– C’est le tort que tu as eu, mon cher! fit Diane, très froidement, en se bichonnant le nez d’une houppette tirée d’une boîte de poudre de riz.
– Évidemment, tu ne m’as rien demandé.
– Alors?
– Alors, ton attitude était incompréhensible, et tu te montrais vis-à-vis de moi de mœurs si sévères que j’eus le droit de me dire que…
– Que?…
– Que tu ne serais pas insensible à des présents!
– Ah! le pauvre chéri!
Et Diane haussa, d’un geste charmant, ses blanches épaules. Lawrence marchait de long en large dans la loge, d’un pas rageur.
– Si je ne t’avais pas aimé, mon chéri, je t’aurais cédé tout de suite… Je ne veux pas que tu puisses songer une seconde que je ne t’aime pas… Voyons, raisonne un peu, si, cependant, l’état dans lequel je te mets te permet de raisonner encore… Le prince Agra est à mes pieds… Il est jeune, et il est beau, et il est mille fois plus riche que toi… Alors… alors, pourquoi aurais-je jeté les yeux sur toi si je ne t’aimais pas?… Songe à cela!
– C’est bien ce que je me dis, et c’est bien là ta force… et c’est bien aussi ce qui fait que je ne te comprends pas…
– Je veux te faire souffrir, je veux savoir ce que je puis exiger de toi… je veux essayer mon pouvoir sur toi… Quand tu auras mérité mon amour…
– Qu’arrivera-t-il?
– Diane sera à toi…
– Je ne le sais pas, j’en doute… J’en doute et je reste!
Lawrence avait des larmes dans les yeux. Il dit:
– Diane! Si tu savais ce que j’ai fait pour toi, ce que je n’ai pas hésité à faire! Qu’importe ma fortune! Mais il est des choses plus sérieuses que ma fortune, plus importantes, et qui n’ont rien pesé dans ma main quand il s’est agi de contenter ta fantaisie. Je t’ai tout donné, tout accordé! Écoute-moi! Écoute-moi!
Lawrence, de plus en plus stupide, avait pris les pieds de Diane et déposait sur ces pieds des baisers précipités.
– Écoute-moi! J’ai une femme, que j’aimais comme nul homme au monde n’aima une femme!… Eh bien!… cette femme – et je commets un crime, ici, en te parlant d’elle – cette femme est souffrante, très malade… sa vie, peut-être, est en danger, et je ne suis pas à côté d’elle, parce que je suis à côté de toi! J’ai un fils. Ce fils m’a écrit que sa mère m’attendait, que l’état de sa santé était alarmant… et qu’il fallait quitter Paris sur-le-champ… Or je n’ai pas quitté Paris, je néglige l’avertissement de mon fils, je fuis le chevet de ma femme et je suis aux Folies!… aux Folies!… Pourquoi? mon Dieu! Pourquoi?… Pour un sourire de toi! Et tu ne souris pas!…
Lawrence continuait à se plaindre de Diane, et Diane à se montrer indifférente. Rien de ce que disait Maxime ne semblait l’émouvoir, et, bientôt, celui-ci, après avoir montré tant de faiblesse et tant de soumission, ne put s’empêcher de laisser échapper des paroles de colère et de révolte.
Oui, maintenant, sa voix grondait et menaçait.
Lawrence s’écria:
– Vous vous jouez de moi, Diane! Mais prenez garde, car vous m’avez rendu fou, et cette folie pourrait vous devenir fatale…
– Que voulez-vous dire?
Lawrence, dans une grande exaspération, continua:
– Ah! insensée qui ne comprends pas qu’on n’accule point un homme à l’amour ou à la mort sans risquer pour soi-même cette mort quand on refuse l’amour!
Diane éclata d’un long rire:
– Ah! mon cher, vous êtes délicieux!… Vous êtes délicieusement ridicule!
Et drapant sur ses épaules l’étoffe multicolore dont elle devait envelopper sa danse, elle fit:
– Allons, monsieur, vous parlez comme à l’Ambigu, et nous sommes aux Folies!
Lawrence s’essuya le front d’un geste fébrile.
– Oui, je suis stupide, dit-il d’une voix brisée… Il y a si longtemps que vous m’avez mis à l’épreuve… un long mois… Mais je suis fou, je m’égare… moi, vous faire du mal, vous tuer? ne croyez pas cela!
Lawrence supplia, la face douloureuse:
– Donnez-moi vos lèvres.
Diane fit une moue et eut un geste agacé:
– Ah! ça! non, par exemple! Vous voulez donc me démaquiller?
Lawrence chancela. Il porta les mains à son front.
– Ah! fit-il d’une voix sourde… madame, comme vous savez faire souffrir les hommes!…
Jenny entrait. Diane lui dit d’ouvrir à Lawrence la porte de la loge. Celui-ci s’en alla en se heurtant aux meubles comme un homme ivre.
Quand il fut parti, Arnoldson sortit de sa cachette. Un sourire effrayant illuminait cette figure horriblement joyeuse.
– Cela n’est pas mal, fit-il, ma petite Diane.
D’un geste familier, il frotta ses longues mains osseuses.
– Mais nous aurons mieux! beaucoup mieux!… Dites-moi donc, madame, les lettres de Lawrence…
– Le prince, avec qui j’ai eu un long entretien hier, m’a priée de les mettre de côté et de vous les donner si vous me les demandiez… Qu’en ferez-vous? Je n’ose, je ne veux pas y penser… Mais, puisque le prince veut qu’il en soit ainsi, je vous les donnerai, monsieur…
Diane avait dit cela d’une voix basse et désigna du doigt Jenny.
– Ah! votre soubrette, madame? fit tout haut l’Homme de la nuit. Mais Jenny vous est d’autant plus fidèle, à vous qu’elle m’est entièrement dévouée, à moi… N’est-ce pas, Jenny?
– C’est vrai, madame…
– Eh! quoi? mes domestiques?… interrogea anxieusement Diane.
– Vos domestiques, madame, sont d’abord les nôtres. Ne craignez rien: nous achetons les gens assez cher pour ne point craindre la concurrence.
– Ah! mon Dieu! fit Diane… De telle sorte que je ne puis faire un pas, une démarche, prononcer une parole sans que tout cela soit su de vous?…
– J’ai l’honneur de vous en prévenir, madame…
Diane paraissait épouvantée.
– Calmez-vous, lui dit Arnoldson avec son hideux sourire. Tout ceci se terminera bien pour vous…
Diane, tremblante, demanda:
– Alors, les lettres…
– Vous les garderez!
– Elle ne vous serviront donc pas?
– Mais certainement, madame, elles me serviront. J’en ai même un besoin urgent.
– Aussi je vous les offre…