– Je… ne… la… ferai pas!
– Tu la feras!
– Non!
– Si!
– Non!
– Tu ne la feras pas? Tu ne la feras pas?
– Non, je ne la ferai pas!
Martinet était furieux.
– Chipie! s’écria-t-il.
– Tu as dit? tu as dit? demanda Mme Martinet sur un ton dont le diapason avait atteint celui de son mari.
– J’ai dit: «Chipie!» hurla Martinet, au comble de l’exaspération.
On entendit claquer le bruit sonore d’une gifle. Mme Martinet venait de gifler M. Martinet.
Pold, qui avait goûté une joie extrême à ce dialogue, se leva et apparut sur le sentier pour voir M. Martinet, qui se tenait la joue, cependant que Mme Martinet lui disait, très digne:
– Cela vous apprendra, monsieur Martinet, à traiter votre femme de chipie!
Martinet, fort piteux et se tenant toujours la joue, ne put retenir un sourire d’allégresse à la vue de Pold. Mais, comme il souriait à cause de Pold et pleurnichait à cause de sa femme, il en résultait la plus cocasse des grimaces.
Marguerite et Pold ne purent résister à pareil spectacle et pouffèrent de rire.
– Vous voyez, fit Martinet, qui était le plus brave homme de la terre et dont le cœur d’or n’avait jamais connu la rancune, vous voyez, monsieur Pold, comme elle m’arrange!… Elle me gifle et ensuite rit de moi!… Et tous ces malheurs arrivent à cause de vous! Mais je remercierais le ciel de cette gifle et je serais heureux d’en recevoir une autre si toutes ces gifles doivent être l’occasion d’une réconciliation entre vous!
Il lâcha sa joue, qui le brûlait, car Mme Martinet était forte et avait le poignet solide. Il prit la main de sa femme et la mit dans celle de Pold.
– Là! dit-il, voilà qui est fait! Et, maintenant, embrassez-vous!
Marguerite et Pold riaient sous cape, mais ne s’embrassaient pas.
– Embrassez-vous! s’écria à nouveau Martinet, d’une voix de tonnerre.
Pold déposa un baiser sur la joue de Mme Martinet, et celle-ci lui dit tout bas, sur un ton qui pardonnait, ce simple mot:
– Méchant!
Ils revinrent tous les trois, bras dessus, bras dessous. Au moment de se quitter, Marguerite put glisser à l’oreille de Pold, sans que Martinet l’entendît:
– Ce soir, à onze heures, à la porte de derrière des Volubilis. Je vous conduirai aux Pavots.
Pold fit un signe d’acceptation. Au fond, si son âme souffrait, il n’était point mécontent de distraire la peine de son âme avec la joie de son corps. C’était un garçon fort intelligent.
À onze heures exactement, il était au rendez-vous. Tout le monde dormait aux Volubilis.
Dans la nuit, il y eut un «psst!»
Pold fit: «Psst!»
– Pold?
– Marguerite?
L’ombre de Marguerite rejoignit bientôt l’ombre de Pold, et les deux ombres s’en allèrent de compagnie vers l’ombre de la villa des Pavots, qui n’était distante que d’une centaine de mètres.
C’était une nuit sans lune.
Arrivés à la porte du jardin des Pavots, Mme Martinet la poussa, fit entrer Pold, referma la porte à clef, mit la clef dans sa poche, puis elle guida son petit ami dans les allées.
Derrière eux, ils ne virent pas une ombre qui se détachait du mur.
Cette ombre gagna avec mille précautions le principal corps de bâtiment de la villa, où elle pénétra par une petite porte. Avant de disparaître, l’ombre, qui avait des mains, puisqu’elle se les frotta d’un geste de contentement, et qui avait une voix, dit:
– Cela va! cela va!… Pauvre M. Martinet!…
L’ombre était celle de sir Arnoldson.
Mais revenons à Pold et à Marguerite, qui avaient fait le tour de la villa. Soudain, ils s’arrêtèrent. Mme Martinet mit une main sur le bras de Pold et son autre main sur sa bouche. Ce double geste signifiait évidemment qu’il fallait s’arrêter et qu’il fallait se taire.
Une large baie était ouverte au rez-de-chaussée de la villa. Une lampe agonisante était placée sur le guéridon d’un salon. Cette lampe, avant de mourir, éclaira d’une lueur dernière le prince Agra, qui était assis au fond de la pièce, devant un orgue.
Et, soudain, vers la nuit, par la croisée entr’ouverte, des sons d’une tristesse infinie et d’une émotion surhumaine montèrent…
Ni Pold, ni Marguerite, ni personne au monde n’eût pu donner un nom à la divine harmonie. Nulle oreille humaine n’avait entendu de tels accords. Cela semblait la lamentation d’une âme à l’agonie, un cri formidable et doux de détresse et de désespérance.
Sous la main d’Agra, le clavier exhalait sa plainte sublime, et la nuit tout entière en tressaillit.
Puis quelques notes encore chantèrent.
Et tout se tut.
Marguerite et Pold ne bougeaient pas. Ils attendaient encore. Le prince Agra vint à la fenêtre, s’y accouda et rêva. Les amoureux étaient dans une anxiété extrême et conservaient l’immobilité la plus absolue. Enfin, Agra ferma la haute fenêtre.
Pold dit à Marguerite:
– C’est le prince Agra. Je l’ai reconnu. Il va nous arriver malheur. Je ferais mieux de m’en aller.
– Il te fait donc bien peur? demanda Marguerite, un peu vexée de l’attitude hésitante de son Pold.
– Peur?… Eh bien, oui! il me fait peur! Et il n’y a qu’un homme qui puisse me faire peur. Je tombe vraiment maclass="underline" c’est celui-là.
– Je ne vous savais pas si enfant… glissa sournoisement Marguerite.
Pold se révolta immédiatement:
– Ah! tu crois que je suis un gosse?
– Dame!
Pold, surmontant la crainte d’Agra, entraîna vivement Marguerite. Ils arrivèrent à l’angle du mur de clôture, où s’élevait un pavillon. C’est là que Mme Martinet avait élu domicile. Elle y introduisit Pold, qui n’en sortit qu’à quatre heures du matin.
V L’HOMME DE LA NUIT ATTAQUE
Suivant les indications et les ordres de l’Homme de la nuit, Harrison était revenu à Paris.
Le jour même où Lily avait rencontré dans le bois le jeune homme qui avait produit tant d’impression sur elle, Harrison avait eu, dans un cabaret du quartier des Champs-Élysées, deux longues entrevues: la première avec le cocher de Diane, la seconde avec le concierge de Lawrence, le père Jules, qui, du reste, se disposait à aller rejoindre ses maîtres, aux Volubilis.
Après ces entrevues, il rédigea un long rapport, qu’il expédia à l’auberge Rouge, à l’adresse de Joe; puis, comme le soir tombait, il se dirigea vers le quartier de l’Europe.
Il entra sous la voûte d’une maison de la rue de Moscou où nous avons introduit nos lecteurs dans la première partie de ce récit. Cette maison, on s’en souvient, avait été le théâtre du déshonneur de Mme Martinet et de sa première chute dans les bras de Pold. Là était, au rez-de-chaussée, sur la cour, la garçonnière du jeune homme.
Harrison entra donc dans cette maison et frappa à la fenêtre du concierge. Cette fenêtre s’ouvrit, et une tête y fut immédiatement encadrée.