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«Je vous prierai, madame, de ne point retarder ce doux entretien, ne fût-ce que de vingt-quatre heures, car je dois partir dès le lendemain matin pour une contrée assez éloignée où le prince Agra a élu domicile, et attend mes instructions.»

Cette missive était signée de l’Homme de la nuit.

Adrienne la lut sans qu’un muscle de son visage tressaillît.

Et cependant l’ultimatum que lui envoyait Arnoldson était bien fait pour la plonger dans la plus terrible des alternatives.

Quand elle eut replié soigneusement cette lettre, elle dit tout haut:

– J’irai!…

III LE TRIOMPHE DE L’AMOUR

Vers quel coin reculé de France, dans quelle contrée mystérieuse, derrière quels murs le prince Agra avait-il emporté Lily?

Elle sembla sortir d’un songe… Depuis le départ des Volubilis, elle n’avait pas ouvert les yeux… Pressée contre la poitrine d’Agra, il lui semblait qu’elle était emportée, dans un galop de vertige.

Elle finit par s’endormir…

Quand elle s’éveilla, une large baie était ouverte en face d’elle, sur un jardin.

Lily se leva à demi sur son lit de repos, et jeta un anxieux regard autour d’elle.

Elle entendit presque aussitôt une voix qui lui parlait. Lily se retourna.

Un homme était là, et qu’elle n’avait jamais vu.

– Qui êtes-vous, monsieur? lui demanda-t-elle.

– On m’appelle Harrison, mademoiselle, et je suis là pour vous obéir…

– La seule chose que je désire, monsieur, supplia Lily, c’est de voir celui qui m’amena ici…

– Ce que vous avez à lui dire est donc bien pressé?

– Oh! très pressé, monsieur… Je voudrais lui demander qu’il me reconduise immédiatement chez moi.

Lily se cacha le visage dans les mains.

– Ma mère, dit-elle, doit être dans une anxiété folle.

– Votre mère, mademoiselle, ignore à cette heure que vous avez quitté les Volubilis.

– Quoi?… vous savez?…

– Je sais!

– Et comment savez-vous que ma mère ignore ma fuite des Volubilis?

– Parce qu’avant votre départ elle était partie elle-même et qu’elle n’y reviendra point avant quelques jours… Tranquillisez-vous donc, mademoiselle.

Harrison parlait à Lily avec une grande douceur. Il ressentait beaucoup de sympathie pour l’enfant, et certains gestes qu’elle avait, des coins de sourire un peu tristes, des inflexions de la voix remuaient dans son vieux cœur la cendre refroidie du souvenir.

L’enfant lui rappelait la mère… la mère qu’il avait aimée en silence et qui n’en avait jamais rien su, qui n’avait jamais deviné le secret de son âme.

Et, maintenant qu’il se savait si cruellement vengé par la mort de Lawrence – car la nouvelle lui en était arrivée dans la nuit – des maux que cet amour lui avait fait souffrir, il prenait en pitié celle que la cruauté d’Arnoldson avait encore marquée comme une prochaine victime.

Puis il avait étudié, lui aussi, le plan d’Arnoldson et il en avait compris l’économie. Il en avait saisi toutes les embûches et tous les traquenards. Il avait deviné quel otage Lily était entre ses mains et ce qu’il pouvait exiger de la mère en tenant la fille…

Or Harrison, au bois de Misère, s’était maintes fois caché pour voir passer la mère… et, décidément, il ne lui plaisait point d’aider l’Homme de la nuit à posséder celle qui lui apparaissait si belle encore…

Que Lawrence succombât… c’était écrit. Il avait juré d’aider Arnoldson dans l’œuvre de sa vengeance, qui était en partie la sienne aussi… mais il n’avait nullement prêté le serment de faire tomber Adrienne dans les bras de celui qu’il ne considérait plus, à cette heure, que comme son rival…

Et cependant, jusqu’à ce jour, il ne s’était point mis au travers des desseins d’Arnoldson…

Car il savait que c’était une chose terrible de lutter contre cet homme et qu’il y allait de la vie…

Il avait laissé faire les choses…

Il lui dit:

– Le prince Agra va venir, mademoiselle.

La porte s’ouvrit. Agra parut et pria Harrison de les laisser.

Il vint à elle, s’assit près d’elle. Lily ouvrit ses grands yeux clairs, et le prince y lut des choses qu’il n’avait encore lues dans les yeux d’aucune femme.

Maintenant, Agra tendait vers elle des mains qui frémissaient… Puis, il l’attira contre lui, et semblant soudain pressé, il l’entraîna hors de la chambre.

Ils s’en allèrent par les allées du parc et se firent mille promesses.

IV M. MARTINET PORTE LES CULOTTES

Il était une heure du matin quand M. Martinet se retrouva rue du Sentier. Il n’y avait dans la rue âme qui vive. Il était le seul à errer d’un trottoir à l’autre, chantant à la lune des refrains polissons.

Il chantait d’une voix hésitante.

Il s’arrêtait de temps à autre au milieu de la rue et paraissait tout à coup plongé dans des réflexions profondes.

Puis il repartait, reprenant ses refrains.

Il vint à sa porte, introduisit avec quelque difficulté son passe-partout dans la serrure, et entra dans la cour de l’immeuble.

La porte du magasin était entr’ouverte. Il s’y glissa, la referma avec bruit, alluma une bougie et se livra à l’ascension ardue de l’escalier qui conduisait au premier étage. Il ne l’acheva point sans quelque fracas, ce dont il n’avait cure.

Il fit irruption dans la chambre conjugale. Sur le lit, Mme Martinet, en chemise de nuit, était assise.

– Ah! ah! tu m’attendais, Marguerite?

– Oui, mon ami, dit Mme Martinet d’une voix pleine de douceur, je t’attendais.

– Eh bien, sois contente. Me voilà!

– Comme tu rentres tard, Martinet!

– Saperlotte! s’écria Martinet, je ne rentre pas encore assez tard si c’est pour t’entendre! Tu ne peux donc pas dormir sans moi?… Glisse-toi dans le plumard et fiche-moi la paix! C’est entendu? Une! deux! Ça y est!…

Et Martinet commença, sans plus s’occuper de sa femme, la difficile opération qui consistait à déboutonner son faux col et à enlever sa cravate.

– Viens ici que je t’aide, fit timidement Mme Martinet.

Martinet consentit à ce que sa femme lui enlevât sa cravate et son faux col.

– Martinet, fit de plus en plus timidement Mme Martinet, tu sens un peu le vin… mon ami…

– Cela se peut, madame Martinet… et il serait vraiment étonnant qu’ayant bu du vin je ne sentisse point le vin.

– Martinet, je me permets de te dire cela parce que je crains que tu n’abuses de ta bonne santé actuelle. Il n’y a pas si longtemps que tu étais encore malade… Je crains une rechute…

– Assez, madame! s’écria Martinet, d’une voix de stentor.

Et il enleva son pantalon, d’un effort puissant.

Mme Martinet n’osait plus rien dire.