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Mme Martinet poussa un gros soupir et remit d’aplomb son chignon et son chapeau canotier, que Pold avait un peu dérangés en l’embrassant.

– Où allez-vous ainsi, Marguerite?

– Mais je me rends chez M. Arnoldson. Il désire changer les meubles et les tentures d’un cabinet de travail. J’y dois même rester plusieurs jours avec les ouvriers.

Elle regarda Pold du coin de l’œiclass="underline"

– Cela ne vous déplaît point que je reste ici plusieurs jours?

– Que non pas, Marguerite! Voilà une étrange question.

– C’est que vous êtes si drôle avec moi! À Paris, je comptais vous voir tous les jours depuis… depuis… depuis la garçonnière. Et je ne vous voyais que tous les deux jours. Enfin, vous êtes parti pour la campagne, et je n’ai pas eu de vos nouvelles. Je suis une petite femme bien malheureuse!

Marguerite fit la moue.

– Voyons, Marguerite, voyons! Comme vous êtes romanesque! On peut bien s’aimer sans faire de folies! Et puis il faut être prudente… dans votre situation.

– S’il est permis qu’un jeune homme de votre âge parle avec tant de circonspection! C’est vrai qu’une femme dans ma situation a des devoirs! Mais, petit monstre que vous êtes, Et c’est bien cela que je vous reproche! C’est vous qui me les avez fait oublier, mes devoirs! Et c’est bien cela que je vous reproche! M’avoir fait commettre une telle faute… dont…

Mme Martinet, arrivée à cette partie de sa période, semblait fort embarrassée.

– … dont… fit Pold.

– … dont je profite si peu, finit par lâcher Mme Martinet, en devenant écarlate.

Pold ne put s’empêcher de rire.

– Voyez-vous cela? disait-il, voyez-vous cela?

Pold se montra plus aimable. Ils s’en allèrent tous deux très proches l’un de l’autre par le sentier qui tournait brusquement. Ils disparurent. Des exclamations de colère retentirent.

– Sa photographie!… Tu la portes sur ton cœur! Ah! monstre!… Tiens, la voilà, sa photographie!…

Et, soudain, au milieu du sentier, réapparut Mme Martinet, qui, dans un état de rage inexprimable, arrachait une photographie dont elle jetait les morceaux au nez de Pold, qui courait derrière elle.

Elle se mit à courir plus fort, criant toujours:

– Le monstre!… Assez! Laissez-moi! Je ne veux plus vous voir!…

Et elle courait… elle courait…

Pold considérait encore d’un air lugubre les débris de la photographie, quand, par un chemin latéral, Lily vint à lui, et dit à son frère:

– Mon pauvre Pold, toi aussi tu me parais dans la désolation. Veux-tu te confier à moi?

– Mon chagrin ne regarde pas les petites sœurs, fit Pold, plutôt désagréable.

La jeune fille le laissa aller et continua son chemin.

Elle descendit le long du ruisseau, vers un endroit qu’elle connaissait bien. Il y avait toujours eu là de grosses pierres, grâce auxquelles on pouvait atteindre sans accident l’autre rive, ce qui permettait de remonter le coteau opposé. Elle fut étonnée. Les trois pierres énormes n’étaient plus là. L’orage les avait roulées plus loin. La traversée du ruisseau devenait impossible.

Lily était embarrassée, quand une apparition sur l’autre rive la surprit.

Un jeune homme était là. Elle leva vers lui son regard si pur. Lily n’avait jamais rien vu de plus beau que ce promeneur.

Elle contemplait inconsciemment ce visage aux traits si doux et si tristes, ces yeux clairs qui s’attachaient sur elle…

Il était vêtu de blanc. Il la salua, lui sourit et dit:

– Vous ne pouvez, mademoiselle, traverser ce ruisseau, les pierres de l’an dernier ne sont plus là.

Il alla aux pierres, souleva la plus lourde et l’apporta à la place qu’elle occupait autrefois dans le ruisseau. Il fit de même d’une autre pierre, puis d’une autre.

Lily ne disait mot et le regardait toujours. Il y avait entre les pierres un assez large espace. L’inconnu alla au centre de ce pont improvisé et tendit la main à la jeune fille. Quand elle sentit ce contact, l’émotion qui la gagnait depuis quelques instants devint intense. Son pied glissa, mais le jeune homme la retint par la taille. Une seconde qu’elle n’oublierait pas.

Elle se retourna vers l’étranger, leurs regards se croisèrent encore. Il saluait maintenant et remontait la pente abrupte du coteau. Arrivé au sommet, il se retourna, lui adressa un dernier salut et disparut.

Dans l’après-midi, Pold retourna au bois et fit une longue sieste sous les arbres. Il était encore plongé dans une vague somnolence quand un bruit de voix le réveilla tout à fait. Il fut tout surpris de reconnaître la voix de M. Martinet. Cette voix faisait beaucoup de bruit.

– Qu’est-ce qu’il y a encore eu? Qu’est-ce qu’il y a encore eu? criait la voix.

Et une autre, qui était celle de l’épouse de M. Martinet, répondait, très calme:

– Mais rien du tout, mon ami, il n’y a rien eu du tout, je t’assure!

– Si, si, reprenait plus fortement encore M. Martinet. Je suis persuadé qu’il y a encore eu quelque chose. La façon dont tu m’as dit: «J’ai vu M. Pold ce matin en arrivant ici» me prouve qu’il s’est passé quelque chose. Enfin, tu viens de me dire: «Je te prie de me laisser tranquille avec ce gamin-là: il ne m’intéresse plus.» Eh bien, tout cela n’est pas clair!… Moi, il m’intéresse. Tu entends? C’est mon ami!… Je suis sûr que tu auras encore voulu lui faire de la morale… le ramener dans le droit chemin, comme tu dis, et, comme il s’en fiche, de la morale, et qu’il fait bien, vous vous êtes fâchés! Hein! c’est bien cela? Avoue, Marguerite.

Marguerite n’avouait pas.

– Au lieu de me faire des scènes stupides, tu aurais mieux fait de rester à Paris, disait-elle.

– Eh! tu sais bien que ce n’est pas pour toi que je suis venu!

– Tu es insolent, Martinet.

– Eh! nom de nom de nom! tu l’as bien mérité! Je suis venu pour demander un acompte à M. Arnoldson. J’ai une facture demain et j’ai besoin d’argent comptant. J’avais oublié de te le dire. Mais, mon argent reçu, je file. Je ne veux pas rester une seconde de plus avec une femme qui fait passablement sa pimbêche.

– Martinet!

– Eh bien, quoi?

– Tu as dit: «pimbêche»?

– Et je le répète.

– Martinet, tu commences à m’échauffer les oreilles!…

– Eh! tu me mets aussi hors de moi! Je n’ai qu’un ami, un brave petit ami, et tu ne peux pas le voir en peinture. C’est agaçant à la fin! Et j’en ai assez! Tu entends? Si tu es mal avec Pold, je veux que tu fasses la paix!

– Jamais!

– Ah! s’écria triomphalement Martinet. Tu vois bien que vous étiez fâchés!

Mme Martinet était horriblement vexée de s’être trahie avec tant de naïveté.

– Je disais donc, continua Martinet, qui ne lâchait pas facilement sa pensée et qui était têtu comme un âne, je disais donc que tu ferais la paix avec M. Pold, et cela dès la première fois que tu le rencontrerais.

Mme Martinet articula très nettement: