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Harrison l’avait interrompu.

– Monsieur, lui dit-il, si vous doutiez de moi, pourquoi m’avez-vous fait venir? Que ferai-je de votre fortune si, du jour où je la fais mienne et où je veux réellement en user, vous apparaissez et vous prouvez que vous êtes vivant et, par conséquent, que votre testament n’est pas encore exécutoire? Croyez-moi, monsieur, si, pour les autres, je suis l’héritier du roi de l’huile, pour vous je ne suis que votre serviteur.

Les choses ainsi réglées, et Jonathan s’étant définitivement remis sur pied, on songea au départ. D’innombrables caisses arrivèrent pendant huit jours au camp des Delawares.

Ces caisses renfermaient des trésors de passementeries, des bijoux, des colliers, des bracelets en grande quantité. Puis vinrent d’innombrables litres de liqueur, de l’alcool à enivrer tous les Delawares et tous les Osages, leurs voisins de l’État de Kansas. C’était la rançon du roi de l’huile.

En revanche, Jonathan Smith emportait aux Delawares ces deux géants, cette force précieuse: Joe, le noir et l’Aigle, le Peau-Rouge. Depuis qu’un heureux hasard, à la suite de sa terrible aventure du railway, l’avait fait tomber – tomber est bien le mot – au milieu des Delawares, il n’avait pas eu un instant à se plaindre de leur hospitalité forcée.

Jonathan, Harrison, Joe et l’Aigle s’en allèrent sur les rives du lac Érié. Le roi de l’huile s’installa à Érié même avec l’Aigle; Harrison et Joe partirent pour Chicago. Comme les établissements du roi de l’huile se trouvaient mi-partie à Chicago, mi-partie à Oil City, et qu’Érié est entre les deux villes, ils avaient maintes occasions de rendre visite à Jonathan.

Celui-ci avait, naturellement, changé de nom et se faisait appeler sir Arnoldson. Il se procura même, à ce nom, tous les papiers qui peuvent constituer une identité.

Un an, ainsi, il resta sur les bords de ce lac, méditant sa vengeance. Il ne quitta Érié qu’à de rares occasions, quand il lui semblait bon d’aller surprendre Harrison et Joe à Oil City. Joe lui était de plus en plus dévoué. Harrison restait l’employé fidèle qu’il avait toujours été. Et celui que nous appellerons désormais Arnoldson se rendait bien compte, quand il se trouvait à Oil City ou même à Chicago, que, pour tous, Jonathan Smith était mort. De fait, il était, même pour les personnages qui l’avaient le plus fréquenté, méconnaissable. Déjà, il avait caché son regard sous des lunettes noires, car ce regard était toujours resté le regard du roi de l’huile, et les moins prévenus, s’ils eussent surpris ce regard, se fussent écriés: «Voici Jonathan Smith!»

La liquidation touchait à son terme. Toutes les opérations se faisaient sous le contrôle d’Arnoldson et sur ses indications précises. Quand toute cette immense fortune fut entre les mains d’Harrison et tint en d’innombrables carnets de chèques sur les banques les plus riches du monde entier, Harrison peu à peu transmit à Arnoldson ce qui en fait et en droit n’avait jamais cessé de lui appartenir. Comme nous l’avons dit, en effet, il lui suffisait de se montrer et de dire: «Je suis Jonathan Smith», pour que toute cette fortune échappât à Harrison, en supposant que celui-ci voulût se l’approprier.

Arnoldson, quand tout fut terminé, voulut récompenser Harrison et lui proposa cinq millions. Harrison les accepta; mais, quand Arnoldson lui dit qu’il pouvait s’éloigner de lui, qu’il reconquérait toute sa liberté et qu’il ne lui demandait plus que le secret le plus absolu sur son existence, Harrison dit: «Je reste!»

Et c’est alors qu’il lui fit l’aveu que lui aussi avait aimé miss Mary d’un amour que nul au monde n’avait soupçonné et que sa plus douce joie serait de joindre sa vengeance à celle de Jonathan.

– Il te suffira de servir la mienne! fit Arnoldson. Tu attendras tant que je te dirai d’attendre. Tu n’agiras que lorsque je te dirai d’agir.

– Je vous le jure, maître.

Alors, Arnoldson se souvint de son fils. Il emmena ses serviteurs à La Nouvelle-Orléans. Joe s’en fut frapper à la porte de la family house et apprit que le petit William s’était échappé depuis deux mois, mais qu’on l’avait vu errant sur le port. Il en retrouva la trace. Il remonta derrière lui la rive du Mississippi et le rejoignit à Little Rock. Là, il reçut l’ordre de ne plus le perdre de vue mais de le laisser abandonné à lui-même et de ne le secourir en quoi que ce fût.

Arnoldson, ayant réussi du côté de son fils, songea alors à savoir où avaient pu se réfugier Charley et Mary. Il partit avec Harrison et l’Aigle pour le Colorado. Arrivé à Denver, il alla demander à l’hôtel d’Albany Mr Wallace. Celui-ci ne reconnut point Jonathan Smith. Arnoldson prononça ces mots: The queen city of the plains. Mr Wallace lui répondit: «Monsieur, je devais remettre à la personne qui m’aborderait ainsi un pli qui me fut jadis confié par le roi de l’huile. Or vous êtes le second qui venez me trouver avec cette phrase. Je n’ai plus le pli. Le premier fut un jeune homme blond qui ne fit que passer à l’hôtel d’Albany quelques jours avant que le bruit de la mort de mon malheureux ami ne se fût répandu jusqu’à nous. J’ai souvent songé à cette visite, qui me parut louche en de telles circonstances, et je donnai le signalement du voyageur à la police, qui ne le retrouva naturellement pas.»

Ce disant, Mr Wallace salua Arnoldson. Quand il releva la tête, il fut stupéfait de voir qu’Arnoldson était déjà loin.

– Bizarre individu! fit-il.

Et il se remit à ses affaires.

Arnoldson savait tout ce qu’il désirait savoir. Charley était venu chercher le secret de l’ingénieur. Il le retrouverait quand il lui plairait. Car Charley, avec une invention pareille dans les mains, ne manquerait point de tenter la fortune.

Alors, Arnoldson revint à La Nouvelle-Orléans, où il resta de longs mois. Joe venait l’y voir souvent et lui donnait des nouvelles de son fils, qu’il lui dépeignait dans la misère la plus extrême. Arnoldson, alors, riait d’un rire sinistre et disait à Harrison qui le suppliait de venir en aide au petit:

– Attendons, mon cher, attendons. Plus il tombera, plus je l’élèverai, et plus il me sera reconnaissant.

Quelquefois, Harrison questionnait Arnoldson sur ses projets de vengeance. Alors, très sombre, le roi de l’huile disait:

– Tu verras… Tu verras… Je te ferai assister à quelque chose de vraiment bien. Mais il te faut de la patience… beaucoup de patience… Des années… Dix années peut-être!… Que sais-je?… Vingt années!…