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Pold revint au nègre.

– Moussé, dit-il, ti donné lit à mé?

– J’ai deux chambres à votre disposition, répondit Joe. J’en ai bien une troisième, mais elle est déjà prise par des voyageurs.

– Ti pas menti? fit Pold, continuant à s’entretenir dans une langue qui faisait la joie de Lily, cependant que Lawrence et Adrienne, qui semblaient fort absorbés par les flammes du foyer auquel ils se séchaient, ne souriaient même pas.

– C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, fit Joe. Des voyageurs en détresse, comme vous, occupent cette troisième chambre.

Lawrence mit trêve à la plaisanterie.

– Nous passerons la nuit ici, monsieur, fit-il à Joe. Nous avons faim. Si vous pouvez nous donner la moindre des choses, vous nous rendrez grand service. En attendant, je vous prierai de nous conduire à nos chambres.

Joe s’inclina:

– Veuillez me suivre, monsieur.

Joe montra les chambres. Lily laissa dans l’une d’elles son père et sa mère.

Lawrence alla tout de suite à Adrienne.

– Mon amie, fit-il, comme vous êtes pâle! Vous souffrez?

– Vous avez donc remarqué que je souffrais?…

– Certes! Mais je sais que vous ne voulez point que je fasse allusion à ces souffrances… Quand je vous vois si triste, Adrienne, vous m’avez défendu de vous parler de votre tristesse.

– Et cependant, quand j’étais triste, je vous trouvais toujours près de moi pour me consoler…

– Que voulez-vous dire?

Adrienne fit, avec effort:

– Je veux dire que, depuis quinze jours, vous n’êtes plus le même, mon ami… Je ne vous reconnais plus…

– Moi? s’écria Lawrence.

– Vous!… Mon ami, les femmes ne se trompent point à ces choses… croyez-moi… Vous me délaissez… votre pensée est loin de moi!

– C’est la première fois que vous me parlez ainsi!

– C’est la première fois que vous m’en donnez l’occasion, Maxime…

Lawrence prit les mains de sa femme et lui dit:

– Mon amie, depuis quelques jours, votre caractère devient plus sombre… Des choses que je croyais oubliées depuis longtemps semblent revenir vous hanter… Il faut chasser ces noires pensées… Il faut dormir jusqu’à demain, Adrienne, demain vous sourirez.

Et Lawrence fit un pas, se dirigeant vers la porte, prêt à se retirer.

Sa femme l’avait retenu déjà par le bras, d’un geste fébrile:

– Ne me quittez pas! Ne me quittez pas! Ah! pour rien au monde, ne me laissez pas toute seule, Charley!

À ce dernier mot, prononcé par Adrienne d’une voix suppliante, Lawrence s’arrêta et devint d’une pâleur extrême. Il dit, très bas:

– Pourquoi… pourquoi avez-vous prononcé ce nom-là?

Précipitamment, Adrienne répondit, le retenant toujours:

– Ah! pourquoi? Vous me demandez pourquoi je vous supplie de ne point me laisser seule? Vous avez donc oublié?… Ah! la mémoire des hommes!… Oublié que c’est aujourd’hui… la nuit!… oui, la nuit!… le 1er mai!… la nuit du 1er mai, Charley!…

Elle joignit les mains:

– La nuit anniversaire!… Et j’ai peur!… Oh! j’ai peur!…

Lawrence était tombé sur un siège. Il y eut un long silence. Lawrence se leva enfin et, secouant tristement la tête:

– Assez de vaines paroles et d’inutiles regrets, Adrienne… Faut-il donc que chaque année, à la même date, les mêmes remords viennent vous torturer!

Il reprit d’une voix légèrement exaspérée:

– Au bout de vingt ans, est-il admissible que vous songiez encore à ces choses?…

– Malheureux! avec quelle tranquillité tu parles de mon crime!

– Oui, l’apaisement s’est fait en moi; en toi aussi, Adrienne, et il ne t’en reste plus qu’une irrémédiable tristesse qui m’a gagné moi-même. Il faut que revienne l’anniversaire de cette nuit de sang pour que ces souvenirs terribles t’assiègent encore et t’affolent… Mon amie, il faut oublier même l’anniversaire…

Adrienne, la voix rauque, déclara:

– Jamais je n’oublierai que je l’ai tué!… Comment veux-tu que j’oublie cela?…

Et elle ajouta avec des pleurs:

– Car je l’ai tué! Oui, il est mort de ma main! C’est moi, c’est moi qui ai tiré! Lui qui m’aimait tant! tant! Lui qui nous avais sauvées, ma mère et moi. Car je n’étais qu’une misérable petite fille et il m’avait élevée jusqu’à lui! Il me donnait tout ce qu’il avait, il faisait de moi sa femme! Il m’adorait! Comme il m’adorait!

Elle continuait à se plaindre ainsi, c’était un cri monotone d’éternelle désolation.

Lawrence se taisait. Il savait qu’il devait se taire et qu’elle ne cesserait sa plainte que lorsqu’elle n’aurait plus la force de la continuer.

Elle disait encore:

– Il a su de quelle main il mourait! Il a su que je l’avais frappé! Tu le sais bien… Avant de mourir, il me fixa de ses yeux agrandis où je lisais toute l’horreur de mon crime… Quelle douleur dans ces yeux-là!… J’y lus un désespoir infini… Mon image était ces yeux mourants… Et toi, toi! tu l’as pris, tu l’as jeté dans le fleuve… Qu’avons-nous fait? Quel crime est le nôtre, Charley!

Elle se tordit les bras:

– Quel crime est le nôtre!… Pourquoi avons-nous fait cela?… Pourquoi? Pourquoi?

Lawrence releva Adrienne, et dit tout bas:

– Mary! Mary! parce qu’il te fallait choisir entre sa mort ou la mienne! Tu m’as sauvé, Mary! Sans toi, je succombais sous ses coups! Ah!… voilà que tu as le remords de m’avoir sauvé!…

– Charley!… Tu te rappelles notre farouche amour!… Nous l’avons payé si cher, si cher! Moi, surtout, je l’ai acheté d’un prix si formidable que j’y tiens, à mon amour!

Elle ajouta d’un accent sauvage qui fit frissonner Lawrence:

– Oui, Charley, nous sommes liés par mon crime. Ne l’oublie jamais!

Elle n’avait plus sa voix plaintive de tout à l’heure. Sa parole avait un accent de menace qui jeta Lawrence dans le plus grand trouble, car il ne lui connaissait pas encore cet accent-là.

Il écarta de lui, très doucement, Adrienne.

– Douterais-tu de moi? demanda-t-il.

Elle cria: