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– Prince, dites à Arnoldson d’être dans ma loge, le soir de la première aux Folies, à dix heures. Vraiment, fit-elle avec un sourire lamentable, s’il se réjouit de la souffrance des hommes, il passera quelques minutes divines…

Car elle avait suivi férocement le programme que lui avait inspiré Agra. Lawrence n’était plus qu’un pauvre être à ses pieds. Elle fut sans pitié, et tout ce qu’une femme peut avoir en elle ou imaginer d’artifices, de mensonge, d’impudeur et de coquetterie, elle en usa avec une science infinie du cœur des hommes et de ses faiblesses, de ses fatales défaillances, tour à tour se donnant, puis se reprenant au moment où on allait la prendre, où le malheureux espérait qu’il allait enfin réaliser le rêve de sa chair, se faisant désirer d’une furieuse ardeur et fermant sa porte soudain, alors qu’elle venait à peine de l’entr’ouvrir.

Et le malheureux pleurait de rage, râlait d’amour, parlait de tuerie et de suicide. Mas il ne tuait ni ne se suicidait, et se soumettait, au contraire, et se ruinait en cadeaux inutiles.

Car il crut que cette femme se donnerait à lui pour de l’argent, et il compromit sérieusement sa fortune, celle de sa femme et de ses enfants.

Arnoldson n’avait que trop dit la vérité à la malheureuse Adrienne.

Ce jeu ne cessait pas. Plus les jours s’écoulaient et plus Diane se montrait cruelle. Elle agissait maintenant non seulement par obéissance à Agra, mais par haine de Lawrence. Elle lui avait une inimitié mortelle de ce qu’il s’était placé entre elle et Agra et le considérait comme la cause du retard que le prince mettait à leur bonheur.

Nous voici donc le soir de cette représentation aux Folies où Diane, qui avait toujours l’amour de la scène et qui n’avait pu vaincre ses instincts de cabotinage, allait s’exhiber dans la danse du feu.

Le Tout-Paris des premières était là, et des loges avaient été louées fort cher par des amis de Diane qui voulaient lui faire un triomphe.

Une avant-scène avait été retenue pour le prince Agra, mais cette avant-scène restait vide.

Il était dix heures du soir, et Diane se trouvait dans sa loge. Elle s’était livrée à la camériste et procédait aux premiers détails de sa toilette de scène quand on frappa à la porte.

– Qui est là? cria Diane sans se retourner.

– Arnoldson.

– Allez ouvrir, Jenny.

Jenny ouvrit à Arnoldson. Celui-ci vint saluer Diane, qui sans lui dire un mot de bienvenue, lui désigna, au fond de la loge, une tenture qui retombait sur une petite porte communiquant avec une sorte de cabinet de débarras.

Arnoldson alla se dissimuler dans ce cabinet. Pas un mot n’avait été échangé entre eux.

Dix minutes s’écoulèrent. Diane s’était fardée et maquillée selon le rite, quand on frappa de nouveau à la porte de sa loge.

Lawrence entra. Il déposa son chapeau sur un guéridon, vint baiser la main de Diane, qui lui dit: «Bonsoir, mon ami» et s’assit.

– Je vous demande pardon de ne point vous avoir reçu ce matin, fit Diane: j’avais une migraine atroce.

– Et hier soir, Diane, demanda Lawrence, aviez-vous votre migraine?

– Non, mais j’étais de si méchante humeur que je ne voulus point vous la faire supporter.

– J’aime mieux vous voir souffrir et je préfère supporter votre mauvaise humeur que de ne point vous voir, Diane, vous le savez.

– Mon cher Maxime, on n’a jamais le dernier mot avec vous. Même quand vous avez raison, si vous m’aimez réellement, vous devriez bien accepter d’avoir tort.

– Je suis le plus malheureux des hommes, Diane, vous me dédaignez.

– Quelle erreur est la vôtre, cher ami! Si j’étais une de ces femmes qui se donnent avec la rapidité que vous semblez souhaiter, vous seriez le premier à le regretter… Les hommes sont bien étranges…

– Voilà un mois que je vous prouve ma fidélité et que vous me donnez des espérances que vous ne réalisez jamais.

– Cela viendra, cela viendra…

– J’en doute…

– Alors, que faites-vous ici?

Lawrence dit, d’une voix suppliante:

– J’attends que vous soyez meilleure. Je ne puis supposer une seconde que vous m’ayez supporté si longtemps si ce n’est que pour me repousser à jamais!… Pourquoi avez-vous fait tout ce qu’il faut pour que je vous aime, Diane, si vous voulez éternellement me refuser votre amour?

Diane avait croisé les jambes sous son peignoir; elle fit sauter de l’un de ses petits pieds son soulier et dit:

– Nous ne nous adorerons que mieux plus tard. Je te mets à l’épreuve, mon chéri, pour te récompenser selon ton mérite et ta patience…

Et comme son pied, nu dans le bas de soie noire, s’agitait nerveusement, Lawrence fut à genoux, lui prit ce pied entre ses deux mains et le baisa.

– Relève-toi, grand fou, et va te cacher derrière le paravent. Je vais passer mon maillot.

La soubrette, en effet, était là, tendant le maillot.

Lawrence disparut derrière le paravent.

Quand il eut le droit de revenir, Diane était debout, droite et cambrée dans son maillot, la poitrine découverte. Toute sa grâce était dévoilée aux yeux troubles de Lawrence. Elle s’exhibait orgueilleusement dans sa pleine puissance, sachant que Maxime en serait affolé.

Une odeur de femme, des parfums compliqués de femme à sa toilette emplissaient l’étroite loge.

Comme la soubrette sortait, envoyée en commission, Lawrence s’approcha vivement de Diane, tendant les bras vers elle. Mais celle-ci l’arrêta d’un geste.

– Halte-là! monsieur, fit-elle, halte-là! Vous voilà bien émotionné!

– Diane! supplia Lawrence.

– Eh bien, quoi, Diane? fit la jeune femme… Tu es ridicule, mon cher… Tu as tout le temps l’air d’une bête fauve…

Lawrence tomba dans une désolation effroyable, qu’il ne dissimulait pas. Véritable loque, il se mit à geindre:

– Tu me permets de te voir et tu ne me permets pas de te toucher. Tu me promets toutes les joies et tu ne me les donnes jamais… Et cependant, Diane… Écoute ce que je vais te dire et ne souris pas de ce sourire qui me rend fou… Cependant, j’ai tout fait de ce que tu m’as ordonné… J’ai eu de la patience quand tu m’en as demandé. J’ai remis à une heure plus propice mon bonheur quand tu m’en as prié… Le désir que tu voulus exprimer, je le contentai sur-le-champ… Non, non! Diane! je ne reculai devant rien! Ma fortune, je l’ai compromise!…