Et, après un profond salut qu’il servait à son ordinaire, il ouvrit la porte et disparut.
Adrienne, l’œil hagard, regardait la porte qui s’était refermée sur lui.
– Mes enfants! dit-elle. Mes enfants!
Elle passa une main fébrile sur son front.
– Que veut-il dire avec mes enfants?
Mais elle vit les lettres que l’Homme de la nuit avait laissées sur le guéridon et elle se plongea dans une lecture qui lui fit à nouveau verser des larmes de rage…
XII OÙ CETTE PAUVRE MADAME MARTINET PREND UNE GRAVE RÉSOLUTION
Mme Martinet avait, à plusieurs reprises, manifesté l’intention de quitter le bois de Misère et la villa des Pavots. Elle trouvait que sa présence y devenait inutile, surtout depuis que Pold négligeait de venir lui tenir compagnie quand les «ombres de la nuit» s’étendaient sur la campagne.
Après l’avoir vainement attendu deux soirs de suite, elle s’avoua qu’elle était abandonnée. Elle en conçut un chagrin sans bornes et songea à rentrer à Paris, où son mari et ses affaires de la rue du Sentier la réclamaient impérieusement.
Déjà, Martinet, lui avait écrit, la menaçant de la venir chercher si elle ne se résolvait pas à réintégrer le domicile conjugal.
Mais, à chaque tentative de départ, Arnoldson trouvait un prétexte pour la retenir, et c’est ainsi que, par un bizarre effet de son caractère, ce matin même d’une journée qui marquera dans l’histoire de ce drame et où nous avons vu l’Homme de la nuit avoir cette scène terrible avec Adrienne, Arnoldson, disons-nous, avait déclaré à Mme Martinet qu’il revenait à sa première idée, qui était de remettre en bleu le cabinet qu’il avait fait transformer en rouge.
Mme Martinet avait alors répliqué que sa présence n’était plus nécessaire et que ses ouvriers sauraient parfaitement accomplir un travail auquel ils s’étaient déjà livrés une première fois. Ce raisonnement parut assez logique, et Arnoldson n’insista pas; mais, comme Mme Martinet faisait ses paquets, elle reçut un mot qui était signé Joe et qui la priait de passer, à six heures moins un quart, à son auberge. Joe la prévenait qu’il était résolu à faire faire d’importants travaux à l’auberge Rouge et qu’il ne reculerait point devant des frais assez considérables pour donner à son hôtellerie un petit cachet d’élégance qui, jusqu’à ce jour, lui avait fait complètement défaut.
– Allons! se résigna Mme Martinet, je resterai donc aujourd’hui encore!
– Madame Martinet, lui dit Arnoldson, faites selon votre bon plaisir. Vous êtes ici comme chez vous. Restez, partez; je serai toujours heureux de vous faire plaisir.
Mme Martinet, en attendant six heures moins un quart, cette heure que Joe lui avait fixée pour son entrevue, s’en alla promener fort tristement par les sentiers de Dainville.
Elle était vaguement hantée du désir de revoir son Pold et espérait, tout au fond de son cœur, que le hasard le lui ferait rencontrer.
Et cette pauvre Mme Martinet était si bonne, son âme de brave petite femme qui trompait son mari était si pleine d’indulgence pour les frasques de son jeune amant qu’elle lui eût certainement encore pardonné ses dures paroles de l’autre soir et son absence prolongée si l’occasion s’en était présentée.
Elle ne se présenta point, cette occasion tant espérée. Et, plus triste, plus désolée que jamais, Mme Martinet s’en vint au bois de Misère et prit le chemin de l’auberge Rouge.
Elle poussait de gros soupirs et atteignit fort lamentablement le seuil de l’auberge Rouge.
La porte en était fermée. Elle heurta et Joe vint ouvrir.
– Tiens, bonsoir, madame Martinet.
– Ah! Je vous dérange peut-être, monsieur Joe?
– Eh! que me dites-vous là? Nous sommes ici en pays de connaissance.
– Bonsoir, madame Martinet, bonsoir.
– Eh! mais c’est le père Jules!
– Lui-même! ma chère madame! Je passais par là en fumant ma bouffarde, et l’ami Joe m’a prié de venir prendre un petit verre.
Joe s’avança, gracieux:
– Vous nous ferez bien de l’honneur en trinquant avec nous.
– Ah! monsieur Joe, je n’ai point soif et ne désire rien. Vous êtes trop aimable, en vérité.
Joe pria Mme Martinet de s’asseoir, voulut en faire autant, mais auparavant, la fin de la journée s’annonçant superbe, il ouvrit la porte et les fenêtres qui avaient une vue sur la route.
En écoutant les papotages de Joe et les potins du père Jules, Mme Martinet regardait la route. Soudain, elle bondit de sa chaise et se précipita vers la porte.
Joe et le père Jules la suivirent avec la même précipitation.
– Qu’y a-t-il donc? demandèrent-ils.
Ils eurent bientôt l’explication de cette émotion subite. Mme Martinet criait:
– Monsieur Pold!
Et elle agitait fébrilement son mouchoir dans la direction d’un jeune cycliste qui pédalait avec ardeur sur la route.
– Monsieur Pold! continuait-elle à crier.
Mais, soit qu’il allât trop vite pour entendre, soit qu’il ne voulût point entendre, M. Pold, redoublant de vigueur et de vitesse, passa en face de l’auberge sans regarder Mme Martinet.
Il était passé qu’elle criait encore:
– Monsieur Pold! Monsieur Pold!
Enfin, au moment où il allait disparaître au carrefour de la route, «M. Pold» se retourna sur sa selle et fit, de la main, à Mme Martinet, un signe d’adieu.
– Oh! dit-elle, il m’avait vue et il m’avait entendue! Et il est passé devant moi comme devant une étrangère!
Elle en était horriblement vexée et, maintenant, elle ressentait moins de regret d’avoir perdu ce garçon que de ressentiment de se voir traiter par lui avec tant de sans-gêne.
Mme Martinet était cramoisie de colère.
– Qui est-ce qui peut me l’avoir changé ainsi? se demandait-elle.
À cette muette question, le père Jules se chargea soudain de répondre:
– Ah! c’est, en effet, M. Pold, dit-il. Il va rejoindre sa maîtresse.
Mme Martinet poussa un cri:
– Sa maîtresse!
Elle crut qu’elle allait s’évanouir.
Mais ces commencements d’évanouissement n’avaient, chez elle, jamais de suites. Cela tenait à l’excellent état de sa santé.
– Que voulez-vous dire, père Jules, avec la maîtresse de M, Pold? Ce jeune homme a donc des maîtresses?
– Je ne sais pas s’il a des maîtresses, fit le père Jules, mais je sais qu’il a une maîtresse.
– Et laquelle, grands dieux?
– Une maîtresse avec laquelle il va passer la nuit à Paris. Oui, madame, c’est un petit dévergondé. Ainsi il est allé la rejoindre hier, ainsi va-t-il la rejoindre aujourd’hui, ainsi la verra-t-il demain.
– Mais son nom? demanda anxieusement Mme Martinet.
– Ah! son nom! son nom!
Joe intervint:
– Tu peux tout dire, mon vieux! Mme Martinet en sait aussi long que toi et moi là-dessus.