l’occasion de rencontrer monsieur, dans la société, de Paris. Comme il nous a été présenté, à mes amis et à moi d’une façon un peu… collective, j’ai retenu son nom, mais je doute qu’il m’ait remarqué.

Pendant qu’il parlait, l’Homme de la nuit ne regarda pas Adrienne. Il dit:

– Pardon, monsieur Lawrence, pardon. Je vous ai remarqué et avant cette présentation, je connaissais déjà votre nom.

– Et comment cela, monsieur?

– Je ne pouvais vraisemblablement pas ignorer le nom de mon voisin de campagne.

– Votre voisin de campagne?

– Eh! oui, cher monsieur. Eh! oui, je suis votre voisin de campagne, et nous étions destinés tôt ou tard à nous connaître. C’est moi qui me suis rendu acquéreur de cette propriété qui touche à la villa des Volubilis et que je vais habiter pas plus tard que demain… Aussi, quand Joe, l’aubergiste, et qui sera mon jardinier, m’a dit tout à l’heure que mes voisins lui demandaient l’hospitalité, vous comprenez avec quelle joie j’ai saisi une pareille occasion de venir vous saluer.