– Que voulez-vous dire, monseigneur, que vous m’aimez?
– Ne me dites point: «monseigneur», ô Lily!
– De quel nom voulez-vous que je vous appelle?
– Ma mère m’appelait William!
– Votre mère? Votre mère est donc morte, William?
– Oui, dit Agra, d’une parole lente. Jamais le souvenir de ma mère ne m’a quitté, Lily! Jamais!
Et le prince Agra déclara, avec une voix étrange:
– Et je ne fais rien dans la vie sans songer à ma mère…
– Oh! mon Dieu! dit Lily, pourquoi donc, monseigneur, votre voix est-elle si dure et presque menaçante quand vous parlez de votre mère?… Quand je parle de la mienne, je voudrais avoir une voix d’une infinie douceur.
Agra ne répondit point.
Lily se pencha à sa fenêtre.
– William… dit-elle, William…
Si Arnoldson avait vu le prince à cette heure, il eût su lire dans son âme, et, alors, il aurait été épouvanté, car, après avoir constaté que le prince n’aimait pas Lily, il aurait deviné aussi qu’il allait l’aimer.
Le prince, en effet, se croyait toujours aussi fort contre la femme, aussi indifférent à son charme fatal. Et il mettait sur le compte de sa vengeance à accomplir les paroles d’amour qui devaient perdre Lily. Il ne s’avouait point que ces paroles jaillissaient de la sincérité d’une émotion dont bientôt il n’allait plus être le maître.
Et, cependant, il perçut cette émotion dont il ne s’avouait point la cause; alors, il la dompta. Il se souvint au nom de qui et au nom de quoi il agissait, et il reconquit son calme.
Il se rappela ce qu’il avait juré à Arnoldson, ce qu’il avait juré à son père. Il se rappela le terrible serment qu’il avait prononcé un soir à l’auberge Rouge. Il se rappela sa mère!
Et, chassant le sentiment de pitié né de l’immense sympathie qu’il commençait à éprouver pour cette enfant, désignée par Arnoldson comme l’une de ses premières victimes, il dit:
– Lily, croyez-vous en moi?
– Je crois en vous, répondit Lily, comme elle eût répondu: «Je crois en Dieu.»
– Lily, puisque vous m’aimez, vous ne douterez point de moi?
– Je ne douterai jamais de vous.
– Lily, vous m’obéirez?
– Je vous obéirai, William, fit Lily.
– Quels que soient mes ordres?
– Qu’allez-vous exiger de moi? Pourquoi me parlez-vous ainsi? Voilà que votre voix est aussi dure qu’elle l’était tout à l’heure, quand vous me parliez de votre mère… J’ai peur de ce que vous allez m’ordonner.
Après un court silence, le prince dit:
– Voici: il faut me suivre, Lily!
– Vous suivre?…
– Oui. Il faut quitter cette maison.
– Quitter cette maison? Quitter ma mère, mes parents?… Que dites-vous là? Expliquez-moi vos paroles… William, où voulez-vous donc que je vous suive?
Agra répondit:
– Où je voudrai!…
Lily, éperdue, fit:
– Mais je ne peux pas! Je ne peux pas!… Ma mère en mourrait… Je ne puis quitter ma mère…
– Vous refusez de me suivre, Lily?
– Oh! William! ce n’est pas moi qui refuse de vous suivre… Je voudrais vous suivre partout et toujours, William… Mais… Songez à ma mère… Non, je ne puis vous suivre…
– C’est là votre dernière parole, Lily?
Le prince, d’un bond, fut debout sur sa selle et presque à la hauteur de Lily.
Il lui tendit les bras. Son regard tout-puissant l’attirait à lui.
Lily ne bougeait pas, mais elle était tout entière sous la domination de ce regard, et, lorsque, d’un geste lent, le prince l’eut entourée de ses bras, elle se laissa glisser sans résistance jusque sur sa poitrine.
Le prince l’avait saisie, et la pauvre Lily était sans force dans ses bras.
Agra retomba sur sa selle. Il ne toucha point aux rênes. Kali obéit à la pression de ses genoux et reprit de lui-même le chemin qui l’avait conduit derrière la villa.
Kali sortit du jardin et, sur la route, partit soudain en un galop furibond. Le prince ne se tenait toujours en selle que par l’étreinte de ses genoux et accélérait encore le galop de son cheval de son ardente pression des jarrets.
Et Lily était sur la poitrine d’Agra, défaillante, sans force…
Ils traversèrent ainsi le bois de Misère, atteignirent la route de Paris.
Kali semblait voler vers un but qu’il devait connaître.
Ils traversèrent des villages, une forêt, de vastes plaines…
Et le prince avait posé sur la bouche de Lily le baiser mortel de ses lèvres de marbre!…
XVIII CHÂTIMENT
Diane et Pold s’étaient réfugiés dans la chambre. Ils se regardaient et ne se parlaient point. Leur regard lisait avec suffisamment d’éloquence toute la folle terreur qui les hantait pour qu’ils n’eussent point à l’exprimer.
Ils étaient appuyés contre les murs, face à face. Ils ne bougeaient pas.
Ils attendaient.
Ce qu’ils attendaient, c’était l’inévitable, l’effroyable, l’horrible…
C’était la chose fatale qu’ils ne savaient pas, mais pour laquelle ils étaient là… pour laquelle on les avait amenés là!
On n’avait point mis sur eux une porte de chêne et un mur sans un dessein terrible…
Ils prévoyaient qu’on les avait destinés à quelque supplice, à un supplice qui commençait…
Diane dit, d’une voix d’hallucinée:
– Qu’attendons-nous?…
Elle dit encore:
– Pourquoi?… Pourquoi?… Pourquoi?
Les paroles de Diane firent que Pold sortit enfin de l’abîme de terreur où les révélations de la jeune femme l’avaient plongé.
Il eut un geste de résolution.
– Enfin, s’écria-t-il, il faut aviser!… Il est certain que quelque chose nous menace. Quoi? On nous retient de force ici, on nous y a murés. Cette porte, malgré sa solidité, il faut la briser.
Diane étendit sa main vers lui; elle lui parut une somnambule.
– Ne tente rien, dit-elle. Je te jure que c’est inutile!
Avec une horrible grimace de frayeur, elle s’écria:
– Mais que veulent-ils de moi? Pourquoi m’avoir enfermée dans ce tombeau?… Toi… toi… ils ont à se venger de toi… Qu’ils se vengent! qu’ils fassent ce qu’il leur plaît de toi et de ta famille! Que vous soyez vivants, que vous soyez morts, je me demande ce que cela peut bien me faire! J’ai toujours été avec eux… Je leur ai toujours obéi… Agra a été mon maître, il n’a pas cessé de l’être… Alors… alors, pourquoi m’enferment-ils ici?…
Pold avait reconquis quelque lucidité:
– Je vous dis, Diane, que nous ne devrions songer qu’à une chose: unir nos efforts pour sortir d’ici…