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– Car enfin, reprit bientôt Pold, d’une voix plus forte, je ne saurais oublier que nous lui devons beaucoup de choses, à ce prince que nous avons chassé… comme on chasse un voleur… et que nous avons une étrange manière de lui prouver notre reconnaissance.

– Tu oublies, dit Adrienne, que nous ne devons aucune reconnaissance au prince Agra et que sa conduite actuelle n’est que le rachat de sa conduite passée. Tu oublies le rôle que joua cet homme dans le drame où périt ton malheureux père.

– Un rôle inconscient! Il ne fut qu’un instrument sans responsabilité entre les mains de l’Homme de la nuit. Il agissait sans savoir et croyait en cet homme. Et la preuve en est que, lorsqu’il a su quelque chose, il s’est tourné contre celui qui nous avait persécutés.

Adrienne se tut.

– Mère, continua Pold très exalté, je vous demande de ne plus songer aux disparus et de regarder autour de vous…

– Que veux-tu dire, Pold?

– Je veux dire que votre douleur vous aveugle à un point tel que vos yeux ne sauraient voir le désespoir des autres… Regardez Lily, comprenez sa peine.

Adrienne, inquiète, se tourna vers sa fille:

– Penserais-tu encore à ce prince?

– C’est vrai, mère, fit simplement Lily.

XII SUR LA PISTE

Au pas de son cheval, le prince Agra suivait la route bordée de palmiers qui contourne la baie des Anges. Il venait de passer le pont du Var et se dirigeait lentement vers la jetée-promenade, dont les feux apparaissaient dans la nuit comme des phares.

Il était tard déjà, et les lumières s’éteignaient aux fenêtres de la ville. Les hôtels somptueux au long de la promenade des Anglais présentaient des faces d’ombres. Nice s’endormait.

Une brise légère soufflait du large. On entendait, sur la grève, le remous monotone des vagues.

De la même allure lente, Kali atteignit le casino, jeté sur la mer, le dépassa. Cheval et cavalier s’éloignèrent, suivant toujours la rive.

Ils arrivèrent ainsi à la pointe du Château. La blancheur calcaire de la falaise éclatait dans la nuit. Agra doubla cette pointe.

Et ce fut le port.

Dans les eaux calmes, les masses sombres des navires, des yachts de plaisance, des bateaux de luxe se reflétaient parmi les zigzags verts et rouges des feux de bord.

Alors, Agra pressa les flancs de Kali. Il fit rapidement le tour du port. Puis il gravit une côte.

Il arriva au milieu de cette côte. Des villas bordaient la route. Les marbres des terrasses faisaient des lignes blanches dans l’ombre.

Sans que le prince en eût manifesté la volonté, Kali s’arrêta.

La porte d’une grille s’ouvrit alors à la droite du prince, et un homme vint à lui.

– Salut, monseigneur, fit-il. Voilà deux jours que je vous attends. J’avais tant de choses à vous dire que j’étais dans une grande anxiété de ne plus vous voir.

Le prince eut un geste brusque et dit, d’une voix sévère:

– Je ne suis point venu parce que vous m’avez instruit vous-même de l’inutilité de ma visite.

– Que dois-je entendre par là, monseigneur?

– Cela signifie que je ne comprends rien à vos paroles. J’ai reçu une lettre de vous me disant qu’il était inutile de venir ici avant quarante-huit heures. Ne deviez-vous pas vous absenter?

– Mais jamais, je ne vous ai pas écrit et je ne me suis pas absenté.

– Mais, alors… Ah! prends garde, Napolitain de malheur!… Tu me trahis!…

Le prince eut un geste de telle menace que l’homme, effrayé, se courba.

– Je ne vous trahis pas, monseigneur… Je vous jure que je ne vous trahis pas…

– Allons! allons! Parle! Parle vite! Lily? Mme Lawrence? Pold?

– Mais ils ne sont plus ici, monseigneur. Ils sont partis!…

Agra bondit à bas de son cheval et prit l’homme à la gorge:

– Tu dis?… Tu dis?… Ose répéter qu’ils sont partis?

L’homme râlait. Agra le lâcha. Il franchit précipitamment la grille, se rua vers la villa, en parcourut les diverses pièces. La villa était déserte. Il sortit. Sur le seuil, il retrouva l’homme.

– Ne les cherchez plus. Ils sont partis.

– Il y a longtemps?

– Mais depuis hier matin… Ils ne voulaient pas s’en aller. Ils ne voulaient pas retourner à Paris…

– Grands dieux! s’écria le prince Agra. Ils sont retournés à Paris?…

– Oui… monseigneur… Ils disaient… car, selon vos ordres, j’écoutais et je surprenais leurs conversations… ils disaient que c’était une chose bien imprudente que ce retour dans la capitale…

– Alors… Alors, pourquoi ne sont-ils point restés? Quel est ce mystère? Pourquoi ont-ils franchi ces murs derrière lesquels je leur avais créé un asile inviolable?

– C’est un de vos hommes qui a apporté ici une lettre de vous ordonnant ce départ.

– Malédiction!… Je n’ai pas envoyé d’homme! Je n’ai pas envoyé de lettre!

– Et, comme ils ne se décidaient point à quitter Nice, cet homme est revenu avec une nouvelle lettre. Cette fois, ils n’ont plus hésité.

– Malheur! dis-moi… tu ne sais rien, toi?… tu n’as rien vu… depuis deux jours? rien de suspect? rien d’anormal? rien qui pût me mettre sur la piste?

– Rien, monseigneur.

– Que veut-il donc faire d’eux à Paris? Et moi, qui étais tranquille… qui croyais avoir, pour quelques jours encore, déjoué les desseins de l’autre!… Allons! il faut tout refaire! À cheval!

Il appela Kali et bondit en selle.

Et il revint vers Nice en un galop de rêve.

L’homme le regarda s’éloigner et dit:

– Toi, mon petit, tu ne seras jamais de force à lutter avec le maître.

Puis il prit la résolution d’aller attendre des nouvelles du prince Agra au fond des Calabres.

Le prince arriva à la gare de Nice. Le premier rapide ne devait partir que dans quelques heures.

Ce furent des heures effroyables. Il écrivit dix télégrammes qu’il déchira, puis il remonta à cheval, erra par les rues, revint à la gare, embrassa Kali sur les naseaux, lui dit adieu, et le confia à un homme qu’il paya royalement pour le ramener à une adresse qu’il lui indiqua.

Et le voyage, le lent, le long voyage!

Le prince, que nous avons connu si calme, si froid, si indifférent aux choses et aux hommes! Quelles tempêtes l’agitaient! Quelle terreur était aussi la sienne à la pensée que l’Homme de la nuit avait enfin accompli son œuvre et que, lui, il allait arriver trop tard…