Quand, enfin, Diane put se retirer et quand la lumière revint à flots éblouir les spectateurs, Arnoldson fixait Pold, qui était en extase, la bouche ouverte et les yeux humides.
– Ah! monsieur, dit-il, monsieur, je vous en prie, conduisez-moi à Diane! Tout de suite, tout de suite! Je veux lui porter mon admiration. Je ne saurais attendre. Pourquoi m’avoir fait venir et me l’avoir montrée si je ne puis approcher d’elle?
Arnoldson sourit:
– Tout beau, jeune homme! Vous voyez que tout le monde vous regarde et vous écoute, et que l’on sourit…
Pold se tourna vers ceux qui l’entouraient.
– Ah! vraiment, l’on sourit! s’écria-t-il en fermant ses poings solides.
Il paraissait si décidé à renfoncer les sourires qu’il ne trouva plus autour de lui que des visages fort graves.
– Suivez-moi, fit Arnoldson.
– Enfin! s’écria Pold, joyeux.
Et il ne lâcha pas Arnoldson d’une semelle.
Ils suivirent la courbe du promenoir et, sur la gauche de la scène, se firent ouvrir une petite porte sur le seuil de laquelle veillait un huissier en habit noir dont le col s’ornait d’une chaînette d’argent.
Arnoldson dit quelques mots à l’huissier en lui montrant du doigt Lawrence, debout dans une loge.
– Entendu, monsieur, fit l’huissier. Cette porte est condamnée.
Pold entra alors avec Arnoldson dans les coulisses des Folies.
Il ouvrit de grands yeux sur le spectacle, tout neuf pour lui, des coulisses et qu’il jugeait beaucoup plus intéressant que celui de la scène.
Une foule de petites femmes, légèrement vêtues de maillots et de gazes, babillaient à voix basse en attendant le moment de leur entrée. Elles étaient fardées à l’impossible et exhalaient des parfums violents.
L’une d’elles prit le menton de Pold. Le jeune homme rougit.
Il ne trouvait rien à dire.
– Comme il fait chaud! hasarda-t-il.
Ce fut un éclat de rire chez les figurantes et les danseuses.
Mais Pold fuyait déjà, très honteux, derrière Arnoldson, qui grimpait un étroit escalier conduisant aux loges du premier étage.
Enfin, une dernière porte s’ouvrit. Ils étaient chez Diane. Celle-ci, enveloppée d’un chaud peignoir, étendue sur un étroit divan, laissant pendre négligemment ses jambes où collait encore le maillot de soie, recevait les compliments du directeur et des amis de la direction.
Deux immenses corbeilles de fleurs attestaient son succès.
Arnoldson lui montra, en souriant, Pold.
Pold s’avança, ému à un point que l’on ne saurait dire.
Diane, très aimable, lui tendit languissamment la main.
– Bonsoir, mon vieux Pold, lui dit-elle affectueusement. Qu’est-ce qui vous prend de venir me voir?
– Madame… fit Pold.
Mais, il ne put rien ajouter, tant son émotion était profonde. Sa voix s’étranglait. Il suffoquait.
– Vous savez que nous sommes de vieux amis!
– Oh! oui, madame!
Et Pold lui embrassa la main avec une passion qui amena sur les lèvres de Diane un adorable sourire.
Diane, tout d’un coup, fut debout:
– Laissez-moi tous! cria-t-elle. Laissez-moi tous! Je vous remercie… mais il faut que je me change! Jenny, chasse ces messieurs et qu’on n’entre plus…
Arnoldson se pencha à l’oreille de Diane:
– Le prince vous prendra à la sortie.
Diane fut joyeuse.
– Oh! merci! fit-elle.
On sortit. Arnoldson entraîna Pold dans les couloirs et le fit sortir par le derrière des Folies, sur la rue de Trévise.
– Vous me paraissez content, jeune homme, dit Arnoldson.
– Ah! oui, monsieur, éclata Pold, très content! Elle ne m’en veut plus! Elle a été si bonne, ce soir, pour moi!
– Monsieur Pold, vous voilà bien emballé!
– Comment voulez-vous qu’il en soit autrement?… Vous qui me l’avez fait voir, vous me la ferez voir encore, n’est-ce pas?
– Je vous le promets.
– Quand? s’écria Pold. Quand? Ce soir peut-être?
Arnoldson était au coin de la rue de Trévise et de la cité Bergère. Il montra à Pold une voiture qui attendait là.
– Montez dans cette voiture, mon jeune ami, car nous avons des choses intéressantes à nous dire.
Pold monta dans la voiture, et Arnoldson l’y suivit, après avoir jeté au cocher:
– Au coin de l’avenue Prudhon!
Dans la voiture, Pold demanda à Arnoldson ce qu’ils allaient faire avenue Prudhon:
– Est-ce que vous me conduisez déjà chez Diane?
L’Homme de la nuit ne répondit point à cette question.
Il fit:
– Jeune homme, est-ce que tout ce qui se passe ne vous semble pas quelque peu bizarre?
– En quoi donc, monsieur? J’aime Diane, je désire la revoir; vous la connaissez et vous me facilitez une entrevue avec elle, parce que vous désirez me faire plaisir.
– Et vous ne vous demandez point pourquoi je veux vous faire plaisir?
– Non: cela me semble, au contraire, fort naturel.
– Vous êtes d’une naïveté que n’excuse même pas votre âge, jeune homme, fit Arnoldson en riant. Je ne tiens pas à me faire à vos yeux meilleur que je ne le suis. Si je vous propose de vous rendre le service que vous me demandez, c’est que j’ai besoin de vous.
Pold en parut tout étonné:
– Besoin de moi?
– Mais oui, mon petit Pold, mais oui. On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
– Je suis plus grand que vous, monsieur, remarqua Pold.
– Oui, mais plus petit que le prince Agra.
– Le prince Agra a besoin de moi?
– Certainement.
– Et pouvez-vous m’expliquer pourquoi le prince Agra a besoin de moi?
– Nous ne sommes ici que pour cela, jeune homme.
– Allez, monsieur. Je suis fort impatient.
– Voici. Le prince n’aime plus Diane.
– Tant mieux! Et, pour peu que Diane n’aime plus le prince, voilà tout de suite mes actions qui montent, et cela m’expliquerait peut-être pourquoi, tantôt, elle me fut aimable alors qu’il y a un mois elle me fut si cruelle.
– Vous tirerez, après mon discours, qui ne sera pas long, toutes les conclusions que vous voudrez. Mais, pour Dieu! jeune homme, écoutez-moi!