Arnoldson, à son tour, se leva. Il dit, d’une voix terrible:
– Oui, vous les attendrez en pleurant! Vous les attendrez à genoux! Vous les attendrez en priant!… Et vous les aurez, madame!… Dans quelques jours, mettons dans une semaine, une semaine d’atroce angoisse pour vous, une semaine que vous passerez en songeant que votre mari est auprès de cette femme et que vous n’existez plus pour lui… dans une semaine je vous les apporterai!…
«Le soir où je vous les apporterai, madame, il faudra que vous soyez préparée à me recevoir seule: vous m’entendez?… toute seule! Nous aurons tant de choses à nous dire!… Vous aurez tant de choses à écouter! Un long entretien, madame, entre nous s’impose, un entretien auprès duquel celui d’aujourd’hui ne saurait être qu’une légère causerie sans importance.
«La veille de ce jour-là, vous entendrez prononcer cette phrase… Retenez cette phrase:
«Il n’y aura pas de lune cette nuit! Le lendemain je serai près de vous, dans la villa des Volubilis, avec les preuves, avec les lettres!»
Arnoldson, ayant dit ces mots, s’en alla. Il s’en alla après un dernier regard sur cette femme, qui s’appuyait, mourante, aux murs.
Quand il fut parti, elle resta ainsi, toute droite contre le mur. Il semblait qu’il n’y eût plus de vie en elle.
Quand elle reprit ses sens, elle s’en alla, chancelante, vers la villa, s’en fut d’une allure fantomatique dans sa chambre, où elle tomba, comme l’avait prédit Arnoldson, à genoux.
VIII PREMIER AMOUR
Le jour qui suivit, à l’heure du crépuscule, Lily était à sa fenêtre, à la fenêtre de cette chambre d’où l’on voyait le soleil se coucher derrière le coteau de Montry.
Elle était fort émue, d’une émotion toute nouvelle pour elle, à la fois pénible et délicieuse. Elle se sentait oppressée du désir ardent de voir apparaître, comme la veille, le blanc cavalier au sommet du coteau. Elle avait la crainte qu’il ne vînt pas.
Le soleil venait de disparaître, n’était plus qu’une mince ligne rouge à l’horizon.
Et le cavalier ne venait pas.
Lily espérait encore, attendait encore. Chaque seconde qui s’écoulait faisait sa peine plus grande, quand, sur la route, au même endroit où elle l’avait vu la veille, le prince Agra s’en vint vers Lily.
Il n’arriva pas au sommet du coteau avec la fougue de la veille. Il grandit, à l’horizon, sur son coursier. Il était une grande ombre sur l’immensité violette de la nuit très proche. Et cette ombre équestre s’arrêta. Ce ne fut pas la vision rapide de la veille. De longues minutes, au contraire, s’écoulèrent quand cette ombre se fut arrêtée en face de la fenêtre où s’encadrait la fine silhouette de Lily.
Le jeune homme, comme il l’avait fait déjà le jour précédent, lui jeta un baiser.
Ce fut un baiser qui lui vint à travers l’espace qui les séparait. Le geste du cavalier, grandi, élargi par le jeu des ombres au crépuscule, sembla l’atteindre. Lily en défaillait.
Alors, elle le lui rendit. Elle ne comprenait pas ce qui se passait en elle.
Presque aussitôt le mystérieux cavalier n’était plus là. La campagne en même temps devint encore plus sombre.
Lily s’accouda à la fenêtre et rêva longtemps, puis un murmure la fit se diriger vers la chambre de sa mère.
Mme Lawrence, depuis la veille, était au lit. Elle n’adressait que de rares paroles aux personnes qui la venaient visiter. Elle s’entretint même fort peu avec ses enfants, auxquels elle commanda de ne point faire venir de médecin.
– Ce ne sera rien, disait-elle. Demain, je serai debout.
Mais le lendemain, elle ne se leva pas, car elle était encore très faible, et la fièvre qui la dévorait depuis ses premières heures de lit n’avait guère diminué.
Effrayé, Pold, malgré les recommandations de sa mère, écrivit à Lawrence, à Paris.
Mais, quand vint le soir, Adrienne, qui se sentait mieux, put se lever. L’état de son esprit s’était amélioré comme l’état de son corps.
Elle espérait. Après le désespoir dont elle avait été saisie à la suite de son entrevue avec l’Homme de la nuit, un doute avait grandi en elle, ce doute qu’elle avait déjà exprimé devant Arnoldson et que celui-ci avait fait disparaître momentanément en lui criant: «J’ai les preuves et je vous les apporterai!…»
Bientôt même, Adrienne, prenant ses désirs pour la réalité, se dit que les dernières paroles d’Arnoldson n’étaient, après tout, qu’une défaite. Il aurait ainsi masqué piteusement sa fuite et sa déconvenue, voyant que ses dénonciations et ses calomnies n’avaient pas produit auprès d’elle l’effet qu’il en espérait…
Adrienne n’avait pas oublié la phrase redoutable qui devait lui annoncer la production des preuves de l’adultère de son mari pour le lendemain du jour où elle serait prononcée, et, ce jour-là, elle devait préparer à l’Homme de la nuit une longue entrevue qui serait définitive entre eux.
Elle ne croyait plus maintenant à cette entrevue fatale; elle était certaine qu’Arnoldson s’était joué d’elle et que jamais cette phrase ne retentirait à ses oreilles: «Il n’y aura pas de lune cette nuit!»
Aussi était-elle presque gaie, d’une gaieté un peu factice, quand, le soir venu, elle s’assit à la table où ses enfants seuls avaient déjeuné le matin même.
– On a mis un couvert de trop, remarqua-t-elle.
– Mais point du tout, mère, fit Pold. C’est le couvert de papa.
– De ton père? Mais il est à Paris!
– Il doit être maintenant sur la route d’Esbly et il sera ici dans quelques instants…
– Comment cela?
– Je lui avais écrit, mère, que vous étiez très souffrante. Ne doutez point qu’il vienne…
Adrienne embrassa tendrement son fils. Elle voulut attendre, pour commencer le repas, l’arrivée de son mari. Elle attendit une demi-heure, une heure.
Lawrence n’arrivait pas.
– Il aura manqué le train, fit Pold.
Mais, dans la soirée, Lawrence ne vint pas.
– C’est étonnant! Je n’y comprends rien! s’exclamait Pold.
Adrienne songeait.
– Ses affaires l’ont retenu. Il va nous arriver demain.
Mais le lendemain se passa comme la soirée de la veille et Lawrence ne vint pas. Adrienne était reprise de soupçons et, naturellement, selon l’ordre régulier de ces sortes de sentiments, les soupçons se changèrent à nouveau en certitude.